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Une oasis berbère dans le désert égyptien

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  • Une oasis berbère dans le désert égyptien

    Les berbérophones les plus à l'est vivent à Siwa, une oasis perdue aux confins des déserts égyptien et libyen. Pèlerinage d'un cousin du Maghreb.
    DE SIWA (ÉGYPTE)
    Lorsque l'on parle du Tamazgha [monde berbère], on dit souvent que son territoire s'étend depuis Siwa (Egypte) jusqu'aux îles Canaries. Mais Siwa a toujours été pour moi un mythe, un mystère, car lointaine et difficile d'accès. De plus, il n'y a pratiquement aucune littérature sur Siwa, si ce n'est quelques articles sur son système linguistique et son histoire ancienne. Et puis je n'avais jamais rencontré quelqu'un qui l'ait visitée et qui puisse en parler vraiment. J'ai fini par me dire que Siwa ne devait être qu'un mirage venant alimenter ce rêve de grandeur qu'ont les Amazighs [Berbères] en particulier, mais qui caractérise tous les "peuples minorisés". La seule solution que j'avais pour en avoir le coeur net était d'aller vérifier sur place.
    ENTOURÉE PAR DEUX GRANDS LAGONS FÉERIQUES
    Je suis parti avec un ami, Saïd, sans aucune information, une aventure vers un inconnu qui est censé nous être si proche. D'emblée nous avons remarqué que même en Egypte (Le Caire, Alexandrie) les gens ne connaissent pratiquement rien de Siwa. Quant à la particularité linguistique de Siwa, il s'agit pour les uns d'un dialecte dérivé de l'arabe et pour d'autres de l'arabe égyptien prononcé avec un accent particulier.
    Le voyage fut long (environ 900 km de désert) mais beaucoup moins pénible que nous le craignions. A moins que ce ne soit la hâte de découvrir enfin la légende qui nous ait fait tout oublier. Le car, le moyen de transport le plus pratique, s'arrête souvent, pour des contrôles militaires très fréquents à cause de l'activisme islamiste, paraît-il. De loin, dès que commence à apparaître cet îlot de verdure au milieu de l'océan saharien, on est parcouru par un sentiment de soulagement et de joie intense. L'oasis nous paraît si petite, plantée en plein milieu de l'immense désert Libyque ! De plus près, Siwa s'avère être une grande oasis qui s'étend sur environ 30 km de long et 20 km de large, entourée de deux grands lagons qui lui donnent des allures féeriques. A l'arrivée du car, il y a toujours un petit attroupement de gens qui attendent, qui le courrier, qui les journaux, qui les médicaments, qui les touristes, etc. A notre descente du car, un adolescent s'approche et s'adresse à nous en anglais pour nous proposer son aide pour transporter nos bagages jusqu'à l'hôtel. Mon ami lui répond spontanément en tamazight. Le jeune homme ouvre de grands yeux, recule et hurle à l'adresse des autres : "Ssawalen tasiwit ! ssawalen tasiwit !" ("Ils parlent le siwi !"), comme s'il venait de faire la découverte de sa vie !
    Nous avons été adoptés dès cet instant-là par tous les habitants de Siwa, extrêmement heureux de voir, de montrer, de discuter, de toucher, comme pour vérifier que ces moments étaient bien réels. Partout la même joie d'échanger, de raconter leur histoire telle qu'ils la connaissent, leur quotidien, et surtout de poser des questions, infiniment de questions sur la réalité des autres régions amazighes, sur le mode de vie, l'histoire des Amazighs, leur langue, leur écriture... Les Siwis ont tous une immense soif de savoir ; car ce qu'ils savent n'est pas écrit et avec le temps la mémoire de Siwa s'est progressivement effacée. Il faut également rappeler que Siwa était totalement fermée aux étrangers jusqu'au début des années 90, et que l'électricité n'y a fait son apparition qu'en 1985. Par ailleurs, les moyens de communication égyptiens ne sont pas spécialement tournés vers le reste de l'Afrique du Nord et les Siwis se sont trouvés ainsi privés d'information, vivant pratiquement en vase clos.
    L'INFLUENCE DES FRÈRES MUSULMANS PÈSE SUR LA SOCIÉTÉ SIWIE
    Tous les Siwis (environ 20 000) parlent le tasiwit (le tamazight de Siwa), qu'ils utilisent quotidiennement dans la vie courante. Ils n'utilisent l'arabe ou l'anglais qu'avec les étrangers. Environ 40 % des mots utilisés sont des emprunts au dialecte égyptien. Cela étant dit, au bout d'une semaine, un amazighophone de n'importe quelle région pourra communiquer très facilement en siwi. Les Siwis ne connaissent pas le système d'écriture tifinagh, ni l'usage des caractères latins. Des dizaines de fois nous avons dû écrire aux gens qui nous le demandaient l'alphabet tifinagh, qui les a particulièrement intéressés.
    Les Siwis vivent presque en autarcie, de la culture du palmier-dattier, de l'olivier, et du maraîchage. Il ne pleut pas beaucoup mais, paradoxalement, l'eau est très abondante. Il y a beaucoup de puits, de sources et de fontaines d'eau chaude, utilisée pour tout usage, éventuellement après son refroidissement à l'air libre. Siwa produit et commercialise dans toute l'Egypte une eau minérale naturelle en bouteille qui porte son nom.
    Les Siwis sont tous musulmans pratiquants et la densité de mosquées par habitant y est extrêmement élevée. Les coutumes sont très rigides, notamment en ce qui concerne les femmes. Celles-ci sont très rares dans les rues et dans les champs, toujours entièrement voilées de noir. Lorsqu'on les croise, elles se détournent et passent furtivement. Dans les lieux publics, y compris les boutiques et les cafés, il n'y a jamais de musique. En revanche, des prêches islamistes hurlants sont diffusés à longueur de journée par des radiocassettes taïwanaises. A l'évidence, l'influence des Frères musulmans est extrêmement présente et pesante dans la société siwie.
    Pourtant, il existe à Siwa quelques exemples d'espaces de libre expression pour les hommes. Comme dans toutes les oasis, on produit librement à Siwa cet alcool de palmier appelé lagbi ou lagmi, consommé (avec modération) dans les fêtes ou entre amis. Autre curiosité, les Siwis ne vont jamais dans les cafés, qui sont réservés aux étrangers de passage. Pour le touriste, Siwa est truffée de curiosités et de sites historiques : les beaux vestiges de deux anciens villages typiques de Siwa, Shali au nord de l'oasis et Aghurmi au sud, le temple d'Amon (d'après les Siwis, c'est de ce nom que vient le mot "aman", "eau"), Adrar n lmuta, la "montagne des morts", une montagne dans laquelle ont été creusées des tombes datant de l'an 664 av. J.-C., sans oublier la Maison de Siwa, qui est en fait le musée où l'on peut retrouver quelques traces de la longue histoire de Siwa. Trop longtemps enfermés, n'ayant pas connu d'autres environnements que le désert et la télévision égyptienne, les Siwis, jeunes et moins jeunes, aspirent très fortement à avoir des échanges avec le monde extérieur et en particulier avec leurs frères des autres contrées du Tamazgha.
    Youssef est un jeune artiste à qui la municipalité de Siwa a commandé une stèle qu'elle souhaite bâtir sur la place centrale de Siwa. Il m'a montré son projet dessiné. Il m'a dit que depuis notre rencontre il a décidé d'y ajouter le z amazigh, symbole berbère.
    Belkacem Lounès
    Courrier international
    dz(0000/1111)dz
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