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Georges Corm libre penseur Libanais.

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  • Georges Corm libre penseur Libanais.

    L'Express du 27/02/2003 Numero: 2695

    «L'Occident a planté les graines de la violence» propos recueillis par Dominique Simonnet

    Des siècles de domination impériale n'y ont pas suffi. Il fallait encore que l'Occident allume de nouveaux incendies: dès 1918, la France et la Grande-Bretagne, puis l'URSS et les Etats-Unis, ont colonisé le Moyen-Orient, découpé les frontières, attisé les rancœurs communautaires, et couronné les dictateurs et les intégristes. Ce sont les Occidentaux qui ont semé les graines de la violence et du fanatisme, accuse l'intellectuel libanais Georges Corm. Ce sont eux qui
    ont mis le Moyen-Orient à genoux. A l'heure où nous donnons des leçons de morale à la planète entière, nous nous gardons bien d'évoquer notre part de responsabilité dans cette histoire. Le monde arabe, lui, ne l'a pas oubliée.

    Au Moyen-Orient, l'Antiquité se termine en... 1919, avez-vous écrit. La formule est pour le moins surprenante.

    Qu'entendez-vous par là?

    Au Moyen-Orient, la fin de la Première Guerre mondiale marque en effet l'effondrement du modèle antique: celui de la grande structure impériale dans laquelle se mélangent les religions, les peuples, les langues. Quand l'Empire ottoman, qui avait choisi le camp des vaincus, est démembré, en 1919, la France et la Grande-Bretagne prennent le contrôle du Moyen-Orient, mais elles ne comprennent rien à cette unité dans la diversité. Elles n'y voient qu'un ensemble de «majorités» et de «minorités», notions spécifiquement européennes. Pour les Occidentaux, la langue, la religion et la race sont constitutives d'une communauté. Ils vont donc survaloriser les identités religieuses, privilégier les
    «minorités», celles qui ne relèvent pas du courant sunnite: les chrétiens, les musulmans hétérodoxes (chiites, ismaéliens, druzes). Et, ce faisant, provoquer un véritable émiettement de la région, en suscitant l'éveil de sentiments communautaristes.

    Le partage du Moyen-Orient avait déjà été planifié par les Européens, avant même la fin de la guerre...

    Absolument. En 1916, les Français et les Britanniques s'étaient secrètement partagé la région. Mais, en même temps, les Britanniques avaient promis aux Hachémites (qui gouvernaient le petit royaume du Hedjaz, avec La Mecque et les
    lieux saints) la création d'un royaume arabe unifié sur ces mêmes territoires (Arabie, Syrie, Liban, Palestine, Irak)! Et, en 1917, lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, avait, lui, assuré que la Palestine irait aux
    communautés juives d'Europe. Cela sans compter le démembrement de l'Anatolie, prévu par le traité de Sèvres (1920), et que le sursaut de Mustafa Kemal fait avorter.

    Déjà, la Palestine aux juifs?

    L'idée d'un retour des juifs en Palestine n'était pas nouvelle: elle avait été avancée dès l'expédition de Bonaparte en Egypte, et les premières implantations juives avaient été créées en 1897 par le mouvement sioniste de Theodor Herzl.
    Jusque-là, musulmans, chrétiens et juifs y vivaient ensemble et en paix... En 1919, les Etats-Unis tentent de freiner les visées impérialistes des Français et des Britanniques. Ils envoient au Moyen-Orient une commission d'enquête qui
    rend un avis très clair: le souhait des Arabes, dit-elle, c'est de s'unir en un seul Etat, sous l'égide des Hachémites. Et les Américains précisent: il ne faut surtout pas tenter de créer un Etat exclusivement juif en Palestine qui aboutirait
    à l'éviction des Palestiniens de leur pays.

    Tout cela était assez bien vu... Mais on n'écoute pas les conseils des Américains...

    Non. Les Français et les Britanniques considèrent cette commission comme une ingérence inadmissible dans leurs affaires.
    Les pays arabes sont alors placés «sous mandat»: la France dispose de la Syrie et du Liban; la Grande-Bretagne prend l'Irak et la Palestine, en sus de l'Egypte, qu'elle occupe depuis 1882; l'Italie a occupé la Libye en 1911. Plus question d'un
    grand Etat arabe! Et plus question de discuter avec les Hachémites d'Arabie, qui prônent un nationalisme arabe modernisant devenu trop populaire. En Arabie, les Britanniques provoquent d'ailleurs leur chute et placent au pouvoir, en 1926, la famille des Saoud, qui se réclame du wahhabisme, fondamentalisme musulman très localisé au centre de l'Arabie, ayant une conception rigoriste et étriquée de la charia.

    Les puissances occidentales ne misent pas sur les modérés.

