« Sors, déshabille-toi et gagne. » C’est la devise des Femen, le groupe contestataire féministe ukrainien fondé à Kiev, en 2008, par Anna Hutsol. Cette dernière, ainsi que deux amies à elle, s’est soulevée, encore adolescente, contre la place réservée aux femmes dans la société ukrainienne.
Anna Hutsol a expliqué avoir lancé Femen pour défendre la démocratie, quatre années après la Révolution orange, car elle pensait que l’Ukraine manquait de militantes pour défendre les droits des femmes. « L’Ukraine est un pays dominé par des hommes, où les femmes sont passives », répétait-elle. A l’été 2008, les fondatrices de Femen manifestent pour la première fois, déguisées en prostituées, pour dénoncer ainsi la prolifération et l’importance de la prostitution dans leur pays. En 2009, elles innovent en manifestant seins nus contre la pornographie en ligne.
Anna Hutsol avait confié à l’époque qu’elles étaient plutôt « mal à l’aise » lors de leurs débuts, mais face à l’écho médiatique de leur action, elles se sont habituées à cette forme de protestation. Choisissant de dénuder leurs poitrines, les fondatrices de Femen ont estimé que de cette manière, a été inventée une façon unique de s’exprimer, basée sur la créativité, le courage, l’humour, l’efficacité et sans hésiter à choquer. Selon Femen, se montrer nue est également un moyen de donner une autre signification à la nudité, qui ne soit plus synonyme de prostitution ou d'exploitation sexuelle.
Portant principalement sur la promotion des droits des femmes, les Femen luttent également pour d’autres causes en faveur de la démocratie et des droits humains, telles que la liberté de la presse et contre la corruption, la pauvreté, la violence conjugale ou encore des formes de discrimination comme le sexisme, le racisme ou l’homophobie. Le groupe lutte aussi contre l’industrie du sexe, qui prend des formes inquiétantes, telles que la prostitution, le tourisme sexuel, les agences matrimoniales internationales et la pornographie. La lutte contre l’influence des religions dans la société est également dans l’agenda des Femen.
Les « seins nus » franchissent les frontières
En effet, le phénomène des Femen s’est internationalisé. Après la France, la Russie, la Suisse, l’Italie et tant d’autres pays occidentaux, voilà qu’il débarque dans le monde arabe et au Maghreb. Les femmes dans ces régions, après avoir investi la rue dans des mouvements de protestation qui ont laissé plus d’un bouche bée, après s’être immolées, voilà que certaines d’entre elles prennent exemple sur les Femen et posent nues.
L’on se souvient d’Aliaa Magda Elmahdy, la jeune Egyptienne qui a mis sa photo nue sur les réseaux sociaux pour protester contre le régime de Moubarak. Après la chute de ce dernier, elle poursuit sa lutte, en usant du même procédé pour dénoncer le système de Morsi et des Frères musulmans. Réfugiée en Suède, après avoir été menacée de mort, elle continue de militer contre l’intolérance devant le drapeau de son pays. En Egypte, les photos montrant cette militante nue sont ressenties comme une nouvelle provocation et déclenchent une vague de protestations.
Il y a quelques mois, un groupe tunisien inspiré des Femen ukrainiennes s’est créé sur Facebook. Mais les sociétés tunisienne et maghrébine, patriarcales par excellence, semblent loin de les accepter. Il y a quelques jours, la page Facebook de ce groupe a été piratée. Piratage attribué à des fondamentalistes. La photo de profil du groupe, le logo rouge et blanc des Femen Tunisie, a été remplacée par celle d’un homme, barbe taillée à la mode salafiste. Il se vantait d’avoir piraté une page « immorale », «de débauche ». Des vidéos et photos à la gloire de l’islam ont aussi été postées. Le jour même, ce piratage recueille une trentaine d’approbations.
Toujours en Tunisie, Amina, 19 ans, publie des photos d’elle seins nus et des slogans écrits dessus. Ses photos ont provoqué un tsunami dans son pays et elle a vite été réduite au silence par sa propre famille. Le « Femenisme » prenant l’allure d’un virus extrêmement contagieux, des femmes se sont soulevées pour poser nues en solidarité avec la jeune Amina. En effet, une Bahreïnie a pris le relais. Sur son buste nu, elle a écrit ceci : « Je me dénude pour les musulmanes. J’enlève ma abaya (habit des femmes bahreïnies, ndlr) pour Amina. Je suis musulmane. » La photo de cette femme est sur la page Facebook des Femen Ukraine. Hier, une femme se disant algérienne a, elle aussi, mis une photo d’elle nue sur la page Fecbook des Femen. Sur son buste, on peu pouvait, écrit en espagnol : « Nos seins sont plus puissants que dieu et l’islam. Ce corps m’appartient. » Toutefois, le visage de cette femme est entièrement couvert. Avant elle, c’est un jeune Algérien qui a posé torse nu avec d’inscriptions pour soutenir la Femen tunisienne.
