J’ai rencontré Ali Mahsas deux fois. La première en 1992 pour lui donner des soins à la demande d’un ami commun, Si Bachir El Kadi. La seconde en 1997 au cours d’une rencontre organisée par l’ONM sur Abane. Il m’avait à deux reprises tenu le même langage. Voici l’échange tel qu’il eut lieu au cours de notre dernière rencontre.
Ali Mahsas : Je n’ai aucun différend avec Abane. Mon problème c’était son entourage.
Moi : De qui voulez-vous parler siAli ?
Ali Mahsas : Je veux parler de ceux qu’il avait ramenés pour travailler avec lui au sommet de la Révolution. Ils ont tous pris le train en marche et constituaient un danger pour la Révolution.
Moi : Vous voulez dire les centralistes comme Ben Khedda et Dahlab, et les dirigeants de l’UDMA, comme Ferhat Abbas et ses amis ?
Ali Mahsas : Exact.
Moi : Bessah ya siAli, même s’ils ont pris le train en marche, ils n’ont pas démérité. Ils se sont investis avec cœur et conscience aux places qu’on leur a assignées de 1955 à 1962 et, pour la plupart d’entre eux, à l’intérieur du pays face à l’ennemi. Certains sont même morts sous la torture.
Ali Mahsas se tut. Il avait sans doute compris mon allusion à ceux qui étaient absents du territoire national de 1952 à 1962 et qui se proclament gardiens du temple révolutionnaire. S’agissant de son appréciation mesurée sur Abane, je compris plus tard qu’à l’instar de son mentor (Ben Bella), il m’avait tenu un discours à géométrie variable. Car par la suite, il ne ratera aucune occasion pour déverser sur Abane moult griefs et des accusations saugrenues mais non moins haineuses. A croire qu’il s’est choisi ce dernier comme bouc émissaire expiatoire de son fiasco politique. C’est en tout cas ce que portent à croire ses dernières attaques sur Abane, lesquelles ont franchi les limites de la dignité. Son entretien au quotidien El Khabarest en effet un magma volcanique bouillonnant de haine et de rancune, dégazant la frustration et la mégalomanie insatisfaite d’un dirigeant de second ordre hyper-égocentré. Dans mon dernier livre ( Ben Bella Kafi Bennabi contre Abane, les raisons occultes de la haine,Koukou, 2012), j’ai très peu évoqué son rôle aux côtés de Ben Bella. Il a sans doute été blessé d’avoir été ignoré, une fois de plus, et supplanté par Kafi et Bennabi aux côtés de Ben Bella, dans la compétition des anti-Abane, lui qui affirme sans vergogne que «sans moi et Ben Bella, la Révolution aurait échoué». Au moment où j’ai commencé à écrire cet article, M. Mahsas était encore en vie. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde. Que son âme repose en paix. Je voudrais néanmoins porter à la connaissance du public, intéressé par cette période de notre histoire, quelques faits et éléments d’informations pour lui permettre de se faire une idée sur le rôle et la responsabilité de chacun dans certaines périodes tragiques de notre combat libérateur. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, mais seulement un avis différent de celui de M. Mahsas. Pour que le public ait un autre son de cloche. Le lecteur constatera de lui-même que M. Mahsas est l’artisan majeur de son propre échec politique et qu’il n’avait pas besoin de Abane pour se fourvoyer dans un combat sans issue et dénué de sens. Rappelons qu’il s’était opposé de toutes ses forces au CRUA dans les colonnes de l’Algérie libre, le journal du MTLD, au moment crucial où Boudiaf et ses amis s’attachaient activement à dépasser tous les clivages politiques pour mettre en place un front de libération nationale. Ses violentes attaques lui vaudront d’être exclu en représailles par Boudiaf d’une réunion qui s’est déroulée à Berne pour la préparation de la lutte armée, réunion ayant regroupé Boudiaf, Didouche et Ben Bella en août 1954 avec pour objet l’acquisition et l’acheminement des armes pour le déclenchement de la lutte armée. Les frasques de M. Mahsas ont commencé avant le premier coup de feu de novembre. Elles se poursuivront au cours de la lutte armée. Abane