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Pétrole : l’année 2012 à la croisée des chemins

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  • Pétrole : l’année 2012 à la croisée des chemins

    Houleux échanges entre les participants au débat national sur la transition énergétique, organisé par le gouvernement. "Tous les sujets qui fâchent, on ne les traite pas", se plaint dans Mediapart le président de l'association Global Chance, Benjamin Dessus.

    Il pleut comme vice qui passe, comme l'an dernier (le saviez-vous : "un climat plus chaud est un climat plus humide" ?) Le CO2 a été flashé à 400 ppm à Hawaï – le seuil de sécurité était à 350 ppm, et il s'agit de la concentration la plus élevée depuis des millions d'années –, la fonte de la banquise a atteint comme prévu un niveau record en 2012, qui a été la 9e année la plus chaude enregistrée depuis 1850, en dépit de l'effet refroidissant du courant de la Niña.

    Climat & énergie (ici gaz de schiste, nucléaire, là-bas division internationale du travail) : oui, même si la plupart d'entre nous l'ignore ou préfère penser à autre chose, nous sommes bel et bien à la croisée des chemins.


    "L'homme à la croisée des chemins", Diego Rivera, 1933. (Cliquer pour agrandir.)
    Sur le front du pic pétrolier (la question axiale, à peu près ignorée, voir méprisée au sein des pouvoirs publics français), nous voilà face à une nouvelle promesse de lendemains qui chantent en fumant sous la petite mousson :

    l'offre mondiale de pétrole augmentera de 9 % d'ici à 2018, promet le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, organisme chargé de conseiller les pays riches de l'OCDE.

    Aussi sec, Le Monde conclut :

    "La fin du pétrole abondant n'est pas pour demain."

    Mais "demain", c'est pour quand exactement ?


    Deux pays pétroliers vont, nous dit l'AIE, fournir l'essentiel d'une hausse à venir des extractions mondiales d'une ampleur jamais vue... depuis qu'en 2006, la production de pétrole conventionnel a atteint (selon l'AIE) son maximum historique. Il faut souligner que les projections de l'AIE s'arrêtent cette fois en 2018, nous allons y revenir.

    Ces deux pays sauveurs de la croissance énergétique et donc économique, ce sont, sans surprise et par ordre d'importance :

    - les Etats-Unis, grâce à la poursuite du boom des pétroles de schiste et autres sources compactes de pétrole ("tight oil" en anglais) ;

    - l'Irak, producteur majeur du golfe Persique dont les installations pétrolières sont remises en état et améliorées peu à peu depuis la chute de Saddam Hussein.

    Voyons voir ça.

    Les Etats-Unis. Pour les lecteurs assidus de ce blog, rien de neuf, mais une confirmation. L'administration Obama de l'énergie persiste et signe. Dans son dernier rapport prospectif annuel, elle table bien, comme l'AIE, sur une forte hausse de la production pétrolière des Etats-Unis jusqu'en 2018... puis sur un déclin à peine moins rapide au-delà, à partir de 2020 :


    Energy information administration, Annual energy outlook 2013.
    Le boom des pétroles de schiste ne pourra pas se poursuivre au-delà de 2020, d'après le scénario de référence avancé par Washington (on notera l'écart important entre ce scénario de référence et le scénario optimiste) :


    Energy information administration, Annual energy outlook 2013.
    Aucun des bassins de pétroles de schiste frénétiquement exploités aujourd'hui aux Etats-Unis n'échappera au déclin, notamment pas celui du Bakken dans le Dakota du Nord :


    Energy information administration, Annual energy outlook 2013.
    C'est un phénomène exceptionnel à Washington : les experts pétroliers de l'administration Obama ont choisi de prendre le contre-pied des analyses optimistes fournies par l'industrie, relayées le plus souvent sans critique par les médias. Le département de l'énergie américain rejoint les expertises indépendantes publiées ici ou là, très sceptiques à l'égard de la pérennité du boom des pétroles de schiste.

    L'exploitation des sources compactes d'hydrocarbures menace de rejouer en accéléré le destin auquel est voué l'ensemble de l'industrie pétrolière. En cause : le déclin pratiquement immédiat que rencontrent nécessairement les puits de pétrole et de gaz de schiste. Selon une habitude humaine très ancienne, les fruits les plus faciles à cueillir le sont en premier ; les pétroliers du Dakota du Nord vont devoir de plus en plus compenser le déclin des puits qu'ils ont d'abord forés dans les zones géologiques les plus propices (les "sweets spots") par des puits plus coûteux et plus complexes, forés dans des zones de moins en moins fertiles.

    L'Irak est plus que jamais au bord de la guerre civile, confirme Al Jazeera.

    Divers attentats ont tués 712 personnes en avril. Tandis que la majorité de la population connaît toujours des coupures d'eau et d'électricité, le gouvernement s'offre les outils de surveillance électronique les plus sophistiqués. La torture et les abus de pouvoirs demeurent endémiques. Les pétroliers américains Exxon et Chevron continuent à encourager les vieux ennemis Kurdes et Turcs à s'entendre pour faire sortir le pétrole du Kurdistan irakien, alors même que le gouvernement central de Bagdad reste plus que jamais hostile aux velléités d'indépendance pétrolière des Kurdes d'Irak.

    La question du partage de la manne pétrolière reste sans réponse satisfaisante. Bien sûr, l'industrie minière sait depuis toujours s'accommoder d'environnements délicats. Mais le cloaque politique en Irak offre-t-il les conditions suffisantes pour redonner au pays sa place prépondérante dans la production d'or noir du golfe Persique ? L'avenir du marché pétrolier mondial dépend de la réponse à cette question.

