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Il y a 10 ans disparaissaient Dib et Azzegagh

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  • Il y a 10 ans disparaissaient Dib et Azzegagh

    Alors que l’atmosphère du pays est à couper au couteau et que tout n’est que bruissement de la rumeur et nauséabondes révélations, qu’y a-t-il de mieux, pour l’épistolier de province, que de s’en aller prendre l’air du côté de la littérature ? C’est-à-dire cheminer simplement à travers les sentiers de quelques vieilles lectures jouissives en évoquant deux auteurs disparus, à une semaine d’intervalle, en 2003. Mohamed Dib et Ahmed Azzegagh se sont éclipsés, en effet, au printemps de cette année-là, en nous léguant une somme poétique qui n’a pas pris une seule ride.

    Il y eut d’abord la révérence du discret Azzegagh (24 avril). Ce monastique poète, que l’éphémère revue Novembre révéla en même temps que le défunt Mustapha Toumi, ne connut, hélas, pas la notoriété du grand public dont, pourtant, son inspiration et son verbe méritaient. Est-ce dû à la rareté de ses textes ? En partie seulement, car il manquait à l’homme, qui s’avançait masqué derrière son œuvre, l’audace des bateleurs. Réservé et silencieux par nature, il avait une prédisposition pour les ermitages. Se «bricolant» (c’était son mot fétiche) des bulles-refuges au cœur des villes qu’il hantait, il sut toujours tenir celles-ci à distance. C’était sa manière à lui de ruminer intellectuellement avant de se mettre au travail. S’évitant, d’ailleurs, par une insigne humilité, de parler d’écriture en toutes circonstances. C’est que, loin de chercher quelques échappatoires afin de justifier sa lente gestation, il éprouvait cependant le besoin de rappeler que chez lui tout passait essentiellement par l’aptitude à l’indignation. Sa seule «accoucheuse» disait-il. Son talent, passant forcément par ses élans, avait besoin de brûler et de s’émouvoir, ou même de sentir monter en lui la véhémence avant de convoquer les mots. Alors il le faisait avec la gravité d’un moine et l’application d’un écolier. Soucieux du moindre agencement avant de livrer sa copie, il s’en détournait, aussitôt fait. Car il n’était ni un aboyeur des lettres ni un clerc courant après la consécration officielle, mais un amant des mots, inquiet dans sa quête. Ceux qui l’ont connu gardent de lui cette image d’un Saint Exupéry du Petit prince qui dessine des moutons que l’on n’égorgera jamais !

    Comme il n’y a rien de comparable entre l’étoile filante que fut Azzegagh et l’indestructible vigie des lettres algériennes que demeure DIB, laissons par conséquent le soin aux biographes d’annoter et commenter sa vie. Encore que, le Dib dont l’Algérie a reçu l’héritage ne peut se réduire à un lieu de naissance et aux anecdotes relatives à son enfance. Son œuvre est tellement dense que la seule biographie qui devrait désormais l’éclairer est précisément sa… bibliographie. Cela est d’autant plus vrai pour les lecteurs que leur rencontre avec son œuvre remonta à très loin. C’est en effet «Au café» qu’ils firent connaissance avec ce lettré qui savait peindre ses semblables avec une économie de mots étonnante tout en suggérant par petites touches les discussions qui se nouent dans cet espace mauresque (café maure !).

    Cela s’était passé au cœur d’un été des années 1960 lorsque quelques collégiens constantinois purent lire simultanément Nedjma de Kateb Yacine, Les Boucs du Marocain Driss Chraïbi et ce recueil de nouvelles arrivé en même temps que L’Incendie. Ainsi Dib accompagné de Kateb leur étaient-ils octroyés comme une dotation littéraire. Et bien plus encore comme le paraphe intellectuel de l’identité nationale. Ce signe distinctif d’un génie algérien qui parle autrement de l’arabe que ne l’avait fait Camus dans L’Etranger, à travers son personnage Meursault qui tue «absurdement» un indigène sur une plage. A ces lecteurs de l’époque, Dib était l’initiateur vers un Graal afin de retrouver les traces d’un «Moi» longtemps nié par l’autre.

    Au rythme d’une œuvre qui s’est déployée et démultipliée sur un demi-siècle, il demeure certainement l’auteur algérien qui a le plus et le mieux expérimenté toutes les formes de l’écriture et surtout inversé le regard ethnologique en posant le sien sur les mœurs scandinaves (trilogie finlandaise).

    Mais, au-delà de sa production romanesque, la critique pointue a surtout mis en exergue son orfèvrerie poétique. Celle notamment où l’on retrouve les ombres tutélaires d’un Desnos ou d’un René Char. Et si «Ô vive» doit être reçue comme une crypte de graphie latine, elle parle aussi de la nostalgie du pays natal. Reste enfin l’incomparable recueil intitulé Ombre gardienne qu’Aragon préfaça en parlant de son auteur. «Cet homme, écrit-il, d’un pays qui n’a rien à voir avec les arbres de ma fenêtre, les fleuves de mes quais, les pierres de nos cathédrales, parle avec les mots de Villon et de Péguy.»

    Au moment où tout n’est que doute et pessimisme dans ce pays, était-il nécessaire de convoquer des poètes ? Quelque part la réponse est «oui», car cela permet d’exorciser le malheur en réinventant, par le rêve, un pays innocent.


    Boubakeur Hamidechi
    كلّ إناءٍ بما فيه يَنضَح
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