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La Malédiction, Rachid Mimouni

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  • La Malédiction, Rachid Mimouni

    Vingt ans après sa première publication chez Stock (Paris, 1993). La Malédiction de Rachid Mimouni est enfin réédité en Algérie. Le mérite revient à Chihab éditions qui a également sorti en librairie un recueil de nouvelles du même auteur (La ceinture de l’ogresse, édition Seghers, 1990)

    Aussi, pour les passionnés de belle et vraie littérature, lire ou relire le dernier roman de Rachid Mimouni procurera le plaisir trouble du crime impuni qui agrandit l’âme. Ils se laisseront volontiers entraîner dans les profondeurs d’un monde obscur (mais des abysses étrangement familiers) que la dimension esthétique de l’œuvre éclaire tout au long du voyage. Sans doute, ils se rappelleront alors ce mot de Charles Baudelaire : «Il m’a paru plaisant (...) d’extraire la beauté du mal.» Leur lecture terminée, ils se sentiront comme grandis, du moins quelque peu métamorphosés. Parce qu’ils auront exorcisé le démon qui les suit comme leur ombre et que Rachid Mimouni nomme «une peine à vivre». Il est, certes, vrai que ce genre de possession existentielle trouve difficilement remède, mais l’écrivain est profond comme un puits : tout au fond, il y a l’eau claire que le lecteur espérait tant.

    La Malédiction s’offre comme une expédition au cœur de la société et de l’humain, une exploration méthodique des racines du mal. A partir du drame qui commence à se nouer dans l’Algérie des années 1990, et la suite d’événements terribles et de situations pathétiques qu’il préfigure, le récit décrit des circonvolutions qui atteignent jusqu’à la guerre d’indépendance. Cette construction en spirales permet au lecteur de comprendre le jeu des différents protagonistes de la tragédie. Le jeu dû «à qui perd gagne» ou du poker menteur, tant les différents personnages semblent tous poursuivis par une fatalité malencontreuse les empêchant de vivre pleinement et sereinement leur vie. Ils se livrent en aveugles au destin qui les entraîne, contraints ou pas à mettre le doigt dans l’engrenage de la violence et des malheurs.  Le roman est poignant, le propos parfois violent, mais l’atmosphère étouffante est régulièrement rafraîchie par le souffle généreux de la tendresse et des sentiments humains. Grâce à l’effet magique du clair-obscur, sont alors révélés les élans prometteurs de l’amour et la lumière inaltérable des inclinations altruistes. Forcément, ces personnages ont des rêves et des idéaux, car vivants et complexes. Sauf que la plupart d’entre eux éprouvent une grande douleur, celle particulière d’avoir mal à leur pays et d’être mal dans leur peau.

     Amertume, désespoir et désenchantement deviennent leur lot. Toute cette tristesse !


    De légitimes aspirations qui, par une sorte de prédestination, finissent par se briser sur les récifs des incertitudes et de la bêtise humaine. «Ainsi meurent les plus beaux rêves», écrit Rachid Mimouni pour qui l’explication à cette curieuse malédiction serait plutôt à chercher dans tous ces rendez-vous manqués avec l’histoire, dans les faux bonds faits au destin collectif et à l’intégrité des individus. Notre péché originel, notre Caïn qui tua son frère Abel... Tout cela a été commis du temps de la guerre de Libération nationale. La légitimation de la violence révolutionnaire dans les maquis a accouché, depuis, de toutes les formes monstrueuses qui continuent de défigurer le corps social. «Une fois qu’on a accueilli le mal chez soi, il n’exige plus qu’on croit en lui», aurait renchéri Franz Kafka.

    Dans le roman de Rachid Mimouni, l’étrange malédiction quipèse sur les générations d’après l’indépendance et les condamne à subir pareil cycle de violences, infernal, a donc une origine, des racines dont elle se nourrit : abus d’autorité, extrémisme, assassinats de frères d’armes, exactions, ordre moral inique, vengeance, trahison, etc. Par la suite, la classe gouvernante de l’Algérie indépendante a maintenu et perpétué l’exercice d’un tel pouvoir despotique dont les dérives et les aberrations ont fait le lit de l’islamisme violent.

    La Malédiction est un roman construit à partir de cette matrice et tout autour de cette problématique. L’histoire, elle, est inspirée de faits réels : la grève insurrectionnelle lancée par les islamistes en juin 1991.  A Alger, le mouvement occupe les places publiques, prend le contrôle du plus grand hôpital de la ville. L’éditeur écrit dans sa note de présentation du livre : «Là exerce Kader, un jeune obstétricien qui va jouer sa vie dans cette tourmente. Là se retrouvent Saïd l’intellectuel désabusé ; Palsec, figure gouailleuse et pathétique de Gavroche algérois ; Louisa et l’espoir, pour Kader d’un bonheur nouveau ; et Si Morice, l’étrange vieillard qui égrène les souvenirs du temps du maquis et de lutte pour l’indépendance. Ainsi s’imbriquent, dans ce récit où l’hôpital — lieu de naissance et de mort — est la métaphore d’une nation déchirée entre avenir et passé, les pièces d’une malédiction qui s’acharne, depuis un demi-siècle, à susciter la discorde et les luttes fratricides.» Après bien des péripéties, des allers-retours entre passé et présent, des moments de bonheur qui chantent, des rêves ensevelis dans un fatras de tourments, d’espoirs avortés et de mémoire trahie, le récit s’achève sur le retour de Louisa dans sa ville natale, Constantine. Ce personnage allégorique d’un pays qui se cherche sent que l’air est lourd de menaces. Elle est «prise de vertige à l’idée du futur béant devant elle». Ah ! la chausse-trappe qui anihile l’avenir. Tout compte fait, le pire malheur ne serait-il pas dans cette absence de prescience, cette incapacité à se projeter vers le futur ?

    Rachid Mimouni a une conception réaliste de la littérature. Son style d’écriture, à la fois clair et concis, rend ce dernier roman très agréable à lire. Il y a là du mouvement, du rythme, du souffle, de l’émotion, un verbe truculent quand c’est nécessaire, des êtres tourmentés (les personnages), beaucoup de métaphores, une force prémonitoire dans les idées...

    Le grand écrivain, trop tôt disparu à 50 ans, a laissé à la postérité des livres majeurs et majestueux. En photo de couverture de la Malédiction, il a le regard doux et tendre, mais, chose troublante, une tristesse infinie baigne ses yeux...

    Hocine Tamou- le soir

    Rachid Mimouni, La Malédiction, Chihab éditions, Alger, décembre 2012, 256 pages, 500 DA.
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