La nostalgie Zeroual
par Kamel Daoud
L'excès de corruption ou de rumeurs sur la corruption ont généré un curieux effet politique: la «nostalgie Zeroual».
Sur le net, dans les conversations et dans les avis et les têtes quand elles se tournent vers elles-mêmes. Pourquoi ?
Parce que Zeroual a laissé un bon souvenir à l'intérieur d'un mauvais cauchemar.
Techniquement, le bonhomme répond au portrait du leader tiers-mondiste caricatural: c'est un général d'armée, il est venu au pouvoir par ses pairs et pas par le peuple, il a été réélu de la façon africaine de cooptation, suivie d'élection.
Pire encore, il a été placé à la tête du pays pendant une vraie guerre civile, entouré de milliers de morts, de milliers de disparus, torturés, exilés. Il a été là quand l'Algérie mourait, souffrait et était détruite. Il a été à la tête du pays pendant que l'on volait et a laissé son nom au bas des pires décrets, falsifications, mensonges d'Etat, fraudes électorales et de médias.
Et pourtant, le bonhomme a bonne réputation: on le dit propre, humble, homme de principes, discret et inflexible sur ses raisons et sa vision.
Aux yeux des Algériens, le bonhomme tient sa belle vie après sa mort de sa façon de vivre mais aussi de son caractère. A l'époque de sa présidence, on le sentait pris au piège, comme le bon peuple et le bon peuple le prit pour un proche parent, pas pour un homme du régime.
Ensuite, l'homme a été sali et détruit par le système comme jamais fait: cela attire la sympathie du peuple envers un homme qui souffre du régime autant que le peuple.
Ensuite, le bonhomme, malgré les scandales de ses proches, a su garder l'image d'un homme ascète, qui se suffit de peu et dit ce qu'il pense.
Si on creuse bien, il s'agit donc d'une sorte d'avatar de Boumediène, moustache comprise, mais qui n'est pas mort.
Du coup, le paradoxe: les gens, beaucoup, ont la nostalgie de Zeroual, mais pas de son époque. Comme on a la nostalgie de Boumediène mais pas de son socialisme.
Face à l'actualité peu hygiénique d'aujourd'hui, on le regarde comme un bon vieux temps qui n'a rien volé. Il est donc une sorte d'effet rétroactif du messianisme: l'homme attendu est l'homme raté. L'homme propre est l'homme déchu. Zeroual a été réhabilité par sa chute et anobli pas son humilité. Face au père du peuple, il incarne l'image plus accessible du cousin du peuple, en quelque sorte.
Aujourd'hui donc, entre les trébuchements de Bouteflika à l'enterrement d'Ali Kafi, les dossiers de corruption, les peurs des prédations internationales, la crise du Sud et de la confiance, le manque de leaders et l'absence de but sur terre, certains rêvent en douce de Zeroual comme d'une sorte de copie de Boumediène.
C'est-à-dire le rêve d'un homme fort, propre, humble, sincère, sans coloration politique, militaire converti en Président. Le contraire d'un homme vaniteux, naïf, faible, «civil».
Etrange culture politique de l'Algérien: après l'idéologie des cimetières et des martyrs, on en est au fantasme du grenier et des retraités. C'est dire toute la misère des orphelins.
Commentaire