Gaël Brustier
Chercheur en science politique
Il est assez intéressant de constater le degré d’hystérie qui a entouré, en France, la mort de Chavez. Rarement la méconnaissance de l’histoire et de la situation d’un pays ne s’est étalée avec autant de satisfaction de la part de dizaines d’analystes improvisés.
Tout le monde aurait néanmoins à gagner d’une analyse dépassionnée. Il faut pour cela évoquer un minimum d’histoire.
Après la dictature de Perez-Gimenez (1948-1958) et la révolte armée qui mit fin à son régime, une « quatrième république » vit le jour. A Punto Fijo, dans l’Est de Caracas, trois partis concluent alors un pacte : Accion Democratica, COPEI et URD… C’est là que se noue l’histoire récente du Venezuela.
Avant Chavez : une démocratie exemplaire ?
Que dit ce « Pacte de Punto Fijo » ? Que ces trois partis s’entendent sur un système démocratique représentatif mais s’accordent pour exclure le Parti communiste vénézuélien de l’exercice des responsabilités.
Pendant des années, le PCV est marginalisé, de même que toutes les structures politiques qui se situent à la gauche de l’échiquier. Militants d’organisations de gauche, de la Ligue socialiste, du MAS, de La Causa R payent souvent durement leur engagement, parfois au prix de leur vie.
Une guérilla voit le jour. Elle a pour leaders de jeunes intellectuels en rupture avec le PCV : Douglas Bravo, Teodoro Petkoff, Pompeyo Marquez… Les FALN se nourrissent de jeunes issus du PCV ou du MIR, scission gauchiste de AD… Un témoignage contemporain sur cette guérilla est disponible dans les « Ecrits sur l’Amérique latine » de Régis Debray.
La gauche est également divisée : un avocat des droits de l’homme (José Vicente Rangel) la représente à plusieurs élections et obtient de faibles scores tandis que Teodoro Petkoff, ancien guérillero, la représente lui-aussi à l’élection de 1983, avec de piètres résultats.
Les différents grands partis, en particulier COPEI et AD développent un clientélisme qui, peu à peu, devient endémique. La crise économique des années 1980 bouleverse la donne. La classe moyenne s’effondre en même temps qu’une économie totalement dépendante du pétrole et que le gouvernement de Carlos Andrés Pérez a mené à la ruine…
1989-1993 : massacres, putsch et débat d’idées
En février 1989, une batterie de mesures imposées par le FMI est décrétée par le gouvernement. S’ensuivent des journées d’émeutes et de répressions. On relève environ 3000 morts. C’est le Caracazo.
En marge de ces émeutes et de leur répression, des familles de militants de gauche sont systématiquement assassinées par des « escadrons de la mort ». Le gouvernement de Carlos Andrés Pérez demeurera associé à ces massacres. Parmi les militaires et les policiers, souvent issus des classes populaires, une colère sourde monte.
En février 92, un groupe d’officiers, menés par Hugo Chavez, tentent de renverser par les armes le gouvernement de Carlos Andrés Pérez (CAP). Le groupe d’officiers est en lien, via Adan Chavez, le frère d’Hugo, avec Douglas Bravo, figure tutélaire de la gauche radicale vénézuelienne et chef historique des FALN.
Ce groupe se réclame des idées de Bolivar et campe sur le flanc gauche de la contestation contre le gouvernement de CAP… Le coup de force échoue. Mais Chavez saisit sa chance médiatique. « Por ahora » – « pour l’heure » – il n’a pas atteint ses objectifs, clame-t-il devant les caméras. Plus tard, il les atteindra. Le 4 février est à Chavez ce que la Moncada est à Castro. Un échec militaire, une naissance médiatique.
Peu après, Carlos Andrés Perez est accusé de corruption et destitué. La crise économique enfle. Les élites se délitent. La gauche radicale se consolide.
1993 : la fin de Punto Fijo
En 1993, Rafael Caldera, vieux politicien matois et conservateur, est élu à la tête d’une coalition de partis allant du centre droit aux partis de la gauche radicale, en ayant pris soin de rompre avec son ancien parti, COPEI. A cette même élection, Andres Velasquez, candidat de La Causa R, parti de la gauche radicale, obtient pas moins de 22%.
Deux anciens guérilleros – Pompeyo Marquez et Teodoro Petkoff – entrent au gouvernement. Le premier en tant que ministre de la Frontière (tous les gouvernements vénézuéliens étant obligés de contrôler étroitement les activités des diverses factions belligérantes à la frontière colombienne), le second en tant que ministre des Infrastructures.