n’en est pas le fait générateur mais le facteur révélateur. Qu’on en juge. Ali Mahsas se signale publiquement pour la première fois au cours de la guerre de Libération nationale par une lettre adressée à Bachir Chihani, successeur de Ben Boulaïd à la tête de la zone des Aurès-Nementchas. Saisie au cours de l'opération «Timgad» qui donna lieu à la meurtrière bataille de Djeurf en septembre 1955, cette lettre, trouvée par les parachutistes du colonel Ducourneau sur le cadavre d'un combattant de l'ALN, est attribuée par les services spéciaux de l'armée française à Ben Bella. On sait depuis que cette lettre a été écrite de la main de Mahsas. Rapportée dans le journal le Monde en octobre 1955, la diatribe de Mahsas sème le trouble parmi les dirigeants du Caire et choquent les membres de la direction d’Alger. Et pour cause. Toute la ville en parle. La célèbre rubrique parisianiste du Monde est en effet entièrement consacrée aux attaques de Mahsas contre, non pas l’ennemi colonialiste pour sa guerre de reconquête livrée au peuple algérien, mais ses camarades de la Délégation extérieure. L’affidé de Ben Bella se livre à un travail de division, gratuitement, si ce n’est pour satisfaire son ego et l’ambition dévorante de son chef. Jugeons-en : «Khider et Aït Ahmed ne valent pas plus cher que les autres… Le seul qui pourrait à la rigueur se racheter ici est Yazid, et encore. Quand à Aït Ahmed, il est toujours le même, c'est un berbéro-matérialiste… Khider est un homme cuit, il s'est embourgeoisé et a versé dans le chemin qui conduit à la déchéance.» Notons au passage que le travail de sape de Mahsas adossé à Ben Bella avait commencé bien avant le Congrès de la Soummam. Plus grave, dans une autre lettre (Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Témoignage d'Ahmed Ben Rouis) adressée au même Bachir Chihani, Mahsas se fait plus précis et menaçant : «Il faut liquider toutes les personnalités qui voudraient jouer à l'interlocuteur valable… Ben Bella, Mahsas et Boudiaf sont seuls responsables et dépositaires de la souveraineté de l'extérieur, les autres n'étant que des exécutants.» Mahsas laisse donc clairement entendre qu’un noyau — Ben Bella, Boudiaf et lui-même — s’emploie à «contrôler sévèrement» les autres dirigeants et s’arroge l’intégralité du pouvoir au sein de la délégation extérieure. Pis, il propose même de passer à l’acte : «La liquidation…» Ben Bella était-il au courant ? Dans quelles conditions a été rédigée cette lettre ? S’il est certain qu’elle l’a été pour le compte de Ben Bella, on ne sait à ce jour si c’est au su ou à l’insu de ce dernier. Il n'en fallait pas plus pour déclencher l’émoi des autres membres de la délégation extérieure et les ires des dirigeants d’Alger. Dans une lettre datée du 4 novembre 1955 adressée aux dirigeants du Caire, Abane, hors de lui, laisse éclater sa colère : «Si Ben Bella est vraiment l’auteur de cette lettre, il mérite la pendaison… Monsieur complote et se prend déjà pour Gamal Abdenasser.» Tancé et durement interrogé par ses pairs (Boudiaf, Khider, Aït Ahmed et Ben M’hidi qui était alors au Caire), Ben Bella finira par être blanchi. Il a été dit que Mahsas, sur demande de Ben Bella, acculé à la défensive, aurait accepté d’endosser la faute et de tout prendre sur lui pour préserver l'avenir de son chef. Cette version est cependant contredite par celle de Serge Bromberger ( Les Rebelles algériens), selon lequel Ben Bella, entré dans une violente colère, aurait administré une correction à Mahsas pour le punir de ce faux pas dont il a failli faire les frais. Toujours est-il que Mahsas est confondu. «L'auteur de ce document est Mahsas. Le fait est prouvé, lui-même l'a reconnu. Son cas a été discuté par le comité des six et même par les anciens membres du comité central qui considèrent que cet individu n’a aucun droit de porter un jugement sur eux, lui dont l’attitude vis-à-vis du CRUA est connue pendant la crise de l’ex-MTLD», écrit Khider.
