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Le CCE, Abane et les affaires Mahsas Par Belaïd Abane

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  • Le CCE, Abane et les affaires Mahsas Par Belaïd Abane

    J’ai rencontré Ali Mahsas deux fois. La première en 1992 pour lui donner des soins à la demande d’un ami commun, Si Bachir El Kadi. La seconde en 1997 au cours d’une rencontre organisée par l’ONM sur Abane. Il m’avait à deux reprises tenu le même langage. Voici l’échange tel qu’il eut lieu au cours de notre dernière rencontre.


    Ali Mahsas : Je n’ai aucun différend avec Abane. Mon problème c’était son entourage.
    Moi : De qui voulez-vous parler siAli ?
    Ali Mahsas : Je veux parler de ceux qu’il avait ramenés pour travailler avec lui au sommet de la Révolution. Ils ont tous pris le train en marche et constituaient un danger pour la Révolution.
    Moi : Vous voulez dire les centralistes comme Ben Khedda et Dahlab, et les dirigeants de l’UDMA, comme Ferhat Abbas et ses amis ?
    Ali Mahsas : Exact.
    Moi : Bessah ya siAli, même s’ils ont pris le train en marche, ils n’ont pas démérité. Ils se sont investis avec cœur et conscience aux places qu’on leur a assignées de 1955 à 1962 et, pour la plupart d’entre eux, à l’intérieur du pays face à l’ennemi. Certains sont même morts sous la torture.

    Ali Mahsas se tut. Il avait sans doute compris mon allusion à ceux qui étaient absents du territoire national de 1952 à 1962 et qui se proclament gardiens du temple révolutionnaire. S’agissant de son appréciation mesurée sur Abane, je compris plus tard qu’à l’instar de son mentor (Ben Bella), il m’avait tenu un discours à géométrie variable. Car par la suite, il ne ratera aucune occasion pour déverser sur Abane moult griefs et des accusations saugrenues mais non moins haineuses. A croire qu’il s’est choisi ce dernier comme bouc émissaire expiatoire de son fiasco politique. C’est en tout cas ce que portent à croire ses dernières attaques sur Abane, lesquelles ont franchi les limites de la dignité. Son entretien au quotidien El Khabarest en effet un magma volcanique bouillonnant de haine et de rancune, dégazant la frustration et la mégalomanie insatisfaite d’un dirigeant de second ordre hyper-égocentré. Dans mon dernier livre ( Ben Bella Kafi Bennabi contre Abane, les raisons occultes de la haine,Koukou, 2012), j’ai très peu évoqué son rôle aux côtés de Ben Bella. Il a sans doute été blessé d’avoir été ignoré, une fois de plus, et supplanté par Kafi et Bennabi aux côtés de Ben Bella, dans la compétition des anti-Abane, lui qui affirme sans vergogne que «sans moi et Ben Bella, la Révolution aurait échoué». Au moment où j’ai commencé à écrire cet article, M. Mahsas était encore en vie. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde. Que son âme repose en paix. Je voudrais néanmoins porter à la connaissance du public, intéressé par cette période de notre histoire, quelques faits et éléments d’informations pour lui permettre de se faire une idée sur le rôle et la responsabilité de chacun dans certaines périodes tragiques de notre combat libérateur. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, mais seulement un avis différent de celui de M. Mahsas. Pour que le public ait un autre son de cloche. Le lecteur constatera de lui-même que M. Mahsas est l’artisan majeur de son propre échec politique et qu’il n’avait pas besoin de Abane pour se fourvoyer dans un combat sans issue et dénué de sens. Rappelons qu’il s’était opposé de toutes ses forces au CRUA dans les colonnes de l’Algérie libre, le journal du MTLD, au moment crucial où Boudiaf et ses amis s’attachaient activement à dépasser tous les clivages politiques pour mettre en place un front de libération nationale. Ses violentes attaques lui vaudront d’être exclu en représailles par Boudiaf d’une réunion qui s’est déroulée à Berne pour la préparation de la lutte armée, réunion ayant regroupé Boudiaf, Didouche et Ben Bella en août 1954 avec pour objet l’acquisition et l’acheminement des