Livrer des armes à une insurrection syrienne qui s’entredéchire ? Depuis la démission surprise du président de la Coalition nationale, en conflit avec le premier ministre de cette même coalition imposé la semaine dernière à Istanbul par le Qatar, Laurent Fabius semble douter.
Les insurgés syriens, au bout de 70 000 morts, qui ne comprendrait leur détresse ? Oui, mais quels insurgés ? Dès l’annonce de la décision française et britannique de leur livrer des armes, tous les doutes étaient permis sur la destination finale de cette aide militaire. A quel canal les transmettre dans le brouillard de la résistance à Assad ? Au canal modéré, au canal islamiste, au canal djihadiste affilié à Al Qaida ? Ces réticences — on s’en est fait l’écho à Marianne (*) — furent immédiatement dénoncées comme une nouvelle preuve du caractère « munichois » et de la sécheresse de cœur de leurs auteurs, accusés de neutralisme glacé. A noter que l’adjectif « munichois », à force de passer en boucle dans le vocabulaire outrancier de l’idéologie, finit par perdre toute signification historique et par noyer dans une brume lointaine le « Munich » initial, celui des tristes accords de septembre 1938 qui abandonnèrent la Tchécoslovaquie à Hitler au nom d’un pacifisme illusoire et honteux. Il y a dix ans, en mars 2003, les néo-conservateurs français traitèrent ainsi de « munichois » ceux de leurs compatriotes – 80% de notre pays ainsi que son président d’alors, Jacques Chirac- qui s’opposaient à la désastreuse attaque américaine contre l’Irak...
La mort d’Assad – une rumeur qui a couru tout le week-end et se révèle jusqu’ici infondée- parviendrait-elle à souder les frères ennemis de la révolution syrienne ? Douteux. Depuis 48 heures, il se produit des séismes qui confirment la réalité des conflits fratricides entre insurgés. Un Premier ministre de la rébellion a été élu le 18 mars à Istanbul. Il s’agit de Ghassan Hitto, si difficilement élu d’ailleurs que ses nombreux adversaires le jugent plutôt « désigné ». Par qui ? Par le Qatar. Car Hitto est un Frère musulman et le Qatar, qui veut gouverner toutes les révolutions arabes, l’a choisi comme joker. Cela ne convient pas à tous les Syriens. Sur le terrain, l’Armée Syrienne libre a immédiatement annoncé son refus. Le Premier ministre, répudié par les combattants, l’a ensuite été par le propre chef de la Coalition nationale syrienne, Ahmed Moaz al- Khatib, respecté par beaucoup plus de monde mais qui a le tort de ne pas être adoubé par le Qatar. Moaz al-Khatib a démissionné de ses fonctions « pour pouvoir œuvrer, dit-il, avec une liberté impossible à trouver dans une organisation officielle ». Et il a fustigé « la tentative de certains pays de contrôler l’opposition syrienne ».
Seulement Moaz al-Khatib est un interlocuteur important depuis novembre dernier pour les pays occidentaux qui se proposent d’aider son peuple. Sa légitimité sur le terrain est reconnue : il est resté en Syrie jusqu’en juin 2012, ce qui n’est pas le cas des autres opposants. A quelle tendance appartient-il ? Certainement pas au camp laïque, tragiquement isolé alors que ses leaders ont tant souffert pendant des décennies sous la dynastie Assad. Non, Moaz al-Khatib est un « salafiste modéré », qualificatif dont nous laissons la responsabilité à Thomas Pierret, qui a travaillé sur le champ religieux syrien et s’est confié à l’AFP. Néanmoins, pour cet universitaire, « Al Khatib est quelqu’un d’honnête, ouvert d’esprit, capable de dialoguer sereinement avec des représentants de toutes les tendances, de l’islamiste radical au laïc convaincu ». Le vice-président de la Coalition, Riad Seif, est d’ailleurs lui-même un laïc, représentant de cette gauche arabe aux racines anciennes, détestée et combattue par les Frères musulmans.
Pendant ce temps-là, Ghassan Hitto s’est rendu à Alep pour essayer de se trouver des soutiens parmi les combattants. Plus loin vers l’Est, entre Deir Ezzor et Raqa, d’autres guerriers, ceux du groupe Al Nosra, rivaux de l’Armée syrienne libre, volent de victoire en victoire sur les ailes du Djihad. Avec eux, les conseils de Charia s’installent dans les zones conquises sur les forces d’Assad.
Tout cela n’est pas simple. D’autant qu’à Doha, au Qatar, s’ouvre mardi 26 mars le sommet arabe. Le Premier ministre rebelle contesté, Ghassan Hitto, et le chef démissionnaire Moaz Al Khatib y délivreront des messages bien différents.
Cette complexité semble s’être révélée in extremis à Laurent Fabius. Il y a une semaine encore, chaud partisan des livraison d’armes à la rébellion, le chef de la diplomatie française s’est montré nettement plus prudent dans une interview lundi 25 mars à Europe 1. Troublé par le schisme dans l’insurrection, il a émis le vœu « que l’opposition se réunisse à nouveau ». Donc qu’elle élise un nouveau chef ? Hostile au Qatar qui serait alors défait dans son interventionnisme sur le front syrien ? Fabius a défini ensuite ce qui apparaît entre les lignes comme un frein à la livraison d’armes par Paris : « Nous souhaitons que l’opposition reste dans ses limites réformistes et nous ne sommes absolument pas d’accord pour une dérive extrémiste »...
