Ce post m’a été inspiré par un reportage que j’ai écouté sur la Chaine 3 sur la montée du chiisme en Algérie.
Abdelhafidh Ghersallah professeur de sociologie de l'Islam à l’Université d'Oran et chercheur associé au Centre de Recherches en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) s’est intéressé au Chiisme en Algérie d'un point de vue d'anthropologie comparée. Bien que plus discrète et élitiste que les autres formes de religiosité dans la société algérienne, la progression des conversions au chiisme, phénomène relativement nouveau, est réelle.
L’auteur souligne que « l’ambassade iranienne est centrale dans la vie croyante des chiites algériens. Pour les uns, c’est l’occasion d’approfondir leur connaissance du modèle politique et théologique iranien. Pour les autres, c’est la distribution de livres qui importe. Pour d’autres encore, les bourses de voyage de formation à Qom et Téhéran sont à l’origine du déplacement. Les relations sont souvent très denses entre les chargés d’affaires de l’ambassade et les nouveaux convertis. D’ailleurs, tous les interviewés ont affirmé avec constance leur loyauté absolue au guide actuel de la révolution en Iran, Ali Khamenei et aux séminaires religieux iraniens dépendant des autorités politiques de la République islamique. »
Extrait de son étude (Introduction) :
Pour consulter l'étude complète :
Le chiisme en Algérie : de la conversion politique à la naissance d’une communauté religieuse
Abdelhafidh Ghersallah (Traduction et révision de Patrick Haenni)
Cahiers de l’Institut Religioscope. Numéro 8 (Mai 2012)
Abdelhafidh Ghersallah professeur de sociologie de l'Islam à l’Université d'Oran et chercheur associé au Centre de Recherches en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) s’est intéressé au Chiisme en Algérie d'un point de vue d'anthropologie comparée. Bien que plus discrète et élitiste que les autres formes de religiosité dans la société algérienne, la progression des conversions au chiisme, phénomène relativement nouveau, est réelle.
L’auteur souligne que « l’ambassade iranienne est centrale dans la vie croyante des chiites algériens. Pour les uns, c’est l’occasion d’approfondir leur connaissance du modèle politique et théologique iranien. Pour les autres, c’est la distribution de livres qui importe. Pour d’autres encore, les bourses de voyage de formation à Qom et Téhéran sont à l’origine du déplacement. Les relations sont souvent très denses entre les chargés d’affaires de l’ambassade et les nouveaux convertis. D’ailleurs, tous les interviewés ont affirmé avec constance leur loyauté absolue au guide actuel de la révolution en Iran, Ali Khamenei et aux séminaires religieux iraniens dépendant des autorités politiques de la République islamique. »
Extrait de son étude (Introduction) :
L’Algérie, plus que les autres pays d’Afrique du Nord, a montré depuis plusieurs années une singulière porosité vis-à-vis des idéologies religieuses importées : progression importante du christianisme, en particulier dans les zones kabyles, essor extrêmement important du salafisme ces dernières années. Bien que plus discrète et élitiste, la progression des conversions au chiisme depuis près de trente ans est réelle.
Ces conversions, dans les pays où elles se sont transformées en objet médiatique (Syrie, Yémen et, en Afrique du Nord, Maroc et Algérie), génèrent polémiques religieuses et angoisses politiques, avec deux spectres en ligne de mire : l’angoisse théologique de la fitna – la sédition confessionnelle entre musulmans sunnites et chiites – et la peur politique de l’exportation de la révolution (iranienne).
Les stratégies d’influence régionale de l’Iran dans le Moyen-Orient ont alors forcé la question des conversions au chiisme dans une lecture quasi exclusivement géostratégique. Pourtant, même si l’influence iranienne a été – et reste – importante, elle ne saurait à elle seule expliquer l’attractivité de cette nouvelle offre religieuse. Les ressorts de la conversion sont aussi à déceler dans la sociologie des convertis : progressant dans des milieux instruits, la fascination du chiisme révèle autant un certain épuisement du modèle islamiste sunnite que l’individualisation des formes de croyance.
Dans un premier temps, l’attrait pour le chiisme tient dans le fait qu’il est présenté et perçu comme une forme « d’islamisme qui marche », capable de proposer des formes réussies d’idéaux véhiculés par le discours de l’islam politique (révolution, État islamique, résistance, justice, antiimpérialisme). Cet islamisme qui marche fut d’abord incarné – dans les années 1980 – par la révolution iranienne. À l’orée du troisième millénaire, c’est le modèle du Hizbollah qui fournit au converti la success story militante de référence où le projet porteur n’est plus la révolution, mais la résistance.
En parallèle, et en particulier face à la montée des courants salafistes, le chiisme offre ensuite à ces milieux instruits une offre religieuse répondant à une quête de sens fondée sur une religiosité mystique dégagée du souci sunnite de la norme.
Enfin, en milieu kabyle et amazigh, la conversion au chiisme peut s’adosser à des stratégies collectives de distinction culturelle : en permettant à ces populations de renouer avec le passé fatimide*, le chiisme leur offre un répertoire de distinction et de valorisation de soi face aux populations arabes.
