L'enfer est, paraît-il, pavé de bonnes intentions. Celui de la rue Cognacq-Jay, à Paris, siège historique de la télévision jusqu'en 1992, l'était, lui, d'intentions plutôt contestables. L'"enfer" ? Une petite pièce située au deuxième sous-sol de cet immeuble et où étaient entreposés tous les reportages et les rushes censurés du temps de l'ORTF. Les journalistes l'appelaient ainsi en référence à l'"enfer" de la Bibliothèque nationale où étaient enfermés les livres jugés subversifs.
La plupart du temps, les raisons de cette mise au purgatoire étaient politiques, mais il y avait aussi des problèmes de droits et des questions juridiques", explique Michel Raynal, directeur délégué adjoint aux collections de l'INA. Aujourd'hui, ces films ont été numérisés, répertoriés, réintégrés dans les archives, et ils sont accessibles aux chercheurs et au grand public sur le site de l'INA.
Pour comprendre dans quelles conditions ces films ont été précipités en enfer, il faut remonter dans le passé. Plus précisément à la présidence du général de Gaulle, au début des années 1960. Souhaitant contrôler les journaux d'informations à la radio et à la télévision - "les voix de la France" -, le président de la République avait mis en place un système de censure que les journalistes avaient bien du mal à contourner. A la tête de ce système, on trouvait Alain Peyrefitte, ministre de l'information depuis 1962, chargé des basses oeuvres audiovisuelles. Chaque matin, il réunissait dans son bureau les responsables de la radio et de la télévision, à qui il dictait le conducteur quotidien de leurs différents journaux. Ensuite, il les faisait surveiller par quelques fonctionnaires du service de liaison interministériel pour l'information (SLII), organisme interne de son ministère chargé, jusqu'en 1969, de contrôler la "bonne conduite" de la radio et de la télévision. Rien n'échappait à ces hommes de l'ombre dont le zèle frôlait souvent l'abus de pouvoir. Ainsi, lorsqu'un reportage traitait d'un sujet politiquement sensible ou que des images ou des commentaires ne plaisaient pas, il était immédiatement envoyé en "enfer".
LOCAL BOUCLÉ À DOUBLE TOUR
C'est à la fin des années 1980, au moment du déménagement de l'INA de la rue Cognacq-Jay vers le 13e arrondissement de Paris, que les bobines de l'"enfer" ont été découvertes. Même si tout le monde à la radio et à la télévision connaissait ce lieu, devenu un fantasme collectif, seules quelques personnes, triées sur le volet, avaient accès au local bouclé à double tour. Enfermés dans plusieurs sacs de jute sans étiquette ni référence, des dizaines de films avaient ainsi été oubliés après le démantèlement de l'ORTF, en 1974. "Les bobines ont été rapatriées sur notre nouveau site afin d'être visionnées et inventoriées. Le travail fut long et très compliqué, car il n'y avait aucune référence", pointe Michel Raynal. Ce n'est que bien plus tard que les services de l'INA récupèrent des notes de service et des lettres internes siglées "confidentielles" de l'administration. Ces documents leur permettent de s'orienter au sein du dédale de l'"enfer". Dans leur documentaire Voyage au centre de l'info, diffusé sur France 2 en 1999, le journaliste Hervé Brusini et le chercheur Francis James racontent comment eux aussi ont découvert par hasard ces fameux sacs de jute au cours de leurs recherches.
Le contenu de l'"enfer" est un inventaire à la Prévert... la poésie en moins. Si l'information constitue une grande partie du répertoire, la culture au sens large y est aussi très présente. Au hasard, on y trouve le magazine "Gros plan" consacré à Salvador Dali, qui parle en 1961 de ses "souvenirs de vie intra-utérine". Le peintre avait choisi d'illustrer ses propos par une diffusion de la séquence du rasoir du Chien andalou de Luis Buñuel, ce qui a visiblement achevé d'offusquer les censeurs. Aller simple pour l'"enfer" ! Même chose pour "Terre des arts", le magazine de Max-Pol Fouchet consacré aux premiers pas de la révolution à Cuba, en 1960. Tous les rushes du magazine furent supprimés.
On peut revoir une interview de François Truffaut, probablement filmée au début des années 1970, qui évoque la fermeture de la Cinémathèque de Chaillot, "seul endroit où on ne coupait pas les films", et qui renouvelle son soutien à Henri Langlois. En 1968, le directeur emblématique de cette institution avait été menacé d'éviction par André Malraux, le ministre de la culture du général de Gaulle, et l'affaire avait fait grand bruit. Mais ce n'est pas tout : l'évocation des films Mourir d'aimer, d'André Cayatte, racontant le suicide de Gabrielle Russier, cette jeune professeure qui avait eu une liaison avec un de ses élèves, et Le Souffle au coeur, de Louis Malle, sur l'inceste, est systématiquement mise au rebut.
Pour avoir, en plein après-midi, évoqué le film de Cayatte, le très familial magazine "Aujourd'hui madame"s'est lui-même retrouvé en enfer, en compagnie de "Post scriptum", le magazine plutôt contestataire de Michel Polac. Dans ce dernier, on voit les écrivains Alberto Moravia, Dominique Fernandez et Jean-Jacques Pauvert débattre du film de Louis Malle, ce qui, aujourd'hui, serait tout à fait banal au regard des grands débats de société abordés dans les talk-shows. Les chanteurs enfin n'échappent pas non plus à la censure. Evariste, guitariste excentrique issu de Mai 68, et Bernard Lavilliers ont aussi fait un tour en enfer.
