Permettez-moi, Président,de te tutoyer car à la veille de la commémoration
du Congrès de la Soummam, je prends la liberté de m’adresser au compagnon de
la Révolution plutôt qu’au Chef de l’Etat. Histoire oblige ! En te livrant
quelques cogitations.
Le peuple ne sait pas que son président avait pour nom de guerre «Si
Abdelkader» et nous avons pour devoir dans chacun de nos écrits de lui
livrer une page de son Histoire. Permets-moi de rappeler deux choses où nous
eûmes à collaborer tous deux :
1) Quand tu étais à l’état-major de Ghardimaou, tu venais souvent me voir à
la mission diplomatique de Tunis dont j’avais la charge avec de gros
dossiers de contentieux entre notre armée et les autorités tunisiennes.
A cet effet, je dois signaler par respect de l’histoire que nous nous sommes
comportés en Tunisie comme en pays conquis, compte tenu de l’excellence de
notre organisation et de la faiblesse de ce jeune Etat naissant. Pour preuve
de solidarité, nos frères tunisiens ont subi les bombardements de Bizerte et
surtout de Sakiet Sidi Youcef. Comme j’avais en charge les rapports avec la
Tunisie, et que j’avais d’excellents rapports avec son gouvernement, surtout
avec le président Bourguiba qui m’appelait «mon fils», je réglais tous les
problèmes que tu me soumettais de la part de Si Boumediène, chef
d’état-major. J’évoque sa mémoire avec respect car il m’a toujours témoigné
une grande affection malgré les vicissitudes politiques notamment la crise
de 1962, qui, fort heureusement, fut brève et sans séquelles. Rappelle-toi
la grandeur de nos débats et l'ambiance fraternelle qui y régnait : ce fut
une grande assemblée tant le niveau était élevé car composée de tous les
historiques de la Révolution. Pour en revenir à la Tunisie, qu’on me
permette de rapporter une anecdote : depuis l’indépendance de l’Algérie,
j’ai été l’ami de tous les ambassadeurs de Tunisie à Alger que je recevais à
mon domicile. A tous, je disais : «Que viens-tu faire en Algérie, car
l’ambassadeur de Tunisie, c’est moi.» Une façon originale pour l’acteur et
le témoin de l’histoire que je suis de témoigner pour la postérité notre
reconnaissance pour ce pays frère qui m’a tant marqué et qui nous a tant
donné.
2) Après avoir quitté en 1959 la base FLN de Tunis, j’ai eu à assumer
successivement les fonctions de :
- Chargé des relations diplomatiques avec la Tunisie.
- Directeur de cabinet du premier Président de l’Algérie Ferhat Abbas.
- Ambassadeur d’Algérie au Mali. C’est là que je te retrouve.
Il t’en souvient que dans les années 60, l’état-major a décidé l’ouverture
d’un nouveau front militaire à l’extrême sud du Sahara au départ du Mali,
s’appuyant sur nos frères touaregs. Et ce, pour soulager les maquis de
l’intérieur essoufflés et acheminer des armes à partir du Mali. Pour
l’histoire, je dois rappeler que tu fus l’artisan de ce projet, en compagnie
de Omar Oussedik et Frantz Fanon. Mais pour réaliser ce projet dans la
pratique, j’ai été envoyé au Mali en qualité d’ambassadeur. L’expédition
militaire était dirigée par les frères Messaâdia, Draïa et Belhouchet. Dans
la pratique, il n’y avait ni ambassadeur ni chefs militaires : nous avons
tout assumé en commun. Quelle leçon de collégialité d’une équipe admirable
que nous formions. Nous avions foi en l’Algérie ! Il m’est agréable de
rapporter quelques faits de cette épopée :
1) Nous avons fonctionné sans aucun subside du GPRA. Le gouvernement malien
nous a affecté deux villas, deux voitures avec bons d’essence de la
présidence. Nous avons dévalisé les stocks d’armes de la jeune armée
malienne.
2) Nous tenions des meetings au nord du Mali aux Touaregs auxquels je
m’adressais en berbère.
3) Nous avons tous les quatre fêté l’indépendance de l’Algérie le 5 Juillet
1962 au stade de Bamako, archicomble. Deux discours ont été prononcés, l’un
par le président de la République Modibo Keita et l’autre par moi-même au
nom de l’Algérie. De cette phase de la révolution, on t’a surnommé
Abdelkader Mali» et à mon tour après toi «Arezki Mali». De retour à Alger en
juillet 1962, je suis intervenu auprès de Ben Bella : l’Algérie a offert
gracieusement une grande villa à l’ambassade du Mali sur les hauteurs
d’Alger. Je retrouve Alger en juillet 1962 dans l’euphorie de
l’Indépendance, malheureusement ternie par la crise de juillet-août 1962.
Traumatisé par cette crise, j’ai renoncé à toute activité politique à
l’expiration de mon mandat de député à l’Assemblée constituante en 1964.
J’ai repris ma robe d’avocat que j’ai servie avec passion et qui m’a donné
tant de joies. Aussi ai-je proclamé dans toutes mes plaidoiries qu’elle
était la «seule maîtresse de ma vie.» Cette page d’histoire fermée avec
émotion, permets-moi de te livrer deux cogitations concernant les événements
présents : l’un me concernant, l’autre afférent à l’histoire de notre pays.
