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Zhao Bowen, chasseur de surdoués

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  • Zhao Bowen, chasseur de surdoués

    D'apparence, Zhao Bowen est un jeune comme un autre. Il débarque l'air décontracté, en jean et sweat-shirt à capuche. A 21 ans, il aime le heavy metal et les romans de science-fiction. Lui-même écrit un peu à ses heures perdues. Il avait monté un petit club de rédaction au lycée. Depuis, sa vie a pas mal changé. Bowen a une réponse toute faite lorsqu'il s'agit d'expliquer son parcours : "Et pourquoi serait-ce impossible ?", même s'il concède que son ascension est "singulière". Peut-être ses recherches apporteront-elles au jeune homme ainsi qu'au reste du monde un éclairage plus poussé sur ce qui fait un génie.

    Il détaille son parcours. Comment, en étant né en 1992, on peut, en 2013, avoir une carte de visite sur laquelle est écrit "directeur, Laboratoire de génomique cognitive". La découverte précoce de son intérêt intervient à un très jeune âge, une "curiosité particulière pour la science", peut-être à 5 ou 6 ans. Celle de la génétique en particulier date de ses 15 ans.
    Au lycée, il a toujours songé qu'il perdait son temps. Pour parer à l'ennui scolaire, donc, il parvient à dégoter un stage à l'Institut de recherche sur les fleurs et légumes, rattaché à l'Académie chinoise des sciences agricoles, où il restera finalement deux ans, en parallèle à ses études dans son lycée d'élite. A 15 ans, on lui confie essentiellement le nettoyage des pipettes, mais il découvre alors "un nouveau monde, la porte était ouverte". A force d'observation, il parvient à monter son petit projet de recherche personnel, l'étude d'un gène qui détermine le sexe du concombre. "C'était assez simple, juste l'étude fonctionnelle d'un gène", explique M. Zhao, qui figurera parmi les coauteurs de la publication du génome du concombre, dans Nature Genetics, en 2009.




    UNE BOURSE DE CINQ MILLIONS DE YUANS

    Le principal du lycée l'appuie lorsqu'il accepte, à 17 ans, l'embauche de l'Institut de génomique de Pékin (BGI), qui, comme son nom ne l'indique pas, s'est installé depuis cinq ans aux portes de Hongkong, à Shenzhen, où l'éloignement de la capitale est synonyme de liberté, y compris dans la recherche. Ce mégacentre de recherche en génétique est unique par sa débauche de moyens, c'est-à-dire de séquenceurs.


    Zhao Bowen signe. Il ne passera donc pas le gaokao, le baccalauréat chinois, qui détermine toute une vie. Il n'ira pas non plus à l'université. "De toute façon, à notre époque, on peut trouver l'information partout, dans les livres, sur Internet", justifie-t-il. Son projet se concrétise, une étude de l'héritabilité génétique de l'intelligence humaine, déterminer quels sont les gènes du surdoué. "Tout ce qui touche à l'esprit humain, à comment il se forme, nous voulons le comprendre", poursuit Bowen.


    Cela commence à petite échelle, avec les plus intelligents éléments de son ancien lycée qui font l'objet d'un séquençage d'ADN. Mais l'opération lui apparaît ensuite "trop simple, trop naïve". Il faudra davantage de puissance statistique pour parvenir à des conclusions fiables. Il se tourne vers l'équipe de Chine des Olympiades internationales de mathématiques, sans aboutir. Finalement, le gouvernement de Shenzhen, qui verrait bien la région en Silicon Valley chinoise, accorde une bourse de cinq millions de yuans (620 000 euros) à ce projet, ce qui va "tout changer".


    L'ATTENTION DES MÉDIAS

    L'autre gain lui vient de l'attention des médias. Le Washington Post consacre un article au jeune homme en juin 2010. Un chercheur britannique, un autre américain, un troisième de Taïwan lui rendent visite. Ils veulent participer. Un des rares scientifiques occidentaux à s'être penchés sur le sujet, Robert Plomin, du King's College de Londres, le contacte à son tour. Il a déjà étudié les mutations de quelques gènes dont il est prouvé qu'ils sont liés à l'intelligence. Ils commencent à plancher sur une plus grande population d'individus dotés d'un quotient intellectuel élevé, au-dessus de 145, un échantillon de plus de 2 000 personnes aujourd'hui, dont l'ADN est passé à la loupe ("Science & techno" du 9 mars).


    Zhao Bowen a son opinion sur la raison pour laquelle si peu ont tenté d'apporter des réponses sur la génétique de l'intelligence jusqu'à présent. Le sujet est plus que délicat. Les Etats-Unis, par exemple, constate-t-il, sont hypersensibles sur la question des discriminations sur l'intelligence. "C'est controversé, très controversé, reconnaît le jeune homme, et comme les scientifiques ne sont pas riches ils doivent se fonder sur les finances de leur gouvernement ou d'entreprises."

    Ce blocage éthique ne lui échappe pas. Serait-il immoral, par exemple, de plancher sur la génétique de l'intelligence de différentes ethnies ? "On ne construit pas des armes atomiques, qui sont un outil, avec des applications particulières de la technologie, rétorque le chercheur. Nous sommes chargés de découvrir des faits. Que l'on décide de les découvrir ou pas, ce sont des faits, ils restent là, comme ce qui relève de la nature de notre univers, ce n'est pas changeable."




    TROUVER L'"HÉRITABILITÉ MANQUANTE"



    La première publication scientifique de son laboratoire est prévue cet été. Que faut-il en attendre ? Il veut trouver ce qu'il appelle "héritabilité manquante", le pourcentage attribuable au patrimoine génétique, à l'inné, dans l'intelligence. "Si l'on arrive à une conclusion de 20 %, c'est une vraie avancée scientifique", juge-t-il. Quel que soit le résultat, ce sera une découverte au regard de la large population étudiée et du peu d'intérêt pour la discipline jusqu'à présent. Et s'il n'y avait pas d'héritabilité ? "Je ne pense pas que ce sera le cas, mais même si ça l'était cela aurait un intérêt scientifique conséquent", dit M. Zhao.


    Il voit cette étape comme un commencement. Une fois que les premières associations sur ces résultats génétiques seront réalisées, il faudra faire le lien avec la formation du cerveau. Lui-même ne connaît pas son propre QI, car après avoir incité des centaines de gens à passer le test, il aurait, dit-il, des facilités à trouver les réponses. "Ce serait tricher", estime-t-il.


    Harold Thibault


    le monde
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