La plupart du temps, les raisons de cette mise au purgatoire étaient politiques, mais il y avait aussi des problèmes de droits et des questions juridiques", explique Michel Raynal, directeur délégué adjoint aux collections de l'INA. Aujourd'hui, ces films ont été numérisés, répertoriés, réintégrés dans les archives, et ils sont accessibles aux chercheurs et au grand public sur le site de l'INA.
Pour comprendre dans quelles conditions ces films ont été précipités en enfer, il faut remonter dans le passé. Plus précisément à la présidence du général de Gaulle, au début des années 1960. Souhaitant contrôler les journaux d'informations à la radio et à la télévision - "les voix de la France" -, le président de la République avait mis en place un système de censure que les journalistes avaient bien du mal à contourner. A la tête de ce système, on trouvait Alain Peyrefitte, ministre de l'information depuis 1962, chargé des basses oeuvres audiovisuelles. Chaque matin, il réunissait dans son bureau les responsables de la radio et de la télévision, à qui il dictait le conducteur quotidien de leurs différents journaux. Ensuite, il les faisait surveiller par quelques fonctionnaires du service de liaison interministériel pour l'information (SLII), organisme interne de son ministère chargé, jusqu'en 1969, de contrôler la "bonne conduite" de la radio et de la télévision. Rien n'échappait à ces hommes de l'ombre dont le zèle frôlait souvent l'abus de pouvoir. Ainsi, lorsqu'un reportage traitait d'un sujet politiquement sensible ou que des images ou des commentaires ne plaisaient pas, il était immédiatement envoyé en "enfer".
LOCAL BOUCLÉ À DOUBLE TOUR
C'est à la fin des années 1980, au moment du déménagement de l'INA de la rue Cognacq-Jay vers le 13e arrondissement de Paris, que les bobines de l'"enfer" ont été découvertes. Même si tout le monde à la radio et à la télévision connaissait ce lieu, devenu un fantasme collectif, seules quelques personnes, triées sur le volet, avaient accès au local bouclé à double tour. Enfermés dans plusieurs sacs de jute sans étiquette ni référence, des dizaines de films avaient ainsi été oubliés après le démantèlement de l'ORTF, en 1974. "Les bobines ont été rapatriées sur notre nouveau site afin d'être visionnées et inventoriées. Le travail fut long et très compliqué, car il n'y avait aucune référence", pointe Michel Raynal. Ce n'est que bien plus tard que les services de l'INA récupèrent des notes de service et des lettres internes siglées "confidentielles" de l'administration. Ces documents leur permettent de s'orienter au sein du dédale de l'"enfer". Dans leur documentaire Voyage au centre de l'info, diffusé sur France 2 en 1999, le journaliste Hervé Brusini et le chercheur Francis James racontent comment eux aussi ont découvert par hasard ces fameux sacs de jute au cours de leurs recherches.
Le contenu de l'"enfer" est un inventaire à la Prévert... la poésie en moins. Si l'information constitue une grande partie du répertoire, la culture au sens large y est aussi très présente. Au hasard, on y trouve le magazine "Gros plan" consacré à Salvador Dali, qui parle en 1961 de ses "souvenirs de vie intra-utérine". Le peintre avait choisi d'illustrer ses propos par une diffusion de la séquence du rasoir du Chien andalou de Luis Buñuel, ce qui a visiblement achevé d'offusquer les censeurs. Aller simple pour l'"enfer" ! Même chose pour "Terre des arts", le magazine de Max-Pol Fouchet consacré aux premiers pas de la révolution à Cuba, en 1960. Tous les rushes du magazine furent supprimés.
On peut revoir une interview de François Truffaut, probablement filmée au début des années 1970, qui évoque la fermeture de la Cinémathèque de Chaillot, "seul endroit où on ne coupait pas les films", et qui renouvelle son soutien à Henri Langlois. En 1968, le directeur emblématique de cette institution avait été menacé d'éviction par André Malraux, le ministre de la culture du général de Gaulle, et l'affaire avait fait grand bruit. Mais ce n'est pas tout : l'évocation des films Mourir d'aimer, d'André Cayatte, racontant le suicide de Gabrielle Russier, cette jeune professeure qui avait eu une liaison avec un de ses élèves, et Le Souffle au coeur, de Louis Malle, sur l'inceste, est systématiquement mise au rebut.
Pour avoir, en plein après-midi, évoqué le film de Cayatte, le très familial magazine "Aujourd'hui madame"s'est lui-même retrouvé en enfer, en compagnie de "Post scriptum", le magazine plutôt contestataire de Michel Polac. Dans ce dernier, on voit les écrivains Alberto Moravia, Dominique Fernandez et Jean-Jacques Pauvert débattre du film de Louis Malle, ce qui, aujourd'hui, serait tout à fait banal au regard des grands débats de société abordés dans les talk-shows. Les chanteurs enfin n'échappent pas non plus à la censure. Evariste, guitariste excentrique issu de Mai 68, et Bernard Lavilliers ont aussi fait un tour en enfer.
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