Première cogitation :
Cela m'oblige à un bref retour en arrière. De 1957 à 1959, j’ai assumé les
fonctions de secrétaire général de la base FLN de Tunisie. Comme le
commandant de la base, le commandant Kaci était un brave homme mais
intellectuellement limité, j’étais «de facto» commandant de la base. Jusqu’à
la formation du GPRA en septembre 1959, la base avait pouvoir sur tous les
problèmes militaires, politiques, diplomatiques, etc.. C’est à ce titre que,
notamment, j’ai eu à accueillir et affecter:
— Les officiers déserteurs de l’armée française, dont certains sont
actuellement généraux. Ce sont des patriotes qui sont tous restés mes amis.
— Les artistes, j’en ai fait une troupe théâtrale nationale en confiant la
direction à mon défunt et valeureux ami Mustapha Kateb.
— Nos glorieux footballeurs. Regroupés, j’ai eu l’honneur historique de
fonder et former cette équipe de légende. Après avoir organisé le tournoi
maghrébin de foot remporté par notre équipe, je l’ai quittée après avoir
désigné Boumezrag comme directeur, Arribi comme entraîneur. Tous politisés,
ils n’avaient pas besoin d’un commissaire politique, expression en vigueur
chez Staline en URSS. Dès lors que je l’ai mise sur orbite, mes lourdes
tâches politiques et diplomatiques m’ont accaparé. Et comme elle devait
effectuer une tournée à travers le monde, il lui fallait un accompagnateur
chargé de la soulager des tâches ingrates (billets, visas, réservations
d’hôtels, etc.) Un jeune réfugié, sans affectation, donc disponible fut
désigné : c’est Allem Mohammed. Depuis l’indépendance, il en fit son fond de
commerce et son tremplin pour se sortir de l’anonymat. Mais pour arriver à
ses fins, il fallait qu’il m’enterre vivant en occultant mon rôle de
père-fondateur de l’équipe, car ma présence l’enterrait à lui. Aussi, le 5
Juillet, alors que je me trouvais dans les salons du Gouvernorat à la
demande de l’équipe (c’est Boubekeur qui m’a téléphoné la veille) pour
assister à tes côtés (rôle que l’histoire me confère) à l’inauguration de la
place, j’ai été descendu du bus de l’équipe par un sbire du Gouvernorat sur
instigation du sieur Allem car ma présence l’éclipsait ! Honte à vous deux
messieurs !
du Congrès de la Soummam, je prends la liberté de m’adresser au compagnon de
la Révolution plutôt qu’au Chef de l’Etat. Histoire oblige ! En te livrant
quelques cogitations.
Le peuple ne sait pas que son président avait pour nom de guerre «Si
Abdelkader» et nous avons pour devoir dans chacun de nos écrits de lui
livrer une page de son Histoire. Permets-moi de rappeler deux choses où nous
eûmes à collaborer tous deux :
1) Quand tu étais à l’état-major de Ghardimaou, tu venais souvent me voir à
la mission diplomatique de Tunis dont j’avais la charge avec de gros
dossiers de contentieux entre notre armée et les autorités tunisiennes.
A cet effet, je dois signaler par respect de l’histoire que nous nous sommes
comportés en Tunisie comme en pays conquis, compte tenu de l’excellence de
notre organisation et de la faiblesse de ce jeune Etat naissant. Pour preuve
de solidarité, nos frères tunisiens ont subi les bombardements de Bizerte et
surtout de Sakiet Sidi Youcef. Comme j’avais en charge les rapports avec la
Tunisie, et que j’avais d’excellents rapports avec son gouvernement, surtout
avec le président Bourguiba qui m’appelait «mon fils», je réglais tous les
problèmes que tu me soumettais de la part de Si Boumediène, chef
d’état-major. J’évoque sa mémoire avec respect car il m’a toujours témoigné
une grande affection malgré les vicissitudes politiques notamment la crise
de 1962, qui, fort heureusement, fut brève et sans séquelles. Rappelle-toi
la grandeur de nos débats et l'ambiance fraternelle qui y régnait : ce fut
une grande assemblée tant le niveau était élevé car composée de tous les
historiques de la Révolution. Pour en revenir à la Tunisie, qu’on me
permette de rapporter une anecdote : depuis l’indépendance de l’Algérie,
j’ai été l’ami de tous les ambassadeurs de Tunisie à Alger que je recevais à
mon domicile. A tous, je disais : «Que viens-tu faire en Algérie, car
l’ambassadeur de Tunisie, c’est moi.» Une façon originale pour l’acteur et
le témoin de l’histoire que je suis de témoigner pour la postérité notre
reconnaissance pour ce pays frère qui m’a tant marqué et qui nous a tant
donné.
2) Après avoir quitté en 1959 la base FLN de Tunis, j’ai eu à assumer
successivement les fonctions de :
- Chargé des relations diplomatiques avec la Tunisie.
- Directeur de cabinet du premier Président de l’Algérie Ferhat Abbas.