armes pour le déclenchement de la lutte armée. Les frasques de M. Mahsas ont commencé avant le premier coup de feu de novembre. Elles se poursuivront au cours de la lutte armée. Abane n’en est pas le fait générateur mais le facteur révélateur. Qu’on en juge. Ali Mahsas se signale publiquement pour la première fois au cours de la guerre de Libération nationale par une lettre adressée à Bachir Chihani, successeur de Ben Boulaïd à la tête de la zone des Aurès-Nementchas. Saisie au cours de l'opération «Timgad» qui donna lieu à la meurtrière bataille de Djeurf en septembre 1955, cette lettre, trouvée par les parachutistes du colonel Ducourneau sur le cadavre d'un combattant de l'ALN, est attribuée par les services spéciaux de l'armée française à Ben Bella. On sait depuis que cette lettre a été écrite de la main de Mahsas. Rapportée dans le journal le Monde en octobre 1955, la diatribe de Mahsas sème le trouble parmi les dirigeants du Caire et choquent les membres de la direction d’Alger. Et pour cause. Toute la ville en parle. La célèbre rubrique parisianiste du Monde est en effet entièrement consacrée aux attaques de Mahsas contre, non pas l’ennemi colonialiste pour sa guerre de reconquête livrée au peuple algérien, mais ses camarades de la Délégation extérieure. L’affidé de Ben Bella se livre à un travail de division, gratuitement, si ce n’est pour satisfaire son ego et l’ambition dévorante de son chef. Jugeons-en : «Khider et Aït Ahmed ne valent pas plus cher que les autres… Le seul qui pourrait à la rigueur se racheter ici est Yazid, et encore. Quand à Aït Ahmed, il est toujours le même, c'est un berbéro-matérialiste… Khider est un homme cuit, il s'est embourgeoisé et a versé dans le chemin qui conduit à la déchéance.» Notons au passage que le travail de sape de Mahsas adossé à Ben Bella avait commencé bien avant le Congrès de la Soummam. Plus grave, dans une autre lettre (Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Témoignage d'Ahmed Ben Rouis) adressée au même Bachir Chihani, Mahsas se fait plus précis et menaçant : «Il faut liquider toutes les personnalités qui voudraient jouer à l'interlocuteur valable… Ben Bella, Mahsas et Boudiaf sont seuls responsables et dépositaires de la souveraineté de l'extérieur, les autres n'étant que des exécutants.» Mahsas laisse donc clairement entendre qu’un noyau — Ben Bella, Boudiaf et lui-même — s’emploie à «contrôler sévèrement» les autres dirigeants et s’arroge l’intégralité du pouvoir au sein de la délégation extérieure. Pis, il propose même de passer à l’acte : «La liquidation…» Ben Bella était-il au courant ? Dans quelles conditions a été rédigée cette lettre ? S’il est certain qu’elle l’a été pour le compte de Ben Bella, on ne sait à ce jour si c’est au su ou à l’insu de ce dernier. Il n'en fallait pas plus pour déclencher l’émoi des autres membres de la délégation extérieure et les ires des dirigeants d’Alger. Dans une lettre datée du 4 novembre 1955 adressée aux dirigeants du Caire, Abane, hors de lui, laisse éclater sa colère : «Si Ben Bella est vraiment l’auteur de cette lettre, il mérite la pendaison… Monsieur complote et se prend déjà pour Gamal Abdenasser.» Tancé et durement interrogé par ses pairs (Boudiaf, Khider, Aït Ahmed et Ben M’hidi qui était alors au Caire), Ben Bella finira par être blanchi. Il a été dit que Mahsas, sur demande de Ben Bella, acculé à la défensive, aurait accepté d’endosser la faute et de tout prendre sur lui pour préserver l'avenir de son chef. Cette version est cependant contredite par celle de Serge Bromberger ( Les Rebelles algériens), selon lequel Ben Bella, entré dans une violente colère, aurait administré une correction à Mahsas pour le punir de ce faux pas dont il a failli faire les frais. Toujours est-il que Mahsas est confondu. «L'auteur de ce document est Mahsas. Le fait est prouvé, lui-même l'a reconnu. Son cas a été discuté par le comité des six et même par les anciens membres du comité central qui considèrent que cet individu n’a aucun droit de porter un jugement sur eux, lui dont l’attitude vis-à-vis du CRUA est connue pendant la crise de l’ex-MTLD», écrit Khider.