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Printemps algérien de 1963 : Il y a 50 ans, la bombe atomique d'In Ekker

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  • Printemps algérien de 1963 : Il y a 50 ans, la bombe atomique d'In Ekker

    Il y a cinquante ans, jour pour jour, le lundi 18 mars 1963, le gouvernement français, se voyant autorisé par les clauses militaires des Accords d’Evian signés exactement un an auparavant, faisait exploser une bombe atomique expérimentale au Sahara, précisément à In Ekker, à 150 km au nord de Tamanrasset. C’était la sixième expérience du genre : 13 septembre 1960, sous le nom de Gerboise bleue ; 1er avril 1960, Gerboise blanche ; 27 décembre 1960, Gerboise rouge ; 25 avril 1961, Gerboise verte, et le 7 novembre 1961 (toutes au sud de Reggane). Mais l’expérience souterraine à In Ekker était la première dans l’Algérie devenue indépendante.

    Quelques jours avant, des rumeurs avaient précédé cet événement et tout indiquait qu’elles étaient fondées. La presse s’en était fait l’écho. Dans son édition du 11 mars 1963, le quotidien Alger républicain évoquait « Les prochaines expériences nucléaires françaises au Sahara qui n’ont pas été démenties côté français ». Samedi 16 mars, le même journal s’interrogeait : « Le gouvernement gaulliste procèdera-t-il dimanche à une explosion nucléaire au Sahara ? » Le ton de l’édito était plus péremptoire : « Pas d’explosion atomique chez nous ! » Le journal avait appris, de diverses sources, que malgré les mises en garde de notre gouvernement, Paris avait l’intention de réaliser son projet d’explosion d’une bombe atomique à In Ekker, dimanche 17 mars, « si les conditions météorologiques le permettent » (elle devait avoir lieu le dimanche précédent, mais avait été reportée pour des raisons alors inconnues).

    Le gouvernement algérien prit au sérieux ces « rumeurs », comme le prouve sa réunion tenue le 16 mars à la première heure. Les conséquences de l’initiative française sur les relations entre les deux pays furent examinées par Ben Bella, président du Conseil, et ses ministres. Le communiqué publié à l’issue de cette réunion peut se résumer en une phrase placée en gros titre sur Alger républicain (lundi 18 mars 1963) : « L’Algérie dit non à l’explosion de la bombe atomique française au Sahara. »

    Le gouvernement prend trois décisions : demander la révision des clauses militaires des Accords d’Evian, faire convoquer l’ambassadeur de France par le ministère des Affaires étrangères et rappeler l’ambassadeur d’Algérie en France. La position officielle est exprimée par Ben Bella : l’Algérie est contre toutes les explosions de bombes atomiques. La presse rappelle que, durant l’occupation coloniale, le GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne) avait protesté contre l’utilisation du Sahara comme « périmètre atomique français » à cause des risques de radioactivité dans l’air. Pour la même raison, les premières expériences faites à Reggane avaient été condamnées par les pays amis de l’Algérie qui était en guerre pour son indépendance. Bien plus tard, en 1985, la

    Télévision algérienne diffusera un film documentaire (en 35 mm), Algérie, combien je vous aime, réalisé par Azzedine Meddour (décédé le 16 mai 2000) qui, en 105 minutes, dresse un tableau du colonialisme à partir d'images d'archives, notamment des journaux télévisés français, avec beaucoup d'humour et d'ironie, admirablement servi par le commentaire d’Abdelkader Alloula (assassiné le 10 mars 1994). Sur la base de témoignages directs, Azzedine Meddour révélait pour la première fois au grand public que des prisonniers de guerre algériens avaient été utilisés comme cobayes durant des expériences nucléaires françaises au Sahara sous domination coloniale.

    La riposte en décrets

    En mars 1963, dans l’Algérie indépendante, l’expérience nucléaire prévue par la France, en plus des retombées radioactives, prenait la pire des significations : une atteinte à la souveraineté nationale chèrement recouvrée. Mais cela n’a pas dissuadé la France d’effectuer son essai nucléaire qui consistait à expérimenter un détonateur devant servir d’amorce à la première bombe H française. De Gaulle voulait passer de la « bombinette » - comme était qualifiée sa bombe A par dérision – à la bombe H. Il l’a fait. Dans l’après-midi du lundi 18 mars, le président Ben Bella en était informé par l’ambassadeur Georges Gorse. Aucune trace de l’information dans les journaux du lendemain. Pour le 19 mars, proclamé jour de la Victoire, Alger républicain publie un numéro spécial avec toute sa page Une en couleur illustrée d’une fresque du peintre M’hamed Issiakhem.

