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Armes-Syrie : "le régime ne se sert pas des deux tiers de ses forces"

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  • Armes-Syrie : "le régime ne se sert pas des deux tiers de ses forces"

    Faut-il livrer directement des armes à l'Armée Syrienne Libre ? Quel types d'équipement la France et la Grande-Bretagne comptent-elles envoyer ? Quelles pourront être les conséquences d'une livraison directe d'armes à la rébellion ? C'est à ces épineuses questions que les Ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne tenteront de répondre lors de leur réunion informelle, ce vendredi et samedi à Dublin. Suite au précédent libyen, ces questions divisent les Européens : excepté la France et la Grande-Bretagne, les autres capitales européennes sont plutôt hostiles à une telle option craignant, pour certains une régionalisation du conflit et pour d'autres qu'elles tombent entre les mains des insurgés islamistes.

    Fabrice Balanche


    Pour mieux comprendre l'enjeu du débat qui divise actuellement l'Europe, ARTE Journal s'est adressé à Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

    Claire Stephan pour ARTE Journal : Les ministres européens des Affaires étrangères de l'UE se réunissent aujourd'hui et demain à Dublin pour évoquer la question des livraisons des armes à destination de la Syrie. La France et la Grande-Bretagne ont déjà déclaré qu'elles pourraient décider de livrer directement des armes à la rébellion : quelles seraient les conséquences d'une telle livraison ?



    Fabrice Balanche : « Première conséquence, c'est que nos intérêts au Liban risquent d'être menacés, je pense notamment au contingent français de la FINUL qui se trouve au sud-Liban et qui pourrait être victime de représailles. On l'a vu en décembre 2011 lorsque les Français ont voulu entraîner les rebelles syriens au Liban et qu'une petite bombe a été déposée sur leur passage et qu'elle a fait quelques blessés. C'était clairement un avertissement du Hezbollah à la France et donc on a tout de suite arrêté cet entraînement ».

    Quelles autres conséquences ?



    Fabrice Balanche : « La Russie en fait n'attend que cela pour augmenter ses livraisons d'armes au régime de Bachar al-Assad avec du matériel beaucoup plus sophistiqué et beaucoup plus meurtrier. Ce que la France et la Grande-Bretagne voudraient livrer aux rebelles syriens, ce sont des lance-roquettes anti-chars ou des missiles sol-air pour que les rebelles aient la maîtrise du ciel dans les zones qu'ils ont libérées. Et à ce moment là, le régime syrien n'aura pas d'états d'âme à bombarder ces zones de plus haut avec des bombardiers qui ne peuvent pas être atteints par ces lance-missiles. Le régime peut aussi avoir recours tout simplement à des scuds ce qui ferait évidemment beaucoup plus de dégâts. »

    Autre question qui divise les Européens, la récupération éventuelle des armes livrées par des groupuscules djihadistes...



    Fabrice Balanche : « Le Ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a déclaré que ces armes seraient livrées à la branche armée de la Coalition nationale syrienne, ceux que l'on considère comme des « Laïcs ». Mais il faut savoir que cette branche armée n'existe pas. Vous avez l'Armée syrienne libre qui a officiellement un état major en Turquie mais c'est juste un logo. Quelques groupes rebelles lui ont fait allégeance en espérant obtenir de l'argent et des armes mais, sur le terrain, ils font ceux qu'ils veulent. Et ce sont surtout les groupes islamistes qui mènent la lutte la plus efficace sur le terrain et il est clair que si on donne des lance-missiles à des groupes rebelles, ils risquent de se les faire prendre justement par ces djihadistes. Ils risquent aussi de les vendre, tout simplement aux djihadistes et comment contrôler leur utilisation ? Ils peuvent aussi bien abattre des avions militaires que des avions civils... »

    L'ONU enquête actuellement, suite à la demande du régime syrien, sur l'usage d'armes chimiques en Syrie notamment par la rébellion. Cela vous semble-t-il plausible ? Selon vos informations, le régime a-t-il également déjà fait usage de telles armes ?


    Fabrice Balanche : «Il est possible que le régime ait fait usage de gaz paralysants à Homs l'année dernière par exemple pour reprendre un quartier, elle en a fait un usage assez limité. Le régime et l'opposition s'accusent mutuellement d'utiliser ces armes chimiques à Alep également pour la prise d'un lieu stratégique. C'est assez difficile à dire. Cela fait partie de la stratégie occidentale de stigmatiser le régime syrien en disant qu'il utilise des armes chimiques et le régime syrien, de son côté, se défend en accusant l'opposition de le faire, semant le trouble dans l'opinion, les médias, les agences d'information. Et cela fait partie de la stratégie de communication du régime : il fait en sorte que tout l'information qui provient de Syrie, qu'il s'agisse de l'opposition ou du régime lui-même, même si on n'y croit pas beaucoup de toute façon, soit complètement brouillée, inaudible, sujette à caution ».

    Voilà deux ans que la Syrie est en guerre. La rébellion continue de progresser dans l'est et le nord, les combats s'intensifient y compris dans la capitale- peut-on envisager une fin prochaine du régime de Bachar al-Assad ?






