Louisa Aït Hamadouche-Dris, chercheuse en sciences politiques et relations internationales :
Reporters : Alors que l’on considérait « acquise » la proposition de l’élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance du traitement des droits de l’Homme dans les territoires sahraouis, proposition soutenue même par les soutiens traditionnels du Maroc, la France y compris, le revirement de la dernière minute de la position américaine vient de donner un coup de frein à l’initiative et de changer la donne. Qu’est-ce qui a pu motiver ce revirement de la position américaine, à la veille même du vote de la résolution par les Nations unies et quelle lecture peut-on en faire ?
Louisa Aït Hamadouche-Dris : Franchement, la vraie surprise aurait été que les Etats-Unis et la France votent l’élargissement des missions de la Minurso aux droits de l’Homme. Ce revirement m’apparait logique compte tenu de la qualité de l’alliance historique entre le Maroc et les Etats-Unis notamment et du lobbying marocain en Europe et aux Etats-Unis. Le lobby marocain est moins structuré que le fameux lobby pro-israélien, mais il est néanmoins très efficace et bien organisé. Le premier aspect de ce lobby est constitué d’hommes politiques, d’hommes d’affaires, de culture et de diplomates qui ont été à un moment ou à un autre en fonction ou de passage au Maroc et avec lesquels Rabat tisse des liens privilégiés et continus. Quelle que soit la structure dans laquelle le personnage se retrouvera, il continuera de défendre les positions du Maroc. En parallèle, évolue un lobbying très organisé, professionnel, mené par des compagnies cabinets dont la réputation est proportionnelle à leurs succès. Contrairement au premier, ce type de lobbying est rapide à obtenir, mais ponctuel et peu discret. Le lobbying préféré des Marocains est plus personnalisé, il demande plus de temps à mettre en œuvre, mais, en contrepartie, il est « loyal » et jouit d’une très grande longévité.
Le résultat de cet investissement, nous l’observons aujourd’hui, à savoir des positions américaines favorables à Rabat, et ce, quelle que soit la couleur de l’administration en place. Les Marocains ont compris depuis longtemps la différence entre la corruption, le trafic d’influence d’un côté et le lobbying de l’autre. Malgré un régime autoritaire, ils ont su sortir de la diplomatie représentative et entrer de plain-pied dans la diplomatie d’influence.
Est-ce là, selon vous, une prime à l’impunité marocaine ou au contraire un « avertissement » à son égard ? Cela va-t-il, à votre avis, renforcer le Maroc dans sa politique suivie jusque-là, sachant qu’il a déjà violé plusieurs résolutions des Nations unies sans être inquiété, ou alors l’inciter à montrer une certaine prudence ?
Le Maroc vient de traverser une crise. Il est passé très près d’une défaite politique, mais en même temps, il sort de cette crise victorieux. Si les Marocains sont stratégiques, et ils le sont généralement, ils s’inscriront dans le long terme et comprendront qu’ils ne pourront pas indéfiniment occuper le Sahara occidental et proposer leur plan d’autonomie élargie, sans améliorer drastiquement la situation politique qui y prévaut. Aussi peut-on s’attendre, dans un avenir proche, à l’annonce de mesures formelles et symboliques, dans le but de rassurer la communauté internationale. Les Sahraouis devront alors se montrer plus offensifs et plus convaincants pour montrer que sans la présence d’une autorité internationale neutre, le statu quo restera producteur d’injustice et porteur d’instabilité et d’insécurité pour l’ensemble de la région.
Quelles implications pourra-t-il avoir sur la poursuite du processus de négociations entre le Front Polisario et le Maroc?
Le Polisario risque d’être confronté à une période d’incertitudes face à ce nouvel échec. Mais si on considère la victoire du Maroc comme relative, on peut tout aussi bien qualifier la défaite du Polisario comme relative également. Pour cela, le Front devra contourner la diplomatie publique marocaine et montrer qu’il peut servir de modèle en termes de gouvernance démocratique, d’alternance, de respect du pluralisme. Parallèlement, les alliés naturels des Sahraouis doivent également méditer ce revers et déconstruire les arguments marocains selon lesquels c’est en soutenant le plan marocain que la stabilité politique sera maintenue et la lutte antiterroriste plus efficace. Or, pour changer les idées reçues, il faut dépenser plus et mieux en termes de lobbying, sortir de la centralisation pour travailler en réseaux et ne pas mettre tous les atouts dans le même panier.