Qu’en pensent les féministes algériennes ?
En Algérie*, si certaines sont pour cette tendance, d’autres y sont catégoriquement opposées. Ainsi, pour Mme Chérifa Kheddar, présidente de l’association Djazaïrouna, poser nue est une nouvelle forme que certaines femmes ont inventé pour revendiquer leurs droits trop longtemps bafoués. «C’est la façon la plus directe pour faire parvenir leur message », estime-t-elle. Selon elle, ces Femen « ont décidé que c’est là le meilleur moyen de s’approprier leur propre corps. Une réappropriation qui est en elle-même un droit fondamental ». Pour savoir si ce moyen est efficace, la militante souligne que « tout ce qui choque peut faire avancer les choses ».
Mme Soumaya Salhi, la présidente de l’association pour l’émancipation de la femme, ne partage toutefois pas cet avis. Selon elle, « ce type de manifestation n’a rien à voir avec le féminisme. Ça repose sur le voyeurisme ». Mieux, elle juge que ce
procédé est le meilleur moyen « d’exposer la femme comme objet de convoitise » et « c’est justement contre cela que je me bats », explique-t-elle. Ne mâchant pas ses mots, elle souligne que poser ainsi nue « est une absence de considération pour toutes les femmes et surtout les militantes féministes ». «Nous avons besoin de construire un mouvement de masse pour lutter, et le Femen est un phénomène hyper-marginal », conclut-elle.
Même écho chez le professeur Fadila Chitour Boumendjel. Militante des droits de l’homme et féministe de première heure, elle estime que le procédé des Femen « n’est pas un moyen de défendre la liberté du corps. C’est même un moyen de léser la liberté de ce corps ». Pour elle, poser nue « renvoie dos à dos à la dissimulation » du corps de la femme sous une burqa. « Je considère que la liberté n’est finalement pas au niveau des apparences et des vêtements », souligne-t-elle.
* La première femen algérienne se serait manifestée hier sur Facebook. Elle répondait au prénom d'Amina.
Écrit par Meriam Sadat
REPORTERS.DZ
Anna Hutsol a expliqué avoir lancé Femen pour défendre la démocratie, quatre années après la Révolution orange, car elle pensait que l’Ukraine manquait de militantes pour défendre les droits des femmes. « L’Ukraine est un pays dominé par des hommes, où les femmes sont passives », répétait-elle. A l’été 2008, les fondatrices de Femen manifestent pour la première fois, déguisées en prostituées, pour dénoncer ainsi la prolifération et l’importance de la prostitution dans leur pays. En 2009, elles innovent en manifestant seins nus contre la pornographie en ligne.
Anna Hutsol avait confié à l’époque qu’elles étaient plutôt « mal à l’aise » lors de leurs débuts, mais face à l’écho médiatique de leur action, elles se sont habituées à cette forme de protestation. Choisissant de dénuder leurs poitrines, les fondatrices de Femen ont estimé que de cette manière, a été inventée une façon unique de s’exprimer, basée sur la créativité, le courage, l’humour, l’efficacité et sans hésiter à choquer. Selon Femen, se montrer nue est également un moyen de donner une autre signification à la nudité, qui ne soit plus synonyme de prostitution ou d'exploitation sexuelle.
Portant principalement sur la promotion des droits des femmes, les Femen luttent également pour d’autres causes en faveur de la démocratie et des droits humains, telles que la liberté de la presse et contre la corruption, la pauvreté, la violence conjugale ou encore des formes de discrimination comme le sexisme, le racisme ou l’homophobie. Le groupe lutte aussi contre l’industrie du sexe, qui prend des formes inquiétantes, telles que la prostitution, le tourisme sexuel, les agences matrimoniales internationales et la pornographie. La lutte contre l’influence des religions dans la société est également dans l’agenda des Femen.
Les « seins nus » franchissent les frontières
En effet, le phénomène des Femen s’est internationalisé. Après la France, la Russie, la Suisse, l’Italie et tant d’autres pays occidentaux, voilà qu’il débarque dans le monde arabe et au Maghreb. Les femmes dans ces régions, après avoir investi la rue dans des mouvements de protestation qui ont laissé plus d’un bouche bée, après s’être immolées, voilà que certaines d’entre elles prennent exemple sur les Femen et posent nues.