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Dans sa lettre adressée à la direction intérieure le 2 décembre 1956 Mabrouk Belhocine Courrier Alger-le Caire), il conclut qu’en raison de «l’importance de Tripoli au moment où nous travaillons pour un renversement de la situation en Tunisie, nous ne pouvons prendre la décision de l’en déplacer avant recevoir votre avis et de voir quelle attitude adopter à son égard, d’une façon définitive». Importance de Tripoli, en effet, car la capitale libyenne est le lieu de convergence de tous les convois d’armes en provenance de l’Orient. La désignation, sûrement appuyée par Ben Bella, de Mahsas à ce poste hautement stratégique ne devait bien évidemment rien au hasard. Ainsi commence la deuxième affaire Mahsas. Nous sommes à la fin de l’automne 1956, quelques mois après la tenue du Congrès de la Soummam qui entérine la prise du pouvoir exécutif de la Révolution par les dirigeants de l’intérieur. Aussi, Ben Bella est décidé à contrer, par tous les moyens, les décisions issues du Congrès de la Soummam. Connaissant le talon d'Achille du CCE, il pèsera de tout son poids d’homme-lige du pouvoir nassérien, en utilisant l'approvisionnement en armes comme moyen de pression par lequel il pense être en mesure de saper l’autorité et la souveraineté de la nouvelle direction. Il va donc essayer de frapper là où ça fait mal. D'abord à la base de Nador, à l'ouest, où se trouve le PC de la Wilaya V. C’est par là que transitent obligatoirement les armes qui arrivent par le Maroc. Il prend contact avec Boussouf, le nouveau colonel commandant la wilaya oranaise où il règne en maître absolu depuis la désignation de Ben M'hidi au CCE. Même s'il n'approuve que du bout des lèvres les décisions du Congrès de la Soummam, Boussouf, qui savoure sa toute nouvelle promotion, décline poliment l’offre d’alliance de Ben Bella et se contente de diriger tranquillement sa wilaya à partir du Maroc. Plus tard, quand il se fera tancer par Abane qui lui reprochera de gérer sa wilaya comme une féodalité et de mettre en place la structure d’«un Etat dans l’Etat» de type stalinien, il commencera à percevoir les politiques, surtout Abane, comme le «péril» qui menace son statut et sa carrière. Il se souviendra alors de la proposition de Ben Bella et ralliera, quelques mois plus tard, sans hésiter, l’alliance des anti-Abane. Autre centre stratégique que sollicite Ben Bella pour la réalisation de son alliance anti-soummamienne, l'organisation logistique du FLN en Espagne, chargée d'approvisionner l'ALN en armes. A sa tête, M'hamed Yousfi, alias Angel, ancien responsable de l'OS à Alger sous la responsabilité de Ben Bella. Yousfi refuse de marcher avec Ben Bella, décide d’«accepter provisoirement les décisions prises à la Soummam» et se résout à «travailler sous le contrôle du colonel Ouamrane lui-même subordonné au Docteur Lamine Debaghine, responsable des affaires extérieures». Il décline ainsi l'offre de celui dont il n’hésite pas à écrire que «la personnalité est une pure création des services de la propagande égyptienne» et dont le «surmenage militant» consiste surtout à «brasser du vent» (Yousfi M'hamed, L'Algérie en marche, Editions Enal, Alger, 1985). Les tensions entre le CCE/Abane et l’extérieur/Ben Bella prendront une tournure dangereuse, menaçant gravement la cohésion nationale et l’avenir de la Révolution, à travers ce qui fut appelé la deuxième «affaire Mahsas» qui mettra définitivement à bas la carrière révolutionnaire de ce dirigeant à la personnalité controversée et à la carrière politique cahotante. Ali Mahsas, dit Ahmed, fut pourtant un militant nationaliste de la première heure. Il commit sans doute l’erreur de lier indissolublement son destin à celui de Ben Bella auquel il voue depuis la période OSienne une fidélité sans faille au point de dévoyer le sens même de son engagement. Cette deuxième affaire est infiniment plus grave. Outre qu’elle aboutit