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Roman - Divorce à la musulmane à viale Marconi (Amara Lakhous)

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  • Roman - Divorce à la musulmane à viale Marconi (Amara Lakhous)

    jeux d’identité en exil





    Quand la plaisanterie sait être littéraire


    Amara Lakhous vit en Italie. Son roman, Choc des civilisations pour un ascenseur piazza Vittorio, a reçu trois distinctions, dont le prix du Salon international du livre d’Alger. Son dernier ouvrage, Divorce à la musulmane à Viale Marconi, explore la vie des immigrés à Rome, avec un humour décapant. Il nous explique comment sont nés ses différents romans : «D’abord chaque écrivain dans son travail fictionnel a recours à des clefs pour comprendre sa société, son histoire et son vécu. En arrivant en Italie en 1995, j’ai habité pendant six ans à Rome dans le quartier ''Piazza Vittorio'' près de la grande gare. Là, j’ai côtoyé beaucoup d’immigrants venus surtout d’Afrique. De cette expérience, j’ai fait un roman, que j’ai intitulé "Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio", où j’ai essayé de montrer comment s’organisent les nouveaux arrivants et la manière la plus adéquate qui nous permet de vivre ensemble avec nos différences. Le contact aide à l’enrichissement mutuel».

    Depuis quelques années particulièrement, l’Italie est devenue une terre d’exil. La plupart des nouveaux arrivants l’ont fait au péril de leur vie, en empruntant des embarcations de fortune. La cohabitation avec les Italiens n’est pas toujours facile, car pour absorber ce flux migratoire, le pays, comme le reste du continent européen, se montre plutôt frileux. Amara Lakhous a réussi à travers Divorce à la musulmane… à nous décrire cette nouvelle réalité, avec le regard d’un anthropologue qui maîtrise bien son sujet en recourant à la fiction. Deux personnages émergent de cette satire, Issa et Sofia. Ils croisent leur voix, pour raconter la vie dans le «Little Cairo», le quartier égyptien de Rome. Sofia, une Egyptienne qui a un regard lucide sur sa vie quotidienne, est un personnage atypique.

    Laissons l’auteur le présenter : «Je peux dire que Sofia a eu deux vies. La vie antérieure, si vous voulez, celle où elle était en Egypte, elle n’avait aucune prise sur son destin. Sa famille et son mari se sont occupés de tout. Il y avait un moule et elle y est entrée sans se poser de questions. La seule marge de manœuvre qu’elle s’est autorisée, c’est d’avoir un intérêt incontestable et une prédilection pour les langues étrangères. En arrivant en Italie, elle a eu une sorte de révélation pour changer de vie et de renaître de nouveau avec d’autres ambitions, tout en s’affranchissant des pesanteurs sociales et religieuses. Elle a décidé d’apprendre l’italien et de s’orienter vers la coiffure, un métier qu’elle aime. En un mot, l’immigration peut constituer une amélioration de sa condition première et une chance pour aller vers le meilleur. Tous ces éléments en se conjuguant, lui donnent la force de remettre en cause tous les archaïsmes qui entravent sa vie».

    L’auteur joue sur la confusion identitaire pour accentuer le sentiment de précarité et de peur qui habite ses personnages. Issa, qui se fait passer pour un Tunisien, est en fait un certain Christian Mazzari, palermitain arabisant auquel les services secrets italiens ont confié la mission d’infiltrer les milieux islamistes pour démasquer les auteurs d’un attentat terroriste en préparation. Même dissimulation d’identité pour Safia l’Egyptienne, qui se fait appeler «Sofia» en hommage à Sofia Loren.

    En immersion totale dans cette micro-société arabo-musulmane, Issa découvre des choses étonnantes tapies au cœur de la cité romaine. D’abord, la vie de ces immigrants qui tourne autour du taxiphone d’Akram. Ce lieu de socialisation, permet d’avoir un lien avec le pays d’origine, et de trouver auprès du propriétaire, emploi, logement et toutes sortes d’informations pratiques, nécessaires à la réussite de sa vie en Italie. Pour ne pas éveiller les soupçons, il fait l’expérience de la colocation intensive, en habitant dans un petit deux-pièces où s’entassent douze personnes.

    Teresa, la vieille logeuse, est une marchande de sommeil. Elle exploite le désarroi des immigrants pour s’offrir des vacances toute l’année. Et, pour joindre l’utile à l’agréable, elle ne s’interdit pas de séduire l’un de ses locataires de temps en temps. Issa, happé par sa nouvelle vie, oublie presque sa mission qui se transforme en une enquête sociologique. La dérive s’accroît quand il croise le regard de la belle Sofia. Il n’est pas au bout de ses peines.

    Travaillant comme plongeur dans une pizzeria, il fait la connaissance de Felice le pizzaïolo, en fait Saïd Ahmed Metwali, un Egyptien pieux qui le prend en sympathie. Pour achever sa mutation en musulman intégral, il décide de rejoindre la communauté des croyants en faisant sa prière à la mosquée. Après la grande prière du vendredi, Felice l’invite à partager un repas convivial, et là, son regard croise celui de la belle Sofia, l’épouse de son hôte et collègue. Ce dernier le sollicite pour un service. Issa le Tunisien écoute les doléances de son ami l’Egyptien avec ahurissement, découvrant qu’on lui demande d’épouser la belle Sofia. En effet, cette proposition surprenante, est la conséquence des écarts de langage de Felice/Saïd. Il a eu le malheur de prononcer trois fois à l’encontre de sa femme, la sentence fatale : «Tu es répudiée !».

    En islam, pour se remettre avec sa femme répudiée, il faut qu’elle en épouse un autre. Issa est sommé d’accepter le rôle de celui qui va rendre ce mariage licite. Il se retrouve devant un dilemme cornélien entre l’amour de Sofia et sa mission d’infiltration. Amara Lakhous réussit ici à mettre l’intégrisme religieux devant ses propres contradictions et le discours humaniste de l’Occident devant ses limites.


    Slimane Aït Sidhoum
    El Watan 06/04/2013




    Amara Lakhous «Divorce à la musulmane à Viale Marconi»,
    Traduit de l’italien par Elise Gruau.
    Actes-Sud et Barzakh éditions, 2012
    كلّ إناءٍ بما فيه يَنضَح
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