Ali Mahsas : Je n’ai aucun différend avec Abane. Mon problème c’était son entourage.
Moi : De qui voulez-vous parler siAli ?
Ali Mahsas : Je veux parler de ceux qu’il avait ramenés pour travailler avec lui au sommet de la Révolution. Ils ont tous pris le train en marche et constituaient un danger pour la Révolution.
Moi : Vous voulez dire les centralistes comme Ben Khedda et Dahlab, et les dirigeants de l’UDMA, comme Ferhat Abbas et ses amis ?
Ali Mahsas : Exact.
Moi : Bessah ya siAli, même s’ils ont pris le train en marche, ils n’ont pas démérité. Ils se sont investis avec cœur et conscience aux places qu’on leur a assignées de 1955 à 1962 et, pour la plupart d’entre eux, à l’intérieur du pays face à l’ennemi. Certains sont même morts sous la torture.
Ali Mahsas se tut. Il avait sans doute compris mon allusion à ceux qui étaient absents du territoire national de 1952 à 1962 et qui se proclament gardiens du temple révolutionnaire. S’agissant de son appréciation mesurée sur Abane, je compris plus tard qu’à l’instar de son mentor (Ben Bella), il m’avait tenu un discours à géométrie variable. Car par la suite, il ne ratera aucune occasion pour déverser sur Abane moult griefs et des accusations saugrenues mais non moins haineuses. A croire qu’il s’est choisi ce dernier comme bouc émissaire expiatoire de son fiasco politique. C’est en tout cas ce que portent à croire ses dernières attaques sur Abane, lesquelles ont franchi les limites de la dignité. Son entretien au quotidien El Khabarest en effet un magma volcanique bouillonnant de haine et de rancune, dégazant la frustration et la mégalomanie insatisfaite d’un dirigeant de second ordre hyper-égocentré. Dans mon dernier livre ( Ben Bella Kafi Bennabi contre Abane, les raisons occultes de la haine,Koukou, 2012), j’ai très peu évoqué son rôle aux côtés de Ben Bella. Il a sans doute été blessé d’avoir été ignoré, une fois de plus, et supplanté par Kafi et Bennabi aux côtés de Ben Bella, dans la compétition des anti-Abane, lui qui affirme sans vergogne que «sans moi et Ben Bella, la Révolution aurait échoué». Au moment où j’ai commencé à écrire cet article, M. Mahsas était encore en vie. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde. Que son âme repose en paix. Je voudrais néanmoins porter à la connaissance du public, intéressé par cette période de notre histoire, quelques faits et éléments d’informations pour lui permettre de se faire une idée sur le rôle et la responsabilité de chacun dans certaines périodes tragiques de notre combat libérateur. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, mais seulement un avis différent de celui de M. Mahsas. Pour que le public ait un autre son de cloche. Le lecteur constatera de lui-même que M. Mahsas est l’artisan majeur de son propre échec politique et qu’il n’avait pas besoin de Abane pour se fourvoyer dans un combat sans issue et dénué de sens. Rappelons qu’il s’était opposé de toutes ses forces au CRUA dans les colonnes de l’Algérie libre, le journal du MTLD, au moment crucial où Boudiaf et ses amis s’attachaient activement à dépasser tous les clivages politiques pour mettre en place un front de libération nationale. Ses violentes attaques lui vaudront d’être exclu en représailles par Boudiaf d’une réunion qui s’est déroulée à Berne pour la préparation de la lutte armée, réunion ayant regroupé Boudiaf, Didouche et Ben Bella en août 1954 avec pour objet l’acquisition et l’acheminement des armes pour le déclenchement de la lutte armée. Les frasques de M. Mahsas ont commencé avant le premier coup de feu de novembre. Elles se poursuivront au cours de la lutte armée. Abane n’en est pas le fait générateur mais le facteur révélateur. Qu’on en juge. Ali Mahsas se signale publiquement pour la première fois au cours de la guerre de Libération nationale par une