Sur trente ans, les motivations et le contexte des conversions ont donc changé. Le chiisme en Algérie est désormais plus qu’une collection d’individus. On passe sur un quart de siècle de l’émergence d’une intelligentsia chiite à la naissance d’une communauté marquée par une certaine endogamie, des rites collectifs, la reproduction d’une culture religieuse propre dans des familles désormais homogènes du point de vue confessionnel et, last but not least, l’apparition de velléités de demandes de reconnaissance publique par les autorités.
Pourtant, le printemps arabe pourrait bien mettre à mal la pertinence du modèle du chiisme comme « islamisme qui marche » : le Hizbollah, en appuyant unilatéralement le régime syrien, et l’Iran, en ne cautionnant les révolutions que là où elles ne menaçaient pas ses intérêts, stratégiques se mettent en effet en décalage vis-à-vis des aspirations politiques dans la région. L’islamisme qui marche désormais est à nouveau sunnite (l’AKP), et son aspiration est moins la geste révolutionnaire que la bonne gouvernance. Reste à savoir si cela affectera la relation de la communauté chiite algérienne aux modèles chiites de la résistance (le Hizbollah) ou de la révolution (le régime iranien)
* : Les Fatimides sont d’obédience chiite ismaélienne. Cette dynastie est née dans les zones berbères kabyles du Maghreb central en 909 sous la direction messianique de leur premier leader, Ubayd Allah. Après avoir combattu le gouvernement kharijite ibadite au Maghreb, ce dernier prit le contrôle de l’essentiel de l’Afrique du Nord, Égypte incluse, dans le courant du Xe siècle.
Ces conversions, dans les pays où elles se sont transformées en objet médiatique (Syrie, Yémen et, en Afrique du Nord, Maroc et Algérie), génèrent polémiques religieuses et angoisses politiques, avec deux spectres en ligne de mire : l’angoisse théologique de la fitna – la sédition confessionnelle entre musulmans sunnites et chiites – et la peur politique de l’exportation de la révolution (iranienne).
Les stratégies d’influence régionale de l’Iran dans le Moyen-Orient ont alors forcé la question des conversions au chiisme dans une lecture quasi exclusivement géostratégique. Pourtant, même si l’influence iranienne a été – et reste – importante, elle ne saurait à elle seule expliquer l’attractivité de cette nouvelle offre religieuse. Les ressorts de la conversion sont aussi à déceler dans la sociologie des convertis : progressant dans des milieux instruits, la fascination du chiisme révèle autant un certain épuisement du modèle islamiste sunnite que l’individualisation des formes de croyance.
Dans un premier temps, l’attrait pour le chiisme tient dans le fait qu’il est présenté et perçu comme une forme « d’islamisme qui marche », capable de proposer des formes réussies d’idéaux véhiculés par le discours de l’islam politique (révolution, État islamique, résistance, justice, antiimpérialisme). Cet islamisme qui marche fut d’abord incarné – dans les années 1980 – par la révolution iranienne. À l’orée du troisième millénaire, c’est le modèle du Hizbollah qui fournit au converti la success story militante de référence où le projet porteur n’est plus la révolution, mais la résistance.
En parallèle, et en particulier face à la montée des courants salafistes, le chiisme offre ensuite à ces milieux instruits une offre religieuse répondant à une quête de sens fondée sur une religiosité mystique dégagée du souci sunnite de la norme.
Enfin, en milieu kabyle et amazigh, la conversion au chiisme peut s’adosser à des stratégies collectives de distinction culturelle : en permettant à ces populations de renouer avec le passé fatimide*, le chiisme leur offre un répertoire de distinction et de valorisation de soi face aux populations arabes.
Sur trente ans, les motivations et le contexte des conversions ont donc changé. Le chiisme en Algérie est désormais plus qu’une collection d’individus. On passe sur un quart de siècle de l’émergence d’une intelligentsia chiite à la naissance d’une communauté marquée par une certaine endogamie, des rites collectifs, la reproduction d’une culture religieuse propre dans des familles désormais homogènes du point de vue confessionnel et, last but not least, l’apparition de velléités de demandes de reconnaissance publique par les autorités.
Pourtant, le printemps arabe pourrait bien mettre à mal la pertinence du modèle du chiisme comme « islamisme qui marche » : le Hizbollah, en appuyant unilatéralement le régime syrien, et l’Iran, en ne cautionnant les révolutions que là où elles ne menaçaient pas ses intérêts, stratégiques se mettent en effet en décalage vis-à-vis des aspirations politiques dans la région. L’islamisme qui marche désormais est à nouveau sunnite (l’AKP), et son aspiration est moins la geste révolutionnaire que la bonne gouvernance. Reste à savoir si cela affectera la relation de la communauté chiite algérienne aux modèles chiites de la résistance (le Hizbollah) ou de la révolution (le régime iranien)
* : Les Fatimides sont d’obédience chiite ismaélienne. Cette dynastie est née dans les zones berbères kabyles du Maghreb central en 909 sous la direction messianique de leur premier leader, Ubayd Allah. Après avoir combattu le gouvernement kharijite ibadite au Maghreb, ce dernier prit le contrôle de l’essentiel de l’Afrique du Nord, Égypte incluse, dans le courant du Xe siècle.
Le chiisme en Algérie : de la conversion politique à la naissance d’une communauté religieuse
Abdelhafidh Ghersallah (Traduction et révision de Patrick Haenni)
Cahiers de l’Institut Religioscope. Numéro 8 (Mai 2012)
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