    En page intérieure, la question qui traduit le doute est posée : « La bombe française aurait-elle explosé au Sahara ? » Le soir, l’information parvenait aux étudiants, oui, la bombe a explosé au Sahara. A 21 h 30, ils se regroupent devant le siège de leur organisation au boulevard Amirouche et lancent une manifestation qui parcourt les rues d’Alger. Ils sont rejoints par d’autres jeunes aux cris de « Pas de bombes chez nous ! ». Les manifestants exigent de mettre un terme aux essais nucléaires sur notre sol. C’est un défi à notre peuple et une atteinte à la souveraineté de notre pays, proteste encore Alger républicain dans son édition du mercredi 20 mars. Il estime qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence avec la date anniversaire de la signature des Accords d’Evian, c’est une façon de mesurer le degré de dépendance de l’Algérie. Le titre de son édito ne souffre d’aucune ambigüité : « La bombe de l’anniversaire ». Un brusque changement de temps (pluie et neige) est mis sur le compte de cet essai, mais un ingénieur météo réfute tout lien avec l’expérience nucléaire. La riposte algérienne ne tarde pas. Le 20 mars 1963, Ahmed Ben Bella présente à la radio et à la télévision le décret portant « organisation et gestion des entreprises industrielles, ainsi que des exploitations agricoles jugées vacantes du fait du départ des Européens ». Les « biens vacants » sont placés sous le contrôle de l’Etat.

    Ce sont les fameux décrets de mars. Le lendemain, c’est l’annonce de la demande officielle de la révision des Accords d’Evian pour en extirper les clauses qui hypothèquent la souveraineté algérienne. L’ambassadeur Abdelatif Rahal retourne à Paris pour engager cette démarche. La France rejette la demande algérienne. «Nous continuerons les expériences en Algérie ou ailleurs », lance, à Lyon, Pierre Messmer, ministre français des Forces armées. Il tente en même temps de rassurer en affirmant que les expériences sont souterraines et ne présentent aucun risque pour personne, oubliant l’accident qui s’est produit le 1er mai 1962 au cours du second essai nucléaire souterrain dans la montagne du Tan Affela, près de Tamanrasset. Une centaine de personnes avaient été exposées aux radiations, dont Pierre Messmer, lui-même, et Gaston Palewski qui était ministre de la Recherche scientifique (tous deux mourront plus tard d’un cancer en rapport, dit-on, avec les radiations).
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Les montres remises à l’heure algérienne

    La riposte prend des allures inattendues. Le 26 mars, l’Algérie se met à l’heure solaire et abandonne l’heure de Paris. Les Algériens sont invités à retarder les montres d’une heure. Le 1er avril : nationalisation des terres des colons Borgeaud (propriétaire du domaine La Trappe à Staouéli qui prendra le nom de domaine Bouchaoui), Germain, Averseng, ainsi que le domaine Bastos. Des hôtels, des cinémas et d’autres biens appartenant à des Européens sont nationalisés. Les communes ayant un nom français reprennent leur ancien nom algérien d'avant la colonisation ou sont rebaptisées.

    Dès avril 1963, la France annonce son intention de construire une base d’essais nucléaires sur l’Atoll polynésien de Mururoa. En août 1963, un accord entre les Etats-Unis, l’URSS et l’Angleterre est signé à Moscou interdisant les essais nucléaires. La France refuse d’y adhérer (il faudra attendre 1996 et la signature du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires pour que la France s’engage à ne plus jamais réaliser d’essais nucléaires). Le 8 mars 1965, à partir du polygone nommé Hammaguir, à 120 km au sud-ouest de Béchar, la France procède au lancement d’une fusée appelée Emeraude. Cette base, qui a servi au lancement de dizaines de fusées spatiales françaises, a été évacuée en 1967.

    Le bouillonnement de mars

    A peine six mois après le oui massif prononcé par les Algériens au référendum d’autodétermination du 1er juillet et la proclamation de l’indépendance le 5 juillet 1962, l’année 1963 commence avec la disparition d’une séquelle du colonialisme : les enfants cireurs. A Alger, où ils sont les plus nombreux, ces enfants sont orientés vers des centres spécialisés, dont l’un est installé au château Holden à Douéra, qui fut un centre de détention et de torture pendant la guerre de libération, et un autre à Sid Ferruch. Ils recevront des cours de formation professionnelle et n’iront plus dans la rue cirer les chaussures. Le gouvernement fait appel aux dons pour financer cette opération. En mars 1963, les caisses de l’Etat ne débordent pas, au contraire. L’argent provient en partie de prêts de la France, ex-puissance d’occupation, ainsi que de pays amis comme l’ex-URSS et la Chine. Les Etats-Unis avaient refusé d’apporter leur soutien en ces moments difficiles. Aux frontières, le temps est au déminage, autre séquelle du colonialisme.

    La remise en marche des services publics sabotés par l’OAS ou bloqués du fait du départ des pieds-noirs, qui constituaient l’essentiel de l’encadrement, se fait laborieusement. Mais la 1re Renault R8 est tout de même montée à l’usine d’El Harrach. Le 6 mars 1963, c’est la première raffinerie de pétrole qui est déjà inaugurée au Port d’Alger. Une campagne d’alphabétisation et de formation dans plusieurs métiers est organisée. Dans les salles de cinéma de quartiers, des films sont projetés suivis de débats. On appelle cela les ciné-pops (cinéma populaire). Le sport est relancé. Le jeudi 28 février, le stade municipal d’Alger (aujourd’hui, stade du 20 Août) est plein à craquer.

