Par Mehdi Taje
Spécialiste du Sahel
LE PLUS. Le Sahel est désormais une zone stratégique de l'Afrique. Carrefour de conflits, il représente un enjeu pour l'Algérie. Entre l'investissement de la France au Mali et les circonstances de la tragédie d'In Amenas, Mehdi Taje, expert en géopolitique nord-africaine, propose une lecture nouvelle de la position algérienne et formule des hypothèses.
La zone sahélienne fixe des intérêts multiples par elle-même, mais elle ne se suffit pas à elle-même.
Dans cet espace, l’Algérie, le Maroc et antérieurement la Libye développent des dispositifs diplomatiques, militaires et secrets obéissant à des calculs de neutralisation de l’autre. Les rivalités sont vives, l’enjeu étant de s’assurer le leadership sur un Sahel tourmenté et vulnérable, mais offrant de multiples opportunités. L’effacement programmé de la Libye en tant qu'acteur régional majeur dans la zone ouvre un large boulevard à un monopole stratégique pour l'Algérie qui n'a jamais caché, depuis 1962, ses visées à l’égard du théâtre saharien.
Une position équivoque ?
Alger, compte tenu de son histoire, de la présence de Touaregs sur son territoire et de ses ambitions, développe depuis de longues années une stratégie complexe. Sans nier l’existence au Sahel d’un noyau dur d’islamistes radicaux vecteurs d’un message politico-religieux et ayant recours au terrorisme et à la violence armée, une deuxième clef d’analyse posée à titre d’hypothèse permet de mieux cerner la portée d’AQMI au Maghreb et au Sahel. À l’intérieur de l’État algérien se situent des centres de décision aux stratégies divergentes qui mènent une lutte interne pour le pouvoir et le contrôle des richesses nationales.
Dans le cadre de cette hypothèse, des hommes pivots du mouvement armé du GSPC, devenu AQMI, seraient aux ordres d’un clan disposant de puissants relais au sein des services algériens. Les actions entreprises, aussi extrêmes soient-elles, ne seraient ni plus ni moins que des messages adressés aux clans adverses.
En ce sens, il convient d’établir une distinction entre commanditaires avisés, poursuivant des objectifs stratégiques ou personnels et les exécutants instrumentalisés, simples pions sur un échiquier, mais fondamentalement imprégnés par l’importance de leur cause. Cette distinction est au cœur du raisonnement : il ne s’agit pas de nier la réalité d’authentiques jihadistes mus par une volonté de lutter contre un Occident impie attaquant des terres d’islam, mais de ne pas s’en contenter.
Il est utile de prendre en considération les stratégies secrètes d’acteurs divers poursuivant des intérêts loin de toute foi religieuse, encore plus de l’islam. Le chômage et les injustices sociales, conjugués à l’absence de progrès économiques et sociaux, jouent en faveur des commanditaires et de la persistance du terrorisme en Algérie. En outre, la stratégie occidentale de harcèlement et de stigmatisation des musulmans alimente le choc Occident-Islam et favorise l’endoctrinement et le recrutement des exécutants.
Le discrédit international posé sur Alger
Aqmi avancerait ainsi sensiblement au gré des intérêts de cercles du pouvoir algérien. Comme le souligne Alain Chouet : "La violence dite islamiste algérienne ne se confond pas avec le djihadisme internationaliste du type Al-Qaida (…) Cette violence paraît toujours fortement corrélée aux aléas et aux vicissitudes de la vie politique algérienne"[1].
La menace d’Aqmi pose en réalité la problématique de la maturité historique de l’État et de la société algérienne et de la nature du pouvoir algérien. En dépit du discours du président Bouteflika, le 15 avril 2011,annonçant la revision de la constitution et une ouverture politique en vue des élections législatives du 10 mai 2012, une frange du pouvoir algérien s’est empressée de freiner l’ouverture. C’est la réponse à court terme.
Ainsi, à l’image du double-jeu pratiqué par les services secrets pakistanais ISI ([2]) en Afghanistan, dans le cadre d’une sous-traitance, Aqmi serait-elle en partie un instrument d’influence entre les mains de clans algériens générant une rente stratégique ou sécuritaire monnayable auprès des Occidentaux, tout en justifiant les ambitions hégémoniques algériennes à l’égard de l’espace sahélien(3) ?
La dérive du Polisario étroitement encadré par Alger contribue également à discréditer la stratégie algérienne dans la région. En effet, depuis de nombreuses années, des analystes divers soulignent l'implication croissante de membres du Polisario dans les trafics et leur collusion avec Aqmi et les groupes se revendiquant de l’islamisme radical au Sahel. Un axe Aqmi - Polisario, trafiquants en tous genres et membres des cartels de drogue sud-américains a prospéré sur fond de vulnérabilité des États du Sahel.