lettre adressée à Bachir Chihani, successeur de Ben Boulaïd à la tête de la zone des Aurès-Nementchas. Saisie au cours de l'opération «Timgad» qui donna lieu à la meurtrière bataille de Djeurf en septembre 1955, cette lettre, trouvée par les parachutistes du colonel Ducourneau sur le cadavre d'un combattant de l'ALN, est attribuée par les services spéciaux de l'armée française à Ben Bella. On sait depuis que cette lettre a été écrite de la main de Mahsas. Rapportée dans le journal le Monde en octobre 1955, la diatribe de Mahsas sème le trouble parmi les dirigeants du Caire et choquent les membres de la direction d’Alger. Et pour cause. Toute la ville en parle. La célèbre rubrique parisianiste du Monde est en effet entièrement consacrée aux attaques de Mahsas contre, non pas l’ennemi colonialiste pour sa guerre de reconquête livrée au peuple algérien, mais ses camarades de la Délégation extérieure. L’affidé de Ben Bella se livre à un travail de division, gratuitement, si ce n’est pour satisfaire son ego et l’ambition dévorante de son chef. Jugeons-en : «Khider et Aït Ahmed ne valent pas plus cher que les autres… Le seul qui pourrait à la rigueur se racheter ici est Yazid, et encore. Quand à Aït Ahmed, il est toujours le même, c'est un berbéro-matérialiste… Khider est un homme cuit, il s'est embourgeoisé et a versé dans le chemin qui conduit à la déchéance.» Notons au passage que le travail de sape de Mahsas adossé à Ben Bella avait commencé bien avant le Congrès de la Soummam. Plus grave, dans une autre lettre (Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Témoignage d'Ahmed Ben Rouis) adressée au même Bachir Chihani, Mahsas se fait plus précis et menaçant : «Il faut liquider toutes les personnalités qui voudraient jouer à l'interlocuteur valable… Ben Bella, Mahsas et Boudiaf sont seuls responsables et dépositaires de la souveraineté de l'extérieur, les autres n'étant que des exécutants.» Mahsas laisse donc clairement entendre qu’un noyau — Ben Bella, Boudiaf et lui-même — s’emploie à «contrôler sévèrement» les autres dirigeants et s’arroge l’intégralité du pouvoir au sein de la délégation extérieure. Pis, il propose même de passer à l’acte : «La liquidation…» Ben Bella était-il au courant ? Dans quelles conditions a été rédigée cette lettre ? S’il est certain qu’elle l’a été pour le compte de Ben Bella, on ne sait à ce jour si c’est au su ou à l’insu de ce dernier. Il n'en fallait pas plus pour déclencher l’émoi des autres membres de la délégation extérieure et les ires des dirigeants d’Alger. Dans une lettre datée du 4 novembre 1955 adressée aux dirigeants du Caire, Abane, hors de lui, laisse éclater sa colère : «Si Ben Bella est vraiment l’auteur de cette lettre, il mérite la pendaison… Monsieur complote et se prend déjà pour Gamal Abdenasser.» Tancé et durement interrogé par ses pairs (Boudiaf, Khider, Aït Ahmed et Ben M’hidi qui était alors au Caire), Ben Bella finira par être blanchi. Il a été dit que Mahsas, sur demande de Ben Bella, acculé à la défensive, aurait accepté d’endosser la faute et de tout prendre sur lui pour préserver l'avenir de son chef. Cette version est cependant contredite par celle de Serge Bromberger ( Les Rebelles algériens), selon lequel Ben Bella, entré dans une violente colère, aurait administré une correction à Mahsas pour le punir de ce faux pas dont il a failli faire les frais. Toujours est-il que Mahsas est confondu. «L'auteur de ce document est Mahsas. Le fait est prouvé, lui-même l'a reconnu. Son cas a été discuté par le comité des six et même par les anciens membres du comité central qui considèrent que cet individu n’a aucun droit de porter un jugement sur eux, lui dont l’attitude vis-à-vis du CRUA est connue pendant la crise de l’ex-MTLD», écrit Khider.
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