- Ambassadeur d’Algérie au Mali. C’est là que je te retrouve.
Il t’en souvient que dans les années 60, l’état-major a décidé l’ouverture
d’un nouveau front militaire à l’extrême sud du Sahara au départ du Mali,
s’appuyant sur nos frères touaregs. Et ce, pour soulager les maquis de
l’intérieur essoufflés et acheminer des armes à partir du Mali. Pour
l’histoire, je dois rappeler que tu fus l’artisan de ce projet, en compagnie
de Omar Oussedik et Frantz Fanon. Mais pour réaliser ce projet dans la
pratique, j’ai été envoyé au Mali en qualité d’ambassadeur. L’expédition
militaire était dirigée par les frères Messaâdia, Draïa et Belhouchet. Dans
la pratique, il n’y avait ni ambassadeur ni chefs militaires : nous avons
tout assumé en commun. Quelle leçon de collégialité d’une équipe admirable
que nous formions. Nous avions foi en l’Algérie ! Il m’est agréable de
rapporter quelques faits de cette épopée :
1) Nous avons fonctionné sans aucun subside du GPRA. Le gouvernement malien
nous a affecté deux villas, deux voitures avec bons d’essence de la
présidence. Nous avons dévalisé les stocks d’armes de la jeune armée
malienne.
2) Nous tenions des meetings au nord du Mali aux Touaregs auxquels je
m’adressais en berbère.
3) Nous avons tous les quatre fêté l’indépendance de l’Algérie le 5 Juillet
1962 au stade de Bamako, archicomble. Deux discours ont été prononcés, l’un
par le président de la République Modibo Keita et l’autre par moi-même au
nom de l’Algérie. De cette phase de la révolution, on t’a surnommé
Abdelkader Mali» et à mon tour après toi «Arezki Mali». De retour à Alger en
juillet 1962, je suis intervenu auprès de Ben Bella : l’Algérie a offert
gracieusement une grande villa à l’ambassade du Mali sur les hauteurs
d’Alger. Je retrouve Alger en juillet 1962 dans l’euphorie de
l’Indépendance, malheureusement ternie par la crise de juillet-août 1962.
Traumatisé par cette crise, j’ai renoncé à toute activité politique à
l’expiration de mon mandat de député à l’Assemblée constituante en 1964.
J’ai repris ma robe d’avocat que j’ai servie avec passion et qui m’a donné
tant de joies. Aussi ai-je proclamé dans toutes mes plaidoiries qu’elle
était la «seule maîtresse de ma vie.» Cette page d’histoire fermée avec
émotion, permets-moi de te livrer deux cogitations concernant les événements
présents : l’un me concernant, l’autre afférent à l’histoire de notre pays.
Première cogitation :
Cela m'oblige à un bref retour en arrière. De 1957 à 1959, j’ai assumé les
fonctions de secrétaire général de la base FLN de Tunisie. Comme le
commandant de la base, le commandant Kaci était un brave homme mais
intellectuellement limité, j’étais «de facto» commandant de la base. Jusqu’à
la formation du GPRA en septembre 1959, la base avait pouvoir sur tous les
problèmes militaires, politiques, diplomatiques, etc.. C’est à ce titre que,
notamment, j’ai eu à accueillir et affecter:
— Les officiers déserteurs de l’armée française, dont certains sont
actuellement généraux. Ce sont des patriotes qui sont tous restés mes amis.
— Les artistes, j’en ai fait une troupe théâtrale nationale en confiant la
direction à mon défunt et valeureux ami Mustapha Kateb.
— Nos glorieux footballeurs. Regroupés, j’ai eu l’honneur historique de
fonder et former cette équipe de légende. Après avoir organisé le tournoi
maghrébin de foot remporté par notre équipe, je l’ai quittée après avoir
désigné Boumezrag comme directeur, Arribi comme entraîneur. Tous politisés,
ils n’avaient pas besoin d’un commissaire politique, expression en vigueur
chez Staline en URSS. Dès lors que je l’ai mise sur orbite, mes lourdes
tâches politiques et diplomatiques m’ont accaparé. Et comme elle devait
effectuer une tournée à travers le monde, il lui fallait un accompagnateur
chargé de la soulager des tâches ingrates (billets, visas, réservations
d’hôtels, etc.) Un jeune réfugié, sans affectation, donc disponible fut
désigné : c’est Allem Mohammed. Depuis l’indépendance, il en fit son fond de
commerce et son tremplin pour se sortir de l’anonymat. Mais pour arriver à
ses fins, il fallait qu’il m’enterre vivant en occultant mon rôle de
père-fondateur de l’équipe, car ma présence l’enterrait à lui. Aussi, le 5
Juillet, alors que je me trouvais dans les salons du Gouvernorat à la
demande de l’équipe (c’est Boubekeur qui m’a téléphoné la veille) pour
assister à tes côtés (rôle que l’histoire me confère) à l’inauguration de la
place, j’ai été descendu du bus de l’équipe par un sbire du Gouvernorat sur
instigation du sieur Allem car ma présence l’éclipsait ! Honte à vous deux
messieurs !
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