L’on se souvient d’Aliaa Magda Elmahdy, la jeune Egyptienne qui a mis sa photo nue sur les réseaux sociaux pour protester contre le régime de Moubarak. Après la chute de ce dernier, elle poursuit sa lutte, en usant du même procédé pour dénoncer le système de Morsi et des Frères musulmans. Réfugiée en Suède, après avoir été menacée de mort, elle continue de militer contre l’intolérance devant le drapeau de son pays. En Egypte, les photos montrant cette militante nue sont ressenties comme une nouvelle provocation et déclenchent une vague de protestations.
Il y a quelques mois, un groupe tunisien inspiré des Femen ukrainiennes s’est créé sur Facebook. Mais les sociétés tunisienne et maghrébine, patriarcales par excellence, semblent loin de les accepter. Il y a quelques jours, la page Facebook de ce groupe a été piratée. Piratage attribué à des fondamentalistes. La photo de profil du groupe, le logo rouge et blanc des Femen Tunisie, a été remplacée par celle d’un homme, barbe taillée à la mode salafiste. Il se vantait d’avoir piraté une page « immorale », «de débauche ». Des vidéos et photos à la gloire de l’islam ont aussi été postées. Le jour même, ce piratage recueille une trentaine d’approbations.
Toujours en Tunisie, Amina, 19 ans, publie des photos d’elle seins nus et des slogans écrits dessus. Ses photos ont provoqué un tsunami dans son pays et elle a vite été réduite au silence par sa propre famille. Le « Femenisme » prenant l’allure d’un virus extrêmement contagieux, des femmes se sont soulevées pour poser nues en solidarité avec la jeune Amina. En effet, une Bahreïnie a pris le relais. Sur son buste nu, elle a écrit ceci : « Je me dénude pour les musulmanes. J’enlève ma abaya (habit des femmes bahreïnies, ndlr) pour Amina. Je suis musulmane. » La photo de cette femme est sur la page Facebook des Femen Ukraine. Hier, une femme se disant algérienne a, elle aussi, mis une photo d’elle nue sur la page Fecbook des Femen. Sur son buste, on peu pouvait, écrit en espagnol : « Nos seins sont plus puissants que dieu et l’islam. Ce corps m’appartient. » Toutefois, le visage de cette femme est entièrement couvert. Avant elle, c’est un jeune Algérien qui a posé torse nu avec d’inscriptions pour soutenir la Femen tunisienne.
Qu’en pensent les féministes algériennes ?
En Algérie*, si certaines sont pour cette tendance, d’autres y sont catégoriquement opposées. Ainsi, pour Mme Chérifa Kheddar, présidente de l’association Djazaïrouna, poser nue est une nouvelle forme que certaines femmes ont inventé pour revendiquer leurs droits trop longtemps bafoués. «C’est la façon la plus directe pour faire parvenir leur message », estime-t-elle. Selon elle, ces Femen « ont décidé que c’est là le meilleur moyen de s’approprier leur propre corps. Une réappropriation qui est en elle-même un droit fondamental ». Pour savoir si ce moyen est efficace, la militante souligne que « tout ce qui choque peut faire avancer les choses ».
Mme Soumaya Salhi, la présidente de l’association pour l’émancipation de la femme, ne partage toutefois pas cet avis. Selon elle, « ce type de manifestation n’a rien à voir avec le féminisme. Ça repose sur le voyeurisme ». Mieux, elle juge que ce
procédé est le meilleur moyen « d’exposer la femme comme objet de convoitise » et « c’est justement contre cela que je me bats », explique-t-elle. Ne mâchant pas ses mots, elle souligne que poser ainsi nue « est une absence de considération pour toutes les femmes et surtout les militantes féministes ». «Nous avons besoin de construire un mouvement de masse pour lutter, et le Femen est un phénomène hyper-marginal », conclut-elle.
Même écho chez le professeur Fadila Chitour Boumendjel. Militante des droits de l’homme et féministe de première heure, elle estime que le procédé des Femen « n’est pas un moyen de défendre la liberté du corps. C’est même un moyen de léser la liberté de ce corps ». Pour elle, poser nue « renvoie dos à dos à la dissimulation » du corps de la femme sous une burqa. « Je considère que la liberté n’est finalement pas au niveau des apparences et des vêtements », souligne-t-elle.
* La première femen algérienne se serait manifestée hier sur Facebook. Elle répondait au prénom d'Amina.
Écrit par Meriam Sadat
REPORTERS.DZ
Commentaire