    Il est plus simple de traiter avec les chefs de tribus qui refusent la modernité plutôt qu'avec les élites modernistes mais nationalistes. Au cours de cette période, la France et la Grande-Bretagne exercent une domination pesante sur les pays arabes, étouffant toutes les aspirations modernistes et démocrates, et renforcent les identités religieuses (diviser pour mieux régner). Ainsi, sous son mandat, la France réprime dans le sang les révoltes, comme celles des
    Druzes en Syrie, bombardant Damas à plusieurs reprises. En Palestine, la Grande-Bretagne, elle, met en place des structures communautaires juives, embryons d'Etat...

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, la situation au Moyen-Orient ne change pas.

    Des révoltes se produisent en Irak, vite matées par les Britanniques. Dès 1943, l'indépendance est demandée par les Libanais et les Syriens. Mais, cette année-là, la France commet l'acte inouï d'emprisonner pendant trois semaines le
    président de la République du Liban et la totalité du Conseil des ministres, sous prétexte qu'ils viennent d'ôter de leur Constitution toute référence au mandat de la France et d'instituer l'arabe comme langue officielle. Il faudra encore trois ans, et une plainte du Conseil de sécurité, pour obtenir l'évacuation des troupes françaises.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le Moyen-Orient éclate, écartelé par les multiples interventions des puissances occidentales et tétanisé par la création de l'Etat d'Israël.

    Quand l'ONU décide, en 1947, le partage du territoire entre juifs et Palestiniens, la guerre entre les deux communautés est inévitable. Les Arabes ne comprennent pas pourquoi ils doivent, eux, peuple tiers, supporter le poids de l'Holocauste et des crimes commis en Europe. Pourquoi ne donne-t-on pas la Bavière aux juifs, ou pourquoi ne les accueille-t-on pas aux Etats-Unis? En Palestine, pourtant, il n'y a pas d'hostilité à une présence juive et une immigration modérée: de tout temps, il y a eu une présence juive, et aussi chrétienne. Mais ce qui leur semble inacceptable, c'est la création d'un Etat séparé. Une partie du sionisme (comme celui de Martin Buber) lui-même n'en voulait pas. Les Arabes refusent donc la résolution de l'ONU sur le partage. Le conflit israélo-arabe est engagé.

    Et la géopolitique de la région va désormais en dépendre.

    En 1948, les armées arabes sont vaincues par les milices juives. L'ONU demande l'internationalisation de Jérusalem et garantit aux Palestiniens expulsés un droit au retour qui ne sera pas respecté. Ce premier conflit a pour conséquence
    la chute des gouvernements de Syrie, en 1949, puis d'Egypte, en 1952, où les militaires prennent le pouvoir. Deux pays qui se tournent vers l'URSS, pendant que les Etats-Unis tentent d'embrigader l'Irak, le Liban et le nouvel Etat de
    Jordanie (créé en 1949), en plus de l'Arabie saoudite, déjà dans leur giron, dans un pacte pour contrer l'influence soviétique grandissante dans la région.

    La France et la Grande-Bretagne quittent le devant de la scène. Entrent l'URSS et les Etats-Unis. C'est la guerre froide que l'on exporte au Moyen-Orient.

    En effet, le monde arabe est coupé entre, d'une part, les régimes dits «progressistes», qui nationalisent à tour de bras et se tournent économiquement vers l'URSS, et, d'autre part, les clients de la puissance américaine. A ce moment-là, les pays dits «non alignés» perçoivent Moscou comme le contrepoids à l'impérialisme occidental. Les mouvements palestiniens se développent dans toute la région, avec le soutien des très nombreux groupes politiques et des pays dits «progressistes».

    Suit la longue série de conflits que l'on connaît: la malheureuse expédition franco-britannique de Suez en 1956, la guerre des Six-Jours en 1967, la guerre du Kippour, en 1973... Malgré les accords de Camp David, qui rendent le Sinaï à l'Egypte, les Etats-Unis ne parviennent pas à éteindre l'incendie.

    Le conflit israélo-palestinien va se poursuivre pendant quinze ans, mais sur le territoire du Liban, envahi deux fois par Israël (1978 et 1982) sous prétexte d'éradication des mouvements armés palestiniens. On continue de se battre, dans un espace restreint cette fois. Les Libanais connaîtront quinze ans de souffrances (1975-1990). La décennie suivante verra les tentatives de paix rester sans succès, car l'accord d'Oslo, en 1993, sera vidé de son sens du fait de la continuation de la colonisation israélienne.

    Un autre facteur bouleverse la donne pendant cette période: le pétrole.

    Entre 1973 et 1985, les pays pétroliers reçoivent une manne de plus de 1 000 milliards de dollars! L'Arabie saoudite devient une puissance financière considérable. Une partie de cet argent est alors utilisée pour promouvoir la conception wahhabite de l'islam dans tous les pays musulmans.