à la mort de plusieurs combattants et dirigeants de valeur, peu s’en est fallu qu’elle ne mène la Révolution à la guerre fratricide et au fiasco. Voici la concaténation des faits. Souvenons-nous qu’après sa première incartade, Mahsas est maintenu à Tripoli sur cette route des armes qu'est la Libye. C’est là qu’il va de nouveau intriguer, toujours pour le compte de Ben Bella, en projetant de mettre à profit, cette fois, la situation confuse qui règne dans l’Aurès-Nememcha. Des dissensions diverses et variées, y opposent en effet des coteries qui aspirent toutes au monopole de la vérité révolutionnaire en se targuant, chacune, d’incarner le patriotisme authentique et la foi religieuse la plus pure. Sans entrer dans les détails, car ce n’est pas l’objet de cet article, essayons de démêler le fil de cette situation inextricable et explosive qui règne à la veille du congrès de la Soummam dans cette région Aurès-Nememcha aux réalités sociologiques des plus spécifiques. Comme dans les autres régions d’Algérie, la prise de conscience politique dans cette région n’avait gagné que les élites urbaines et restait très limitée dans les douars et les villages. Elle ne commencera à s’étendre qu’après le 1er novembre 1954. Entrepris par Ben Boulaïd, le travail de conscientisation unitaire est repris en main après l’arrestation de ce dernier, de manière efficace et vigoureuse par Bachir Chihani. Cet ancien medersien constantinois, natif du Khroub, ne tardera pas à buter sur les réalités sociologiques chaouia-nemouchia : l’ordre hiérarchique traditionnel et les réflexes de groupes familiaux et tribaux. Cet échec, Bachir Chihani le payera de sa vie. Concrètement, il y a d’abord les rivalités ancestrales entre Chaouia et Nememcha, mises en veilleuse tant que rayonne l’aura de Mostefa Ben Boulaïd dont l’autorité arrive tant bien que mal à maintenir les équilibres au-dessus des différends. Après l’arrestation de ce dernier, en février 1955 et l’échec de l’unification menée au pas de charge par son remplaçant, Bachir Chihani, trois factions se disputent le leadership des Chaouia-Nememcha. La première a comme tête d’affiche l’Aurésien Omar Ben Boulaïd, frère de Mostefa. La seconde, le Nemouchi Abbas Laghrour. La troisième, Adjoul Adjoul, autre Aurésien qui ambitionne d’être khalife à la place du khalife. C’est ce dernier qui fera assassiner Bachir Chihani le 29 novembre 1955, se dressera contre Ben Boulaïd après son évasion de la prison du Coudiat sur laquelle il avait, semble-t-il, émis de sérieux doutes (d’après un témoignage recueilli auprès de Tahar Zbiri), avant de rendre à l’armée française une année plus tard. Ces hommes exercent chacun une influence dont la sphère ne coïncide pas toujours avec les contours des appartenances tribales. Le retour de Ben Boulaïd, éphémère — il mourra en mars 1956, moins de 4 mois après son évasion de la prison de Constantine — ne suffira pas à remettre de l’ordre dans la confusion générale qui règne dans la région. A cet imbroglio se grefferont d’autres antagonismes sur la frontière Est et en Tunisie, où ne cessent d’affluer les maquisards de la Base de l’Est (région de Souk-Ahras) et surtout ceux de la Wilaya I (Aurès-Nememcha). Au point où, aux dires de Salah Goudjil (compagnon de Mohamed Lamouri) rencontré récemment, le PC de la Wilaya I s’installa carrément en territoire tunisien. Car c’est précisément dans les régions frontalières et en Tunisie, pays de transit et de stockage, que s’engage une compétition féroce pour la captation des armes en provenance d’Egypte, via la Libye que contrôle Mahsas. Ces armes constituent un enjeu majeur car elles sont indispensables pour s’assurer une part du pouvoir et de la rente de plus en plus juteuse qu’il génère. Les rivalités algériennes ne tardant pas à déborder sur les affaires internes tunisiennes, un autre antagonisme opposera les partisans du modéré Bourguiba à ceux du radical Salah Ben Youssef, lesquels sont également acquis au régime nassérien, lui-même hostile à la toute jeune République tunisienne.