Martine GOZLAN - Marianne
Les insurgés syriens, au bout de 70 000 morts, qui ne comprendrait leur détresse ? Oui, mais quels insurgés ? Dès l’annonce de la décision française et britannique de leur livrer des armes, tous les doutes étaient permis sur la destination finale de cette aide militaire. A quel canal les transmettre dans le brouillard de la résistance à Assad ? Au canal modéré, au canal islamiste, au canal djihadiste affilié à Al Qaida ? Ces réticences — on s’en est fait l’écho à Marianne (*) — furent immédiatement dénoncées comme une nouvelle preuve du caractère « munichois » et de la sécheresse de cœur de leurs auteurs, accusés de neutralisme glacé. A noter que l’adjectif « munichois », à force de passer en boucle dans le vocabulaire outrancier de l’idéologie, finit par perdre toute signification historique et par noyer dans une brume lointaine le « Munich » initial, celui des tristes accords de septembre 1938 qui abandonnèrent la Tchécoslovaquie à Hitler au nom d’un pacifisme illusoire et honteux. Il y a dix ans, en mars 2003, les néo-conservateurs français traitèrent ainsi de « munichois » ceux de leurs compatriotes – 80% de notre pays ainsi que son président d’alors, Jacques Chirac- qui s’opposaient à la désastreuse attaque américaine contre l’Irak...
La mort d’Assad – une rumeur qui a couru tout le week-end et se révèle jusqu’ici infondée- parviendrait-elle à souder les frères ennemis de la révolution syrienne ? Douteux. Depuis 48 heures, il se produit des séismes qui confirment la réalité des conflits fratricides entre insurgés. Un Premier ministre de la rébellion a été élu le 18 mars à Istanbul. Il s’agit de Ghassan Hitto, si difficilement élu d’ailleurs que ses nombreux adversaires le jugent plutôt « désigné ». Par qui ? Par le Qatar. Car Hitto est un Frère musulman et le Qatar, qui veut gouverner toutes les révolutions arabes, l’a choisi comme joker. Cela ne convient pas à tous les Syriens. Sur le terrain, l’Armée Syrienne libre a immédiatement annoncé son refus. Le Premier ministre, répudié par les combattants, l’a ensuite été par le propre chef de la Coalition nationale syrienne, Ahmed Moaz al- Khatib, respecté par beaucoup plus de monde mais qui a le tort de ne pas être adoubé par le Qatar. Moaz al-Khatib a démissionné de ses fonctions « pour pouvoir œuvrer, dit-il, avec une liberté impossible à trouver dans une organisation officielle ». Et il a fustigé « la tentative de certains pays de contrôler l’opposition syrienne ».
Seulement Moaz al-Khatib est un interlocuteur important depuis novembre dernier pour les pays occidentaux qui se proposent d’aider son peuple. Sa légitimité sur le terrain est reconnue : il est resté en Syrie jusqu’en juin 2012, ce qui n’est pas le cas des autres opposants. A quelle tendance appartient-il ? Certainement pas au camp laïque, tragiquement isolé alors que ses leaders ont tant souffert pendant des décennies sous la dynastie Assad. Non, Moaz al-Khatib est un « salafiste modéré », qualificatif dont nous laissons la responsabilité à Thomas Pierret, qui a travaillé sur le champ religieux syrien et s’est confié à l’AFP. Néanmoins, pour cet universitaire, « Al Khatib est quelqu’un d’honnête, ouvert d’esprit, capable de dialoguer sereinement avec des représentants de toutes les tendances, de l’islamiste radical au laïc convaincu ». Le vice-président de la Coalition, Riad Seif, est d’ailleurs lui-même un laïc, représentant de cette gauche arabe aux racines anciennes, détestée et combattue par les Frères musulmans.
Pendant ce temps-là, Ghassan Hitto s’est rendu à Alep pour essayer de se trouver des soutiens parmi les combattants. Plus loin vers l’Est, entre Deir Ezzor et Raqa, d’autres guerriers, ceux du groupe Al Nosra, rivaux de l’Armée syrienne libre, volent de victoire en victoire sur les ailes du Djihad. Avec eux, les conseils de Charia s’installent dans les zones conquises sur les forces d’Assad.
Tout cela n’est pas simple. D’autant qu’à Doha, au Qatar, s’ouvre mardi 26 mars le sommet arabe. Le Premier ministre rebelle contesté, Ghassan Hitto, et le chef démissionnaire Moaz Al Khatib y délivreront des messages bien différents.
Cette complexité semble s’être révélée in extremis à Laurent Fabius. Il y a une semaine encore, chaud partisan des livraison d’armes à la rébellion, le chef de la diplomatie française s’est montré nettement plus prudent dans une interview lundi 25 mars à Europe 1. Troublé par le schisme dans l’insurrection, il a émis le vœu « que l’opposition se réunisse à nouveau ». Donc qu’elle élise un nouveau chef ? Hostile au Qatar qui serait alors défait dans son interventionnisme sur le front syrien ? Fabius a défini ensuite ce qui apparaît entre les lignes comme un frein à la livraison d’armes par Paris : « Nous souhaitons que l’opposition reste dans ses limites réformistes et nous ne sommes absolument pas d’accord pour une dérive extrémiste »...
Martine GOZLAN - Marianne
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