    Favoriser l'intégrisme, c'est aussi ce que fait l'Occident en Iran, jouant une fois encore sur les rivalités religieuses.

    En effet. Pour éviter le développement du communisme, les Etats-Unis voient d'un bon œil les mouvements intégristes musulmans et favorisent la prise de pouvoir des religieux en Iran: l'imam Khomeini est d'abord considéré comme un
    paratonnerre contre le communisme.

  • #2
    Suite

    Favoriser l'intégrisme, c'est aussi ce que fait l'Occident en Iran, jouant une fois encore sur les rivalités religieuses.

    En effet. Pour éviter le développement du communisme, les Etats-Unis voient d'un bon œil les mouvements intégristes musulmans et favorisent la prise de pouvoir des religieux en Iran: l'imam Khomeini est d'abord considéré comme un
    paratonnerre contre le communisme. La France l'accueille et le traite comme un véritable chef d'Etat. Par la suite, lorsque la révolution iranienne dérape (prise de l'ambassade américaine à Téhéran), les Occidentaux diabolisent le chiisme et idéalisent le sunnisme wahhabite, considéré comme un allié de l'Occident. Ils ne comprennent pas que l'islamisme radical est en fait l'héritier des partis communistes: c'est la même vision anti-impérialiste du monde, la même
    dénonciation, avec un vocabulaire différent. Beaucoup de «progressistes» laïques de couleurs diverses se convertissent dans toute la région en partisans acharnés du khomeinisme: ils avaient trouvé quelque chose de mieux que le communisme pour faire peur aux Occidentaux! En 1980, quand l'Irak entre en guerre contre l'Iran, c'est Saddam Hussein qui reçoit le soutien logistique des Occidentaux. L'Irak sort de la guerre surendetté et surarmé. En 1990, il envahit le Koweït, qui a refusé d'annuler ses créances sur l'Irak. On connaît la suite.

    Bilan de ces dernières décennies: un désastre. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Occident n'a pas exporté la démocratie!

    L'Occident a soutenu à la fois les mouvements politiques intégristes et les régimes dictatoriaux. Par ailleurs, le Moyen-Orient est redevenu un nain économique, car la fortune pétrolière n'a pas servi à une industrialisation rapide.
    En outre, la politique des deux poids, deux mesures pratiquée par l'Occident dans la région, qui a permis à Israël de continuer ses occupations de territoires en infraction au droit international, a contribué à décrédibiliser les principes démocratiques dont il se réclame et à mettre le vent en poupe aux mouvements intégristes islamiques, tous devenus antioccidentaux du fait de la permanence du stationnement des troupes américaines dans la péninsule Arabique.
    En fait, l'Occident, dans cette région du monde, a joué les pompiers pyromanes. Il a planté les graines des déstabilisations et des violences, et s'efforce bien maladroitement d'éteindre les incendies. L'aveuglement a été général.
    Certains islamologues américains et français expliquaient même sans rire, au temps de la guerre d'Afghanistan contre l'occupation soviétique, que le fondamentalisme islamique ne présentait aucun danger et qu'il était un passage obligé vers la modernité!

    Pour vous, le Moyen-Orient est en décadence.

    Tout à fait. Cette histoire, c'est bien celle de la décadence des sociétés arabes, impuissantes à résister à la domination ottomane, puis aux colonialismes et au dépècement de leur région, impuissantes à devenir des acteurs respectés de l'ordre international moderne. Les Arabes sont les éternels perdants du jeu mondial. Leur histoire est celle des vaincus. Toutes les tentatives faites au cours du dernier demi-siècle pour infléchir cette décadence ont échoué. Et le Moyen-Orient a commencé le nouveau siècle comme le précédent, cette fois-ci non sous la férule franco-britannique, mais sous la toute-puissante tutelle des Etats-Unis, que certains pays européens, heureusement, contestent.

    Au terme de cette histoire rapide, on se rend compte combien le passé pèse sur les drames d'aujourd'hui.

    Dans cette région, l'Histoire est un sujet conflictuel, source de polémiques incessantes. Le futur n'est malheureusement plus perçu qu'en fonction d'une vision mythique du passé, de l'âge d'or de la civilisation islamique: à la différence
    d'autres régions, le Moyen-Orient reste figé dans une conduite d'échec. Pour renverser cette tendance historique lourde, il faut la mise en œuvre d'un droit démocratique, donc laïque et décommunautarisé - y compris au niveau israélien - ce qui ne sera possible que si les puissances occidentales donnent l'exemple en faisant elles-mêmes un bon usage de ce droit, en particulier au niveau international, où il ne peut connaître des applications différentes et à intensité variable.

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