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    • #3
      En toute logique la mouvance Ben Bella/Mahsas penche plutôt du côté des Yousséfistes pronassériens et ne se gêne pas pour le faire savoir. Tandis que le CCE ménage l’autorité bourguibienne en place et ne veut surtout pas que la Révolution algérienne s’immisce dans les affaires tuniso-tunisiennes. Sur le terrain, règne une situation politico-militaire dont la complexité n'a d'égale que l'extrême fragilité des équilibres que seul le prestige d'un Mostafa Ben Boulaïd avait su tant bien que mal préserver. L'arrestation de ce dernier en février 1955, lors de son équipée libyenne en quête d'armement, puis sa mort au début du printemps 1956 libèrent des forces centrifuges de toute nature, transformant la région en théâtre d’affrontements fratricides sans fin. Chaque chef, qu’il soit chaoui, nemouchi ou de la région de Souk-Ahras (Base de l’Est) affirme son autonomie par rapport aux autres, et se démarque de la direction d'Alger et de celle du Caire, poursuivant pour son propre compte un combat libérateur auquel il donne la forme et le sens qui lui conviennent. Les Aurès-Nementchas entament alors leur descente aux enfers dans «les crimes et les bêtises inhérents à l'orgueil», la zizanie et les règlements de compte entre factions qui n'obéissent qu'à leur chef. Comme en témoigne le réquisitoire plein d’amertume de ce commandant anonyme d'un camp d'instruction de l’ALN en Tunisie cité par Gilbert Meynier dans son histoire intérieure du FLN : «La soif de briller, la vanité et l'arrogance se partagent vos cœurs alors que vous prétendez tous servir l'Algérie. Laissez-moi vous dire que vous la servez mal, très mal… Laissez-moi vous rappeler que le peuple algérien a son mot à dire aujourd'hui comme demain. Laissez-moi vous dire que vous pouvez le sacrifier à vos ambitions et à vos querelles intestines, que vous pouvez continuer à lui faire perdre le bénéfice de ses sacrifices, son indépendance, cette indépendance que vous prétendez lui acquérir ; mais qu'il n'a répondu à l'appel de la Révolution que pour secouer son esclavage, celui que voudrait lui imposer votre bon plaisir. Pendant que vos frères de l'Oranie et de l'Algérois se battent uniquement contre les Français, vous mêlez à ce même combat un combat fratricide, par gloriole personnelle et oubli de l'intérêt national qui demeure le seul but de la Révolution». S'ajoutant aux nombreuses pertes de la bataille de Djeurf du début de l'automne 1955, d'autres maquisards, d'autres chefs, tombent sans que l’armée coloniale, l’ennemi principal, faut-il le rappeler, n’ait à bouger le petit doigt. Et rien ne semble en mesure d’arrêter l’engrenage infernal. Ni la mission d'Amirouche chargé par le congrès de la Soummam de ramener l’ordre dans l’Aurès — Zighoud qui fut chargé de la même mission pour les Nememcha est remplacé par Benaouda et Mezhoudi après avoir trouvé la mort dans un mystérieux guet-apens —, ni l’intercession du colonel Si Nasser, alias Mohammedi Saïd, qui aggrave la situation en défaisant ce que Amirouche mit tant de mal à mettre en place, ni les différentes tentatives destinées à rétablir l'ordre et la hiérarchie. Les ambitions personnelles s’exacerbent, les détournements de caravanes d'armes destinées aux wilayas du centre (II, III IV), les rackets, les razzias et les massacres perpétrés sur les troupes de passage, parfois dans un esprit régionaliste, se multiplient. Ayant à lutter sur deux fronts, contre l'armée française et contre ses rivaux, chacun ne pense qu’à affûter son potentiel militaire et à développer sa capacité de nuisance. C'est le rush vers la Tunisie toute proche où les armes envoyées par Ben Bella d'Egypte, sont réparties par Mahsas, son homme de confiance, dépêché à cet effet dès la fin de l'été 1956. Ce dernier répartit les quotas selon le degré d'allégeance des demandeurs qui décident d'ailleurs souvent de rester en Tunisie, armés jusqu'aux dents, plutôt que de refaire le long chemin du retour, réputé difficile et dangereux. Décidé à contrer par tous les moyens le congrès de la Soummam, Ben Bella trouvera dans la nébuleuse Aurès-Nememcha son meilleur terreau. La rencontre d’Ifri n’a pas encore pris fin, qu’il mobilise ses clientèles pour les dresser contre la nouvelle direction dont il sait d’avance qu’il sera exclu. Mahsas, la cheville ouvrière de ce travail