    Fabrice Balanche : «C'est un régime qui agonise doucement. Une fin dans deux ans, trois ans peut être, c'est à cette échelle qu'il faut envisager les choses si les paramètres géopolitiques ne changent pas. C'est un régime qui se réduit aujourd'hui à un axe stratégique qui part de Lattaquié, la région côtière, en passant par le centre, Homs, Hama et Damas, la capitale et le principal pôle économique de Syrie. Le régime a abandonné les territoires qui lui sont hostiles, notamment dans le nord du pays, les campagnes arabes sunnites conservatrices qui font le lit de la rébellion et qui justement virent du
    côté des islamistes parce que ce sont des populations pauvres, conservatrices, qui veulent changer le régime, mais dans un but vraiment communautaire. Les territoires que le régime abandonne dans les villes comme Alep ou Deir Ezzor, il les réduit en miettes pour que les populations d'autres lieux qui n'ont pas encore basculé dans l'insurrection prennent peur et n'aient pas envie de voir leurs quartiers, leurs maisons réduits en poussière. Cela fait partie de la stratégie de contre-insurrection menée par le régime. Cette stratégie a quand même du mal à fonctionner mais elle permet au régime de tenir cet axe stratégique face à la rébellion qui aura du mal à entamer cette position ? Damas a toujours le soutien de la Russie et de l'Iran, de l'Irak et de partis politiques libanais qui lui assurent son approvisionnement en armes et en financements ».

    Dans sa dernière interview accordée la semaine passée à un journal britannique, le président syrien a déclaré que l'insurrection était sur le point d'être écrasée...



    Fabrice Balanche : « Je ne pense pas que la rébellion va être écrasée mais cela fait partie de communication à l'égard de ses partisans pour éviter qu'ils ne soient démobilisés, que la majorité silencieuse en Syrie ne bascule dans l'opposition parce qu'on voit qu'il y a quand même une progression très forte des rebelles dans le nord de la Syrie. La ville de Raqa est tombée début mars et la vallée de l'Euphrate échappe quasi-complètement au régime. Nous avons donc toute la partie nord du pays qui est aux mains de la rébellion et il semble difficile au régime de parvenir à reprendre ces zones parce que même s'il a une armée estimée à 300 000 hommes et plus de 100 000 réservistes qui l'ont rejointe aujourd'hui, il ne se sert pas en fait des deux-tiers de ses forces qui sont constituées par des soldats sunnites dont il se méfie, dont il a craint la désertion. Alors il préfère les confiner dans les casernes et les tenir à l'écart du front pour éviter qu'ils ne rejoignent la rébellion ».

    Parallèlement aux raids et aux combats, les attentats se multiplient – hier encore un kamikaze s'est fait exploser dans une mosquée de Damas hier. Parmi la quarantaine de victimes, le plus célèbre dignitaire religieux sunnite, Mohammad Saïd Al-Bouti, favorable au régime. Quel était l'objectif de cette attaque, appuyer sur le côté religieux du conflit ?




    Fabrice Balanche :« Bouti était effectivement un grand cheikh sunnite qui était respecté en Syrie et qui a toujours été proche du régime. Là, il s'agit d'un attentat kamikaze perpétré par un groupe djihadiste qui vise les dignitaires sunnites qui soutiennent le régime. Le grand Mufti de Syrie, le Cheikh Hassoun est lui aussi dans le viseur des groupes djihadistes. Son fils avait été assassiné en 2011 par des groupes djihadistes. Il s'agit de décapiter le clergé sunnite qui soutient le régime. »

    Crise, conflit, guerre civile...les experts sont loin d 'être d'accord lorsqu'il s'agit de qualifier ce qu'il se passe aujourd'hui en Syrie, quel est commentaire ?



    Fabrice Balanche : « Il est très clair que ce qu'il se passe en Syrie est une guerre civile, avec de fortes tendances communautaires et de plus en plus communautaires. Au début du conflit, on pouvait avoir une lecture politique avec une population qui se révolte contre un régime autoritaire, corrompu, comme cela s'est passé en Tunisie ou en Égypte. Mais très rapidement, les minorités et notamment les Alaouites se sont désolidarisés du conflit parce que les slogans lors des manifestations visaient évidemment la communauté alaouite. En 2011, lorsqu'il y a eu les premières révoltes au sud de la Syrie, à Deraa, on a focalisé sur le côté politique de la protestation. Mais on oubliait qu'à Banias, Lattaquié, villes côtières mixtes alaouites-sunnites, les populations sunnites s'étaient révoltées et attaquaient les Alaouites qu'ils considéraient comme les suppôts du régime et qui monopolisaient tous les postes dans la fonction publique et l'armée. Et l'épicentre de la violence qu'est devenu très rapidement Homs est aussi une ville mixte et les oppositions ont vite dégénéré en conflit communautaire. Les quartiers alaouites de Homs par exemple se faisaient bombarder depuis les quartiers sunnites. Donc aujourd'hui, on est véritablement dans cette confrontation Alaouites-Sunnites, avec autour des Aalouites les autres minorités comme les Druzes et les Chrétiens mais également des Sunnites dits « laïcs » et qui profitent du régime, qui sont la bureaucratie également et qui ne veulent pas vivre dans une Syrie qui serait islamiste. Ils craignent aussi pour leurs intérêts car les opposants syriens voudront nettoyer l'administration et l'armée des loyalistes au régime, des Alaouites en priorité mais aussi des Sunnites qui collaborent depuis toujours avec eux ».
    ARTE
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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