Interrogée à la suite de l'annulation du licenciement d'une employée voilée de la crèche Baby Loup, la philosophe Elisabeth Badiner estime qu'une loi devient nécessaire pour protéger les enfants des pressions religieuses.
Que pensez-vous de l'annulation du licenciement d'une employée voilée de la crèche Baby Loup par la Cour de cassation ?
Je la regrette, car si la Cour de cassation avait donné raison à la décision d'un conseil des prud'hommes et de la cour d'appel, nous ne nous poserions pas à présent la question d'une nouvelle loi. Cela aurait été un signe d'apaisement. La Cour dit le droit, et je respecte son avis.
Il faut donc légiférer afin d'éviter la surenchère, les pressions, les menaces de groupes islamistes, certes minoritaires, mais très influents. Il y a un vide juridique qu'il faut combler. Une crèche peut être religieuse et totalement privée. Les parents qui en font le choix sont souverains. Mais à partir du moment où l'établissement reçoit des aides publiques, il doit respecter le principe de neutralité, de laïcité et d'égalité.
Faut-il étendre la loi de 2004 pour que le voile soit interdit dans les crèches et établissements scolaires subventionnés ? Nous avons attendu quatorze ans depuis l'affaire du collège de Creil, en 1989, au sein duquel des jeunes filles voilées n'avaient pu être exclues de l'établissement, pour qu'une loi interdise les signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires ; puis, que la loi contre le port du voile intégral et la dissimulation du visage dans l'espace public soit finalement votée en 2010.
Malgré quelques provocations, cette loi a montré son efficacité, ses vertus apaisantes. Espérons qu'il ne faille pas attendre si longtemps pour l'étendre au secteur privé, surtout aux entreprises qui sont au service de l'enfance et de la petite enfance.
Quelles sont les raisons qui vous conduisent à penser qu'une femme voilée ne pourrait pas correctement s'occuper d'enfants, ou que ceux-ci seraient perturbés par son image et sa fréquentation ?
Certes, une femme voilée peut parfaitement s'occuper d'enfants comme une autre. Le problème n'est pas là. A la maison, les mères font ce qu'elles veulent. Mais la crèche est un lieu où se côtoient des enfants de toutes origines, venant de familles, de religions différentes, ou athées. La neutralité s'impose pour n'influencer ni stigmatiser aucun d'eux.
J'ajoute que le principe de l'égalité des sexes est aussi important que celui de laïcité. Or des enfants qui ne côtoient que des femmes voilées risquent de se construire avec l'idée qu'une femme musulmane l'est nécessairement. Ce qui est faux. L'accompagnatrice, l'éducatrice, la puéricultrice ou l'assistante maternelle voilée peut devenir une image structurante, un modèle, un symbole, une représentation partiale de l'image de la femme. La banaliser, c'est l'ériger en norme.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent que l'Etat ne cesse de viser l'islam par son activisme législatif ?
Qu'il faut appliquer le principe partout et pour toutes les religions de la même façon. Les crèches et écoles juives qui, à Paris notamment, reçoivent des aides municipales et publiques, doivent être soumises aux mêmes règles de neutralité, de laïcité et d'égalité. Au passage, je ne trouve pas tout à fait normal que l'Etat ou des mairies financent des crèches, des écoles maternelles ou l'enseignement religieux.
Mais soyons clairs : dans la religion musulmane, le voile doit être porté parce que les cheveux, voire même le visage de la femme peuvent tenter l'homme et inciter au péché. Je n'ignore pas que nombre de femmes portent le voile par conviction, mode ou convention. Certaines le portent également parce qu'elles y sont obligées et que, si elles ne se soumettent pas, sont traités de mauvaises musulmanes ou de filles dévoyées. Je pense que la loi doit protéger celles qui refusent de le porter.
A ce qu'on appelle un "activisme législatif", je réponds que les lois doivent évoluer en fonction de nouveaux comportements incompatibles avec nos valeurs et notre culture. Ceux-ci viennent principalement des pays du Moyen-Orient qui encouragent les mouvements les plus radicaux à faire du prosélytisme dans les pays occidentaux.
Faut-il étendre ce principe de neutralité à l'entreprise privée ?
Cela me semble compliqué. Par contre, de la même manière qu'il peut y avoir des crèches laïques privées, il faut permettre aux entreprises d'édicter un règlement intérieur qui stipule que les salariés et employés doivent observer ces mêmes principes et être sanctionnés s'ils ne s'y conforment pas. Il faut rappeler que, dans notre Constitution, la laïcité fonde le pacte républicain. Et aucun secteur ne doit y échapper.
La France ne risque-t-elle pas de paraître isolée dans un espace européen largement gagné par une conception plus libérale de l'expression religieuse ?
La voie est effectivement étroite, mais je pense que l'on peut parvenir à un accord, notamment en ce qui concerne la petite enfance. Il faut bien comprendre que, si on laisse faire, les religieux les plus extrémistes, eux, ne baisseront pas les bras. Et c'est l'extrême droite française qui tirera les marrons du feu.