Mais ce gouvernement, qui rompt formellement avec le Pacte de Punto Fijo, ne rompt pas, pour autant, avec les orientations économiques des cabinets précédents.
C’est l’époque où les gauches hésitent et où beaucoup acceptent l’idée selon laquelle le capitalisme est un « horizon indépassable » et selon laquelle les recettes néolibérales marchent. Petkoff devient l’archétype de l’homme de gauche rallié au néolibéralisme.
En 1994, Chavez est libéré. Bien vite, il va donner des gages. Troquant le treillis pour un costume, il va jusqu’à déclarer que Cuba est une dictature. Surtout, il va finir par accepter de jouer le jeu électoral sur les conseils de politiciens qui ont quitté les partis gouvernementaux comme Luis Miquilena.
A la fin de l’année 1997, c’est encore Irene Saez, ancienne Miss Univers et Maire de Chacao (sorte de XVIe arrondissement de Caracas) qui est favorite dans les sondages. Preuve que le Venezuela se cherche une alternative aux partis de la IVe République.
1998-2002 : alternance ou alternative ?
Il engage sa campagne de 1998 en professant une modération économique qui rassure tout le monde – il se réclame de la « troisième voie » blairiste – mais promet surtout la fin du « Pacte de Punto Fijo » (qui a en fait déjà du plomb dans l’aile), une nouvelle Constitution (la cinquième de l’histoire du Venezuela), la fin de la corruption et, plus important encore, la fin de la pauvreté.
Peu à peu, Chavez engrange les soutiens, il gagne avec 56%, engage un processus constituant, et se représente deux ans plus tard, en 2000, face à un ancien de ses soutiens : Francisco Arias Cardenas (aujourd’hui candidat chaviste dans l’Etat de Zulia).
Il favorise les programmes d’alphabétisation, utilise le pétrole de PDVSA pour échanger celui-ci contre des médecins cubains, développe des médias locaux… La « démocratie participative et protagonique » née de la nouvelle constitution est prise en horreur par les quartiers les plus riches…
Les « Cercles bolivariens » sont vécus comme des dangers par la bourgeoisie vénézuelienne… Certains de ses soutiens font défection et le MAS explose. Chavez agrège autour de lui une partie importante du pays mais dresse contre lui des ennemis puissants : l’encadrement de PDVSA, le Medef local – dirigé par Pedro Carmona Estanga.
Chercheur en science politique
Il est assez intéressant de constater le degré d’hystérie qui a entouré, en France, la mort de Chavez. Rarement la méconnaissance de l’histoire et de la situation d’un pays ne s’est étalée avec autant de satisfaction de la part de dizaines d’analystes improvisés.
Tout le monde aurait néanmoins à gagner d’une analyse dépassionnée. Il faut pour cela évoquer un minimum d’histoire.
Après la dictature de Perez-Gimenez (1948-1958) et la révolte armée qui mit fin à son régime, une « quatrième république » vit le jour. A Punto Fijo, dans l’Est de Caracas, trois partis concluent alors un pacte : Accion Democratica, COPEI et URD… C’est là que se noue l’histoire récente du Venezuela.
Avant Chavez : une démocratie exemplaire ?
Que dit ce « Pacte de Punto Fijo » ? Que ces trois partis s’entendent sur un système démocratique représentatif mais s’accordent pour exclure le Parti communiste vénézuélien de l’exercice des responsabilités.
Pendant des années, le PCV est marginalisé, de même que toutes les structures politiques qui se situent à la gauche de l’échiquier. Militants d’organisations de gauche, de la Ligue socialiste, du MAS, de La Causa R payent souvent durement leur engagement, parfois au prix de leur vie.
Une guérilla voit le jour. Elle a pour leaders de jeunes intellectuels en rupture avec le PCV : Douglas Bravo, Teodoro Petkoff, Pompeyo Marquez… Les FALN se nourrissent de jeunes issus du PCV ou du MIR, scission gauchiste de AD… Un témoignage contemporain sur cette guérilla est disponible dans les « Ecrits sur l’Amérique latine » de Régis Debray.
La gauche est également divisée : un avocat des droits de l’homme (José Vicente Rangel) la représente à plusieurs élections et obtient de faibles scores tandis que Teodoro Petkoff, ancien guérillero, la représente lui-aussi à l’élection de 1983, avec de piètres résultats.
Les différents grands partis, en particulier COPEI et AD développent un clientélisme qui, peu à peu, devient endémique. La crise économique des années 1980 bouleverse la donne. La classe moyenne s’effondre en même temps qu’une économie totalement dépendante du pétrole et que le gouvernement de Carlos Andrés Pérez a mené à la ruine…
1989-1993 : massacres, putsch et débat d’idées
En février 1989, une batterie de mesures imposées par le FMI est décrétée par le gouvernement. S’ensuivent des journées d’émeutes et de répressions. On relève environ 3000 morts. C’est le Caracazo.