    L'évolution de la production de pétrole mondiale conduit à mettre en doute l'optimisme pour l'heure affiché par l'Agence internationale de l'énergie.


    Milliers de barils par jour. Source : Energy information administration, département de l'énergie des Etats-Unis. (CLIQUER pour AGRANDIR).
    Il apparaît que :

    - hors des Etats-Unis (pétrole de schiste) et du Canada (sables bitumineux), la production de pétrole n'augmente pas depuis le 3e trimestre ("3Q") 2005 ;

    - L'accroissement de la production du golfe Persique – essentiellement en Arabie Saoudite et en Irak – ne suffit pas à compenser le déclin structurel des extractions de la mer du Nord depuis le 3e trimestre 2005 ;

    - la production africaine a décliné en 2012, malgré la reprise des extractions en Libye. Au 4e trimestre 2012, elle a été inférieure de 9,3 % à son niveau record, atteint au cours du 1er trimestre 2010.



    Sur le côté positif de la balance, on trouve :

    - les Etats-Unis : 11,6 millions de barils (Mb/j) par jour au 4e trimestre 2012, + 33 % (!) depuis la veille de la crise financière, au premier trimestre 2008 ;

    - le Canada : 4 Mb/j au 4e trimestre 2012, + 21 % (!) depuis le 1er trimestre 2008.

    Les autres pays majeurs connaissant une croissance ou un maintien de leur production sont la Russie, le Kazakhstan, la Chine, le Nigéria et le Brésil, ainsi que les principaux producteurs du golfe Persique, (le cas particulier et très incertain de l'Iran mis à part) : Arabie Saoudite, Irak, Koweït, Emirats Arabes Unis.

    Sur le côté négatif de la balance, tous les autres grands pays producteurs (souvent anciens) de chaque continent font face à un recul de leurs extractions, entamé dans la majorité des cas avant la crise financière de 2008 :

    - Mexique : 2,9 Mb/j, - 25 % par rapport au pic de 2004 ;

    - Venezuela : 2,5 Mb/j, - 30 % par rapport au pic de l'an 2000 ;

    - Norvège : 1,8 Mb/j, - 42 % par rapport au pic de 2001 ;

    - Grande-Bretagne : 0,9 Mb/j, - 68 % par rapport au pic de 1999 ;

    - Algérie : 1,8 Mb/j, - 8 % par rapport au pic en 2007 ;

    - Angola : 1,8 Mb/j, - 12,5 % par rapport au pic du 1er trimestre 2010 ;

    - Egypte : 0,7 Mb/j, - 24 % par rapport au pic de 1996 ;

    - Guinée Equatoriale : 0,3 Mb/j, - 19 % par rapport au pic de 2004 ;

    - Gabon : 0,2 Mb/j, - 36 % par rapport au pic de 1997 ;

    - Lybie : 1,5 Mb/j, - 19 % par rapport au pic du 1er trimestre 2008 (repli amorcé avant la guerre) ;

    - Indonésie : 0,9 Mb/j, - 42 % par rapport au pic de 1996 ;

    - Azerbaïdjan : 0,95 Mb/j, - 10 % par rapport au pic du 2ème trimestre 2010.

    L'agence internationale de l'énergie, qui insistait (mezza voce) dans son rapport annuel 2012 sur les risques de déclin de très nombreux pays producteurs majeurs à court ou moyen terme (y compris la Russie, la Chine et le Nigeria), explique maintenant dans la présentation de son dernier rapport :

    "Les effets de la croissance continue de la production en Amérique du Nord - emmenée par les pétroles compacts légers américains (le pétrole de schiste, ndlr) et par les sables bitumineux canadiens – vont faire boule de neige à travers tout le marché pétrolier mondial. Bien que le développement des pétroles de schiste hors des Etats-Unis puisse ne pas constituer une réalité de grande envergure dans la fenêtre de cinq ans du rapport, les techniques responsables du boom vont augmenter la production des champs matures conventionnels - conduisant les compagnies à reconsidérer leurs investissements dans les zones à haut risque."

    Les investissements dans la production pétrolière et gazière n'ont cessé de battre de nouveaux records au cours des dernières années, grâce aux cours élevés du baril et parce que l'industrie fait face à des déclins de l'ordre de 5 % par an dans ses "champs matures conventionnels". Ces investissements productifs ont frôlé les mille trois cents milliards de dollars en 2012, et pourraient atteindre mille six cents milliards dès 2016.

    Suivant l'exemple du boom des pétroles de schiste, l'AIE assure que ce sont les investissements techniques dans les "champs matures conventionnel" et "les zones à haut risque" qui vont permettre de continuer à accroître la consumation de brut.

    Cependant :

    1- le boom des pétroles de schiste n'est pas pérenne, du point de vue de l'administration Obama ;

    2- Les majors (Exxon, Chevron, BP, Shell et Total) ont radicalement accru leurs investissements dans la production depuis début des années 2000, et plus encore à la suite de la crise de 2008, pourtant leur production de pétrole a chuté d'un quart depuis 2004, comme je l'ai montré ici.

    Disposer, comme c'est le cas des majors, de capacités d'investissements fantastiques et de la meilleure expertise technique disponible sur Terre n'a manifestement pas suffi à résoudre le problème du déclin des champs matures, que ce soit en mer du Nord, en Indonésie, au Gabon, en Azerbaïdjan ou aux Etats-Unis pour la production de pétrole conventionnel.

    Il me semble qu'on s'acharne à ramer plus fort en direction de l'iceberg. Pas sûr qu'il ait fini de fondre quand la société thermo-industrielle sera prête à se fracasser contre lui.

    20 mai 2013, par Matthieu Auzanneau
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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