    A la tribune d’honneur, le président Ben Bella et plusieurs membres du gouvernement sont parmi les spectateurs pour Algérie-Tchécoslovaquie gagné par notre équipe nationale 4-0 (tous les buts marqués en seconde mi-temps). Le sport scolaire et universitaire reprend le jeudi 7 mars avec le challenge du nombre, une série de cross auxquels participent des dizaines de milliers de jeunes (7000 rien qu’à Alger). Le 24 mars 1963 se déroule le 1er match féminin de handball dans un stade qui portait encore le nom de Leclerc (stade Ouaguenouni aujourd’hui), entre l’équipe des GLEA (Groupe laïque et d’études d’Alger) et la sélection scolaire.

    Les pieds-rouges

    A l’Assemblée nationale, les députés planchent sur le premier code de la nationalité. Les débats sont très animés pendant plusieurs jours, article par article, amendement par amendement. Le texte devait à la fois tenir compte des exigences des Accords d’Evian, satisfaire la revendication de l’algériannité par une catégorie d’Européens (on les appelait ainsi à l’époque) qui avaient participé à la lutte de libération nationale et faire face au risque de voir d’anciens ultra français devenir Algériens. La loi votée ne fut pas au goût de tous les députés, dont certains l’avaient trouvée plutôt inspirée de la loi sur la nationalité du colonisateur qui venait juste d’être chassé du pays. Les plus mécontents, parmi les députés, furent ceux qui, comme Pierre Chaulet et l’Abbé Berenguer, avaient cru avoir gagné leur nationalité algérienne par leur action en faveur de l’indépendance. Ce n’était pas aussi simple pour eux.

    Ni pour André Ruiz, Fernand Gallinari ou Paul Reynaud qui avaient participé au combat pour l’indépendance puis aidé, de façon déterminante, à faire redémarrer le service public de la Poste. En guise de consolation, Ferhat Abbas, qui eut l’honneur de présider le premier gouvernement algérien, alors que notre pays n’était pas encore indépendant, puis la première Assemblée nationale, après l’indépendance, lança, comme une prophétie, une formule sage et juste : la vie aura raison des textes. Autre consolation, immédiate, celle-là : le 15 avril, c’est Pâques, « jour férié pour les Européens du secteur privé ». Le départ massif des pieds-noirs a été compensé en partie par l’arrivée, dès 1963, des pieds-rouges, ces Français venus en dehors de la coopération aider l’Algérie à se construire. Ils sont frappés par « l’accueil incroyablement hospitalier dans les transports, les magasins, chez les particuliers.

    Parfois même, à la fin d’un long trajet en taxi, le chauffeur refusait qu’on lui paie la course, après avoir appris pourquoi nous étions venus en Algérie. Une telle absence d’animosité, d’esprit de vengeance à l’encontre des Français, surtout des ‘’métropolitains’’ m’a toujours surprise », témoigne Juliette Minces (L’Algérie de la révolution (1963-1964) Editions L’Harmattan 1988), qui était à Révolution africaine avec Jacques Vergès, Gérard Chaliand, Siné et bien d’autres pieds-rouges. En mars 1963, André Mandouze était nommé directeur de l’enseignement supérieur, chargé de diriger l’Université d’Alger et plus largement de poser les fondements de l’Université algérienne moderne.

    Le professeur Jacques Peyrega donnait la leçon inaugurale de son cours d’économie politique à la Salle des Actes, près de l’Université d’Alger. Dans l’enseignement et ailleurs, ces pieds-rouges, par centaines aux noms prestigieux comme Gérard Destanne de Bernis, économiste, Pierre Cot, agrégé de droit, les géographes André Prenant, Yves Lacoste, Jean Dresch, l’historien André Nouschi, l’économiste Charles Bettelheim, le mathématicien Godement, moins connus ou carrément anonymes, spécialistes de différentes disciplines, universitaires, ingénieurs ou médecins, montraient une solidarité sans faille avec les Algériens, sur le terrain et par les actes.

    Le plus prestigieux d’entre eux fut sans doute René Dumont, signataire du Manifeste des 121 contre la guerre d’Algérie, dont le livre phare L’Afrique noire est mal partie (Ed. seuil), sortit en mars 1963, alors qu’il était le conseiller de Ben Bella. C’est lui qui suggéra l’idée d’une grande action populaire de reboisement. Le dimanche 21 avril 1963, Alger s’est vidé de ses habitants partis planter des arbres sur les pentes de l’Arbatache pour protéger le Hamiz. La plus grande action écologique que l’Algérie n’ait jamais connue.
    Écrit par M’hamed Rebah

    reporters.dz
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