Spécialiste du Sahel
LE PLUS. Le Sahel est désormais une zone stratégique de l'Afrique. Carrefour de conflits, il représente un enjeu pour l'Algérie. Entre l'investissement de la France au Mali et les circonstances de la tragédie d'In Amenas, Mehdi Taje, expert en géopolitique nord-africaine, propose une lecture nouvelle de la position algérienne et formule des hypothèses.
La zone sahélienne fixe des intérêts multiples par elle-même, mais elle ne se suffit pas à elle-même.
Dans cet espace, l’Algérie, le Maroc et antérieurement la Libye développent des dispositifs diplomatiques, militaires et secrets obéissant à des calculs de neutralisation de l’autre. Les rivalités sont vives, l’enjeu étant de s’assurer le leadership sur un Sahel tourmenté et vulnérable, mais offrant de multiples opportunités. L’effacement programmé de la Libye en tant qu'acteur régional majeur dans la zone ouvre un large boulevard à un monopole stratégique pour l'Algérie qui n'a jamais caché, depuis 1962, ses visées à l’égard du théâtre saharien.
Une position équivoque ?
Alger, compte tenu de son histoire, de la présence de Touaregs sur son territoire et de ses ambitions, développe depuis de longues années une stratégie complexe. Sans nier l’existence au Sahel d’un noyau dur d’islamistes radicaux vecteurs d’un message politico-religieux et ayant recours au terrorisme et à la violence armée, une deuxième clef d’analyse posée à titre d’hypothèse permet de mieux cerner la portée d’AQMI au Maghreb et au Sahel. À l’intérieur de l’État algérien se situent des centres de décision aux stratégies divergentes qui mènent une lutte interne pour le pouvoir et le contrôle des richesses nationales.
Dans le cadre de cette hypothèse, des hommes pivots du mouvement armé du GSPC, devenu AQMI, seraient aux ordres d’un clan disposant de puissants relais au sein des services algériens. Les actions entreprises, aussi extrêmes soient-elles, ne seraient ni plus ni moins que des messages adressés aux clans adverses.
En ce sens, il convient d’établir une distinction entre commanditaires avisés, poursuivant des objectifs stratégiques ou personnels et les exécutants instrumentalisés, simples pions sur un échiquier, mais fondamentalement imprégnés par l’importance de leur cause. Cette distinction est au cœur du raisonnement : il ne s’agit pas de nier la réalité d’authentiques jihadistes mus par une volonté de lutter contre un Occident impie attaquant des terres d’islam, mais de ne pas s’en contenter.
Il est utile de prendre en considération les stratégies secrètes d’acteurs divers poursuivant des intérêts loin de toute foi religieuse, encore plus de l’islam. Le chômage et les injustices sociales, conjugués à l’absence de progrès économiques et sociaux, jouent en faveur des commanditaires et de la persistance du terrorisme en Algérie. En outre, la stratégie occidentale de harcèlement et de stigmatisation des musulmans alimente le choc Occident-Islam et favorise l’endoctrinement et le recrutement des exécutants.
Le discrédit international posé sur Alger
Aqmi avancerait ainsi sensiblement au gré des intérêts de cercles du pouvoir algérien. Comme le souligne Alain Chouet : "La violence dite islamiste algérienne ne se confond pas avec le djihadisme internationaliste du type Al-Qaida (…) Cette violence paraît toujours fortement corrélée aux aléas et aux vicissitudes de la vie politique algérienne"[1].
La menace d’Aqmi pose en réalité la problématique de la maturité historique de l’État et de la société algérienne et de la nature du pouvoir algérien. En dépit du discours du président Bouteflika, le 15 avril 2011,annonçant la revision de la constitution et une ouverture politique en vue des élections législatives du 10 mai 2012, une frange du pouvoir algérien s’est empressée de freiner l’ouverture. C’est la réponse à court terme.
Ainsi, à l’image du double-jeu pratiqué par les services secrets pakistanais ISI ([2]) en Afghanistan, dans le cadre d’une sous-traitance, Aqmi serait-elle en partie un instrument d’influence entre les mains de clans algériens générant une rente stratégique ou sécuritaire monnayable auprès des Occidentaux, tout en justifiant les ambitions hégémoniques algériennes à l’égard de l’espace sahélien(3) ?
La dérive du Polisario étroitement encadré par Alger contribue également à discréditer la stratégie algérienne dans la région. En effet, depuis de nombreuses années, des analystes divers soulignent l'implication croissante de membres du Polisario dans les trafics et leur collusion avec Aqmi et les groupes se revendiquant de l’islamisme radical au Sahel. Un axe Aqmi - Polisario, trafiquants en tous genres et membres des cartels de drogue sud-américains a prospéré sur fond de vulnérabilité des États du Sahel.
Commentaire