En marge de ces émeutes et de leur répression, des familles de militants de gauche sont systématiquement assassinées par des « escadrons de la mort ». Le gouvernement de Carlos Andrés Pérez demeurera associé à ces massacres. Parmi les militaires et les policiers, souvent issus des classes populaires, une colère sourde monte.
En février 92, un groupe d’officiers, menés par Hugo Chavez, tentent de renverser par les armes le gouvernement de Carlos Andrés Pérez (CAP). Le groupe d’officiers est en lien, via Adan Chavez, le frère d’Hugo, avec Douglas Bravo, figure tutélaire de la gauche radicale vénézuelienne et chef historique des FALN.
Ce groupe se réclame des idées de Bolivar et campe sur le flanc gauche de la contestation contre le gouvernement de CAP… Le coup de force échoue. Mais Chavez saisit sa chance médiatique. « Por ahora » – « pour l’heure » – il n’a pas atteint ses objectifs, clame-t-il devant les caméras. Plus tard, il les atteindra. Le 4 février est à Chavez ce que la Moncada est à Castro. Un échec militaire, une naissance médiatique.
Peu après, Carlos Andrés Perez est accusé de corruption et destitué. La crise économique enfle. Les élites se délitent. La gauche radicale se consolide.
1993 : la fin de Punto Fijo
En 1993, Rafael Caldera, vieux politicien matois et conservateur, est élu à la tête d’une coalition de partis allant du centre droit aux partis de la gauche radicale, en ayant pris soin de rompre avec son ancien parti, COPEI. A cette même élection, Andres Velasquez, candidat de La Causa R, parti de la gauche radicale, obtient pas moins de 22%.
Deux anciens guérilleros – Pompeyo Marquez et Teodoro Petkoff – entrent au gouvernement. Le premier en tant que ministre de la Frontière (tous les gouvernements vénézuéliens étant obligés de contrôler étroitement les activités des diverses factions belligérantes à la frontière colombienne), le second en tant que ministre des Infrastructures.
Mais ce gouvernement, qui rompt formellement avec le Pacte de Punto Fijo, ne rompt pas, pour autant, avec les orientations économiques des cabinets précédents.
C’est l’époque où les gauches hésitent et où beaucoup acceptent l’idée selon laquelle le capitalisme est un « horizon indépassable » et selon laquelle les recettes néolibérales marchent. Petkoff devient l’archétype de l’homme de gauche rallié au néolibéralisme.
En 1994, Chavez est libéré. Bien vite, il va donner des gages. Troquant le treillis pour un costume, il va jusqu’à déclarer que Cuba est une dictature. Surtout, il va finir par accepter de jouer le jeu électoral sur les conseils de politiciens qui ont quitté les partis gouvernementaux comme Luis Miquilena.
A la fin de l’année 1997, c’est encore Irene Saez, ancienne Miss Univers et Maire de Chacao (sorte de XVIe arrondissement de Caracas) qui est favorite dans les sondages. Preuve que le Venezuela se cherche une alternative aux partis de la IVe République.
1998-2002 : alternance ou alternative ?
Il engage sa campagne de 1998 en professant une modération économique qui rassure tout le monde – il se réclame de la « troisième voie » blairiste – mais promet surtout la fin du « Pacte de Punto Fijo » (qui a en fait déjà du plomb dans l’aile), une nouvelle Constitution (la cinquième de l’histoire du Venezuela), la fin de la corruption et, plus important encore, la fin de la pauvreté.
Peu à peu, Chavez engrange les soutiens, il gagne avec 56%, engage un processus constituant, et se représente deux ans plus tard, en 2000, face à un ancien de ses soutiens : Francisco Arias Cardenas (aujourd’hui candidat chaviste dans l’Etat de Zulia).
Il favorise les programmes d’alphabétisation, utilise le pétrole de PDVSA pour échanger celui-ci contre des médecins cubains, développe des médias locaux… La « démocratie participative et protagonique » née de la nouvelle constitution est prise en horreur par les quartiers les plus riches…
Les « Cercles bolivariens » sont vécus comme des dangers par la bourgeoisie vénézuelienne… Certains de ses soutiens font défection et le MAS explose. Chavez agrège autour de lui une partie importante du pays mais dresse contre lui des ennemis puissants : l’encadrement de PDVSA, le Medef local – dirigé par Pedro Carmona Estanga.
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