D'un côté, des chercheurs qui ont un besoin vital de publier et d'accéder au travail de leurs pairs. De l'autre, des éditeurs qui règnent sur un marché lucratif et captif. Et au milieu, des bibliothécaires pris financièrement à la gorge. Appels au boycott des abonnements, négociations au couteau sur les tarifs : la bataille fait rage, et le monde de l'édition scientifique est en plein bouleversement.
Développement numérique tous azimuts, croissance exponentielle de revues en "accès libre", floraison d'initiatives qui transforment le processus classique de diffusion des savoirs... Le sujet interpelle même au plus haut niveau politique. Le 22 février, l'administration Obama a ainsi exigé la mise à disposition gratuite de tous les travaux issus de sa recherche publique. Décryptage.
L'ARTICLE, AU COEUR DU SYSTÈME
"Publier ou périr", l'adage est bien connu. Pour être reconnu par la communauté, avancer dans sa carrière, récolter des financements, un chercheur doit rendre compte de ses travaux en les publiant dans des revues scientifiques. Il existe au total quelque 28 000 titres, couvrant tous les domaines. "Pour choisir à quel journal je vais soumettre un article, je commence par me faire une grille dans la tête en fonction du type de l'étude et de l'intérêt de ses résultats, explique le professeur Nicolas Danchin, cardiologue à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). Les journaux médicaux généralistes de référence comme The Lancet, le NEJM ou le JAMA ne peuvent être visés que pour des sujets importants, dont les retombées dépassent notre discipline." "On a une "sainte trinité", comme Nature/Science/Cell", précise un biophysicien. Pour les revues les plus réputées, le chercheur envoie également une sorte de lettre de motivation qui justifie l'importance de sa découverte. "Parfois je me demande si les éditeurs ne lisent pas seulement cette lettre avant de prendre leur première décision", s'interroge un scientifique en constatant la rapidité des réponses.
Si l'éditeur accepte cette première soumission, il lance le processus de relecture par des pairs. Ces spécialistes transmettent leurs remarques, questions, demandes supplémentaires à l'éditeur, qui les renvoie vers les auteurs afin qu'ils révisent leur copie. Les relecteurs (bénévoles) choisis par la revue savent qui sont les auteurs de l'article qu'ils évaluent, mais pas l'inverse. C'est l'éditeur qui prend la décision de publier ou pas, y compris si un pair n'est pas d'accord. Les refus sont nombreux, neuf sur dix pour les plus grandes revues, très exigeantes sur le caractère novateur des travaux ; trois sur dix pour des journaux comme PLoS One, qui se disent sans a priori éditoriaux.
Après acceptation de l'article, les coûts de publication sont variables. "Dans les revues classiques, les frais sont relativement réduits, mais certaines présentent une facture pour tout article. On paie également, de l'ordre de quelques centaines d'euros, pour avoir des figures en couleurs", précise Nicolas Danchin.
DES DÉRIVES CONNUES ET TENACES
"Le système est dramatique car publier dans des journaux à haut facteur d'impact devient un objectif en soi, et cet objectif nous prend beaucoup de notre temps au détriment de nos recherches, explique Perrine Ruby (Centre de recherche en neurosciences de Lyon). Dans la configuration actuelle, de telles publications sont indispensables pour obtenir des financements de projets, et cela compte aussi beaucoup dans les évaluations des chercheurs et des laboratoires. Cette organisation rend aussi très difficile la publication de résultats négatifs, ce qui est un biais énorme."
Progressivement, la publication d'articles est devenue l'étalon de productivité de la recherche. Dans les années 1960, l'Américain Eugene Garfield a mis au point divers indicateurs permettant d'évaluer la "qualité" d'un travail, en se fondant notamment sur les articles postérieurs qui citent celui-ci dans leurs références. La mesure s'applique désormais à un chercheur mais aussi à un journal : combien de "citations" recueille-t-il ? Une hiérarchie mesurable se crée. Tout est bon pour monter dans ces classements : tendance à s'autociter ou à citer ses amis (en espérant les renvois d'ascenseur) pour embellir sa réputation, saucissonnage d'un travail pour multiplier son nombre d'articles, accent mis sur des sujets à la mode pour augmenter les citations...
Les défauts sont connus. Mais tout le monde est pris dans le jeu : chercheurs, éditeurs et employeurs (universités, organismes de recherche ou agences de moyens), qui voient là un moyen rapide d'évaluer la qualité des personnes. Même les hôpitaux se fondent sur la bibliométrie avec le classement Sigaps (système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques)(Le Monde 24 novembre 2011), qui attribue des subventions aux établissements en fonction de leur production scientifique. Les dérives sont aussi mercantiles, avec des "éditeurs prédateurs" dont le but n'est souvent que de faire des profits en faisant payer les chercheurs pour être publiés sans vraiment de garantie sur la qualité du travail d'expertise ou sur la pérennité de l'accès aux articles...
UN MARCHÉ LUCRATIF ET CAPTIF
Un article scientifique vaut de l'or et, au tournant de la seconde guerre mondiale, des éditeurs ont saisi là une opportunité commerciale fort lucrative. Le chiffre d'affaires de l'édition scientifique, technique et médicale dépassait 20,2 milliards de dollars (15,4 milliards d'euros) en 2010, selon l'association représentative du secteur (Stm-assoc.org) ; en croissance de 3,5 % par rapport à 2009.