de sape, entreprend habilement d’unifier les différentes factions contre un ennemi commun, ce congrès de la Soummam qu’il accuse de dédaigner la représentation des Aurès-Nememcha et surtout de rabaisser ses chefs au rang subalterne de «militaires» devant se soumettre au bon vouloir des «politiques». Pour arriver à ses fins, Mahsas s’appuie sur les Chaouia contre les Nememcha. C’est en tout cas ce que croient ces derniers dont le chef Abbas Laghrour se rebiffe et projette d’éliminer l’affidé de Ben Bella. La direction issue de la Soummam qui ne prend pas l’exacte mesure de l’opposition qu’elle suscite et du branle-bas de combat qui se prépare contre elle, se réjouit même de la mission Mahsas qu'elle croit animée de nobles intentions unitaires en vue de rétablir un peu d’ordre dans cette région, les Aurès-Nememcha, qui n’en finit pas de s’enfoncer dans la guerre fratricide. Dans une lettre touchante de candeur, datée du 8 septembre 1956 et adressée aux responsables de la Wilaya II, Abane rassure : «Ben Bella a envoyé Mahsas à Tunis pour essayer de régler l'affaire des Aurès-Nememcha.» Coup de théâtre le 22 octobre 1956 ! Un acte de piraterie aérienne, perpétré au nom de l’Etat français, détourne l’avion transportant les dirigeants du Caire dont Ben Bella, lesquels devaient rencontrer Mohammed V et Bourguiba pour se préparer à la négociation avec l’autorité coloniale. La délégation extérieure est décapitée. Les Français, sans le savoir, viennent de mettre fin à une crise de légitimité qui couvait entre le CCE et «les frères du Caire» et qui était le point d‘éclater au grand jour. Mais Mahsas, lui, est toujours là, désormais affranchi de la tutelle benbellienne. Tout en persévérant dans la ligne tracée par son chef, Mahsas décide de travailler pour son propre compte et ses ambitions personnelles. Utilisant la Base de l’est et les troupes stationnées aux frontières, il se rend maître de la route des armes. Le CCE, par la voix d’Abane, décide de réagir en restant toutefois conciliant et apaisant. Dès le 21 novembre 1956, Abane rappelle que «le comité de Tunis est composé de Mahsas, Brahim, Benaouda et Gaïd». Moins de deux semaines plus tard, encore plus conciliant, il s’adresse de nouveau aux «aux frères de Tunis, Mourad (Benaouda) et Brahim (Mezhoudi)». Tout en souplesse contrairement à ses habitudes, Abane, au nom du CCE, passe l'éponge sur les antécédents de Mahsas. Il écrit : «Nous vous confirmons que vous êtes accrédités par le CCE pour représenter la Révolution à Tunis. Si Mahsas accepte de se joindre à vous pour former une équipe qui travaillera sous les ordres du CCE nous ne demandons pas mieux. Sinon, laissez le tomber et mettez- vous au travail seuls… Pour revenir à Mahsas voyez-le une dernière fois, expliquez-lui que tout le monde reconnaît l'autorité du CCE et accepte les décisions du congrès… Nous avons demandé une lettre à Ben Bella pour rappeler à l'ordre Mahsas… Si malgré tout cela, Mahsas persiste dans son aveuglement, nous allons l'exclure publiquement. Mais tâchez d'éviter que l'on en arrive là…» Maître Aït Ahcène, représentant du FLN en Allemagne, tire également la sonnette d’alarme sur la situation qui règne en Tunisie et sur la frontière, du fait du travail de sape de Mahsas. Dans une lettre adressée de Berne le 15 décembre 1956 au docteur Lamine, chef de la délégation extérieure, l’avocat constantinois écrit : «La situation s'est aggravée, … Ali (Mahsas, ndla) a donné l'ordre aux hommes de Amara (Bouglez, responsable de la Base de l’Est, ndla) et de Taleb (Taleb Larbi commandant les troupes de l'ALN stationnées à la frontière, dans la région de Tozeur, ndla) d'arrêter tous les Algériens se dirigeant vers l'Algérie ou en provenance d'Algérie… Ali devient de plus en plus intransigeant… Brahim (Mezhoudi), Benaouda, Rachid (Gaïd) (représentants du CCE à Tunis, ndla)) en danger, Ali de plus en plus méchant… Le matériel bloqué… (à cause, ndla) du travail néfaste que fait Ali au nom de Ben Bella.» Aït Ahcène va même jusqu'à suggérer une intervention de Ben Bella par le biais de maître Boumendjel, l'avocat des cinq, pour tenter de ramener Mahsas à la raison et le sommer de «rester tranquille et de cesser de nous mettre les bâtons dans les roues». Je suis sûr qu'Ali obéira», conclut maître Aït Ahcène.
      B. A.
      (A suivre)
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