REPORTERS.DZ
Reporters : Alors que l’on considérait « acquise » la proposition de l’élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance du traitement des droits de l’Homme dans les territoires sahraouis, proposition soutenue même par les soutiens traditionnels du Maroc, la France y compris, le revirement de la dernière minute de la position américaine vient de donner un coup de frein à l’initiative et de changer la donne. Qu’est-ce qui a pu motiver ce revirement de la position américaine, à la veille même du vote de la résolution par les Nations unies et quelle lecture peut-on en faire ?
Louisa Aït Hamadouche-Dris : Franchement, la vraie surprise aurait été que les Etats-Unis et la France votent l’élargissement des missions de la Minurso aux droits de l’Homme. Ce revirement m’apparait logique compte tenu de la qualité de l’alliance historique entre le Maroc et les Etats-Unis notamment et du lobbying marocain en Europe et aux Etats-Unis. Le lobby marocain est moins structuré que le fameux lobby pro-israélien, mais il est néanmoins très efficace et bien organisé. Le premier aspect de ce lobby est constitué d’hommes politiques, d’hommes d’affaires, de culture et de diplomates qui ont été à un moment ou à un autre en fonction ou de passage au Maroc et avec lesquels Rabat tisse des liens privilégiés et continus. Quelle que soit la structure dans laquelle le personnage se retrouvera, il continuera de défendre les positions du Maroc. En parallèle, évolue un lobbying très organisé, professionnel, mené par des compagnies cabinets dont la réputation est proportionnelle à leurs succès. Contrairement au premier, ce type de lobbying est rapide à obtenir, mais ponctuel et peu discret. Le lobbying préféré des Marocains est plus personnalisé, il demande plus de temps à mettre en œuvre, mais, en contrepartie, il est « loyal » et jouit d’une très grande longévité.
Le résultat de cet investissement, nous l’observons aujourd’hui, à savoir des positions américaines favorables à Rabat, et ce, quelle que soit la couleur de l’administration en place. Les Marocains ont compris depuis longtemps la différence entre la corruption, le trafic d’influence d’un côté et le lobbying de l’autre. Malgré un régime autoritaire, ils ont su sortir de la diplomatie représentative et entrer de plain-pied dans la diplomatie d’influence.
Est-ce là, selon vous, une prime à l’impunité marocaine ou au contraire un « avertissement » à son égard ? Cela va-t-il, à votre avis, renforcer le Maroc dans sa politique suivie jusque-là, sachant qu’il a déjà violé plusieurs résolutions des Nations unies sans être inquiété, ou alors l’inciter à montrer une certaine prudence ?
Le Maroc vient de traverser une crise. Il est passé très près d’une défaite politique, mais en même temps, il sort de cette crise victorieux. Si les Marocains sont stratégiques, et ils le sont généralement, ils s’inscriront dans le long terme et comprendront qu’ils ne pourront pas indéfiniment occuper le Sahara occidental et proposer leur plan d’autonomie élargie, sans améliorer drastiquement la situation politique qui y prévaut. Aussi peut-on s’attendre, dans un avenir proche, à l’annonce de mesures formelles et symboliques, dans le but de rassurer la communauté internationale. Les Sahraouis devront alors se montrer plus offensifs et plus convaincants pour montrer que sans la présence d’une autorité internationale neutre, le statu quo restera producteur d’injustice et porteur d’instabilité et d’insécurité pour l’ensemble de la région.
Quelles implications pourra-t-il avoir sur la poursuite du processus de négociations entre le Front Polisario et le Maroc?
Le Polisario risque d’être confronté à une période d’incertitudes face à ce nouvel échec. Mais si on considère la victoire du Maroc comme relative, on peut tout aussi bien qualifier la défaite du Polisario comme relative également. Pour cela, le Front devra contourner la diplomatie publique marocaine et montrer qu’il peut servir de modèle en termes de gouvernance démocratique, d’alternance, de respect du pluralisme. Parallèlement, les alliés naturels des Sahraouis doivent également méditer ce revers et déconstruire les arguments marocains selon lesquels c’est en soutenant le plan marocain que la stabilité politique sera maintenue et la lutte antiterroriste plus efficace. Or, pour changer les idées reçues, il faut dépenser plus et mieux en termes de lobbying, sortir de la centralisation pour travailler en réseaux et ne pas mettre tous les atouts dans le même panier.
REPORTERS.DZ
Commentaire