Développement numérique tous azimuts, croissance exponentielle de revues en "accès libre", floraison d'initiatives qui transforment le processus classique de diffusion des savoirs... Le sujet interpelle même au plus haut niveau politique. Le 22 février, l'administration Obama a ainsi exigé la mise à disposition gratuite de tous les travaux issus de sa recherche publique. Décryptage.
L'ARTICLE, AU COEUR DU SYSTÈME
"Publier ou périr", l'adage est bien connu. Pour être reconnu par la communauté, avancer dans sa carrière, récolter des financements, un chercheur doit rendre compte de ses travaux en les publiant dans des revues scientifiques. Il existe au total quelque 28 000 titres, couvrant tous les domaines. "Pour choisir à quel journal je vais soumettre un article, je commence par me faire une grille dans la tête en fonction du type de l'étude et de l'intérêt de ses résultats, explique le professeur Nicolas Danchin, cardiologue à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). Les journaux médicaux généralistes de référence comme The Lancet, le NEJM ou le JAMA ne peuvent être visés que pour des sujets importants, dont les retombées dépassent notre discipline." "On a une "sainte trinité", comme Nature/Science/Cell", précise un biophysicien. Pour les revues les plus réputées, le chercheur envoie également une sorte de lettre de motivation qui justifie l'importance de sa découverte. "Parfois je me demande si les éditeurs ne lisent pas seulement cette lettre avant de prendre leur première décision", s'interroge un scientifique en constatant la rapidité des réponses.
Si l'éditeur accepte cette première soumission, il lance le processus de relecture par des pairs. Ces spécialistes transmettent leurs remarques, questions, demandes supplémentaires à l'éditeur, qui les renvoie vers les auteurs afin qu'ils révisent leur copie. Les relecteurs (bénévoles) choisis par la revue savent qui sont les auteurs de l'article qu'ils évaluent, mais pas l'inverse. C'est l'éditeur qui prend la décision de publier ou pas, y compris si un pair n'est pas d'accord. Les refus sont nombreux, neuf sur dix pour les plus grandes revues, très exigeantes sur le caractère novateur des travaux ; trois sur dix pour des journaux comme PLoS One, qui se disent sans a priori éditoriaux.
Après acceptation de l'article, les coûts de publication sont variables. "Dans les revues classiques, les frais sont relativement réduits, mais certaines présentent une facture pour tout article. On paie également, de l'ordre de quelques centaines d'euros, pour avoir des figures en couleurs", précise Nicolas Danchin.
DES DÉRIVES CONNUES ET TENACES
"Le système est dramatique car publier dans des journaux à haut facteur d'impact devient un objectif en soi, et cet objectif nous prend beaucoup de notre temps au détriment de nos recherches, explique Perrine Ruby (Centre de recherche en neurosciences de Lyon). Dans la configuration actuelle, de telles publications sont indispensables pour obtenir des financements de projets, et cela compte aussi beaucoup dans les évaluations des chercheurs et des laboratoires. Cette organisation rend aussi très difficile la publication de résultats négatifs, ce qui est un biais énorme."
Progressivement, la publication d'articles est devenue l'étalon de productivité de la recherche. Dans les années 1960, l'Américain Eugene Garfield a mis au point divers indicateurs permettant d'évaluer la "qualité" d'un travail, en se fondant notamment sur les articles postérieurs qui citent celui-ci dans leurs références. La mesure s'applique désormais à un chercheur mais aussi à un journal : combien de "citations" recueille-t-il ? Une hiérarchie mesurable se crée. Tout est bon pour monter dans ces classements : tendance à s'autociter ou à citer ses amis (en espérant les renvois d'ascenseur) pour embellir sa réputation, saucissonnage d'un travail pour multiplier son nombre d'articles, accent mis sur des sujets à la mode pour augmenter les citations...
Les défauts sont connus. Mais tout le monde est pris dans le jeu : chercheurs, éditeurs et employeurs (universités, organismes de recherche ou agences de moyens), qui voient là un moyen rapide d'évaluer la qualité des personnes. Même les hôpitaux se fondent sur la bibliométrie avec le classement Sigaps (système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques)(Le Monde 24 novembre 2011), qui attribue des subventions aux établissements en fonction de leur production scientifique. Les dérives sont aussi mercantiles, avec des "éditeurs prédateurs" dont le but n'est souvent que de faire des profits en faisant payer les chercheurs pour être publiés sans vraiment de garantie sur la qualité du travail d'expertise ou sur la pérennité de l'accès aux articles...
UN MARCHÉ LUCRATIF ET CAPTIF
Un article scientifique vaut de l'or et, au tournant de la seconde guerre mondiale, des éditeurs ont saisi là une opportunité commerciale fort lucrative. Le chiffre d'affaires de l'édition scientifique, technique et médicale dépassait 20,2 milliards de dollars (15,4 milliards d'euros) en 2010, selon l'association représentative du secteur (Stm-assoc.org) ; en croissance de 3,5 % par rapport à 2009.
Commentaire