Nicolas Truong
LE MONDE
Que pensez-vous de l'annulation du licenciement d'une employée voilée de la crèche Baby Loup par la Cour de cassation ?
Je la regrette, car si la Cour de cassation avait donné raison à la décision d'un conseil des prud'hommes et de la cour d'appel, nous ne nous poserions pas à présent la question d'une nouvelle loi. Cela aurait été un signe d'apaisement. La Cour dit le droit, et je respecte son avis.
Il faut donc légiférer afin d'éviter la surenchère, les pressions, les menaces de groupes islamistes, certes minoritaires, mais très influents. Il y a un vide juridique qu'il faut combler. Une crèche peut être religieuse et totalement privée. Les parents qui en font le choix sont souverains. Mais à partir du moment où l'établissement reçoit des aides publiques, il doit respecter le principe de neutralité, de laïcité et d'égalité.
Faut-il étendre la loi de 2004 pour que le voile soit interdit dans les crèches et établissements scolaires subventionnés ? Nous avons attendu quatorze ans depuis l'affaire du collège de Creil, en 1989, au sein duquel des jeunes filles voilées n'avaient pu être exclues de l'établissement, pour qu'une loi interdise les signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires ; puis, que la loi contre le port du voile intégral et la dissimulation du visage dans l'espace public soit finalement votée en 2010.
Malgré quelques provocations, cette loi a montré son efficacité, ses vertus apaisantes. Espérons qu'il ne faille pas attendre si longtemps pour l'étendre au secteur privé, surtout aux entreprises qui sont au service de l'enfance et de la petite enfance.
Quelles sont les raisons qui vous conduisent à penser qu'une femme voilée ne pourrait pas correctement s'occuper d'enfants, ou que ceux-ci seraient perturbés par son image et sa fréquentation ?
Certes, une femme voilée peut parfaitement s'occuper d'enfants comme une autre. Le problème n'est pas là. A la maison, les mères font ce qu'elles veulent. Mais la crèche est un lieu où se côtoient des enfants de toutes origines, venant de familles, de religions différentes, ou athées. La neutralité s'impose pour n'influencer ni stigmatiser aucun d'eux.
J'ajoute que le principe de l'égalité des sexes est aussi important que celui de laïcité. Or des enfants qui ne côtoient que des femmes voilées risquent de se construire avec l'idée qu'une femme musulmane l'est nécessairement. Ce qui est faux. L'accompagnatrice, l'éducatrice, la puéricultrice ou l'assistante maternelle voilée peut devenir une image structurante, un modèle, un symbole, une représentation partiale de l'image de la femme. La banaliser, c'est l'ériger en norme.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent que l'Etat ne cesse de viser l'islam par son activisme législatif ?
Qu'il faut appliquer le principe partout et pour toutes les religions de la même façon. Les crèches et écoles juives qui, à Paris notamment, reçoivent des aides municipales et publiques, doivent être soumises aux mêmes règles de neutralité, de laïcité et d'égalité. Au passage, je ne trouve pas tout à fait normal que l'Etat ou des mairies financent des crèches, des écoles maternelles ou l'enseignement religieux.
Mais soyons clairs : dans la religion musulmane, le voile doit être porté parce que les cheveux, voire même le visage de la femme peuvent tenter l'homme et inciter au péché. Je n'ignore pas que nombre de femmes portent le voile par conviction, mode ou convention. Certaines le portent également parce qu'elles y sont obligées et que, si elles ne se soumettent pas, sont traités de mauvaises musulmanes ou de filles dévoyées. Je pense que la loi doit protéger celles qui refusent de le porter.
A ce qu'on appelle un "activisme législatif", je réponds que les lois doivent évoluer en fonction de nouveaux comportements incompatibles avec nos valeurs et notre culture. Ceux-ci viennent principalement des pays du Moyen-Orient qui encouragent les mouvements les plus radicaux à faire du prosélytisme dans les pays occidentaux.
Faut-il étendre ce principe de neutralité à l'entreprise privée ?
Cela me semble compliqué. Par contre, de la même manière qu'il peut y avoir des crèches laïques privées, il faut permettre aux entreprises d'édicter un règlement intérieur qui stipule que les salariés et employés doivent observer ces mêmes principes et être sanctionnés s'ils ne s'y conforment pas. Il faut rappeler que, dans notre Constitution, la laïcité fonde le pacte républicain. Et aucun secteur ne doit y échapper.
La France ne risque-t-elle pas de paraître isolée dans un espace européen largement gagné par une conception plus libérale de l'expression religieuse ?
La voie est effectivement étroite, mais je pense que l'on peut parvenir à un accord, notamment en ce qui concerne la petite enfance. Il faut bien comprendre que, si on laisse faire, les religieux les plus extrémistes, eux, ne baisseront pas les bras. Et c'est l'extrême droite française qui tirera les marrons du feu.
Nicolas Truong
LE MONDE
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