90 avocats, ainsi qu’une foule nombreuse venue de plusieurs coins du pays ont assisté au procès du « cheikh guérisseur ». Son affaire, qui inspirerait plus d’un cinéaste en mal de scénario, a permis d’avoir en pleine face une Algérie déboussolée sur tous les plans, religieux et de la croyance surtout.
Dans la matinée de jeudi dernier, devant le tribunal de Mostaganem, tout indiquait que le procès qui devait y avoir lieu n’était pas ordinaire : une présence policière renforcée, une foule nombreuse et pour partie étrangère à la ville et à la wilaya, une armada de robes noires… Au box des accusés, une célébrité de l’exorcisme : Bellahmar El Hadj Abou Mouslim, une star de la « rokia » de Aïn Laassel, dans la région de Relizane, et exerçant « sa médecine » à Relizane et Mazagran.
Dans cette localité, le sieur Bellahmar a été appréhendé voici plus d’une semaine par les services de sécurité après avoir fait l’objet d’une plainte anonyme pour escroquerie, charlatanisme et exercice illégal de fonction. Devant le tribunal, accompagné de sa sœur, il devait répondre de deux chefs d’inculpation : « escroquerie et exercice d’un métier sans autorisation ». Un drôle de procès en somme où c’était davantage la sociologie de l’Algérie de 2013, bigote et croyant davantage en la rokia que la médecine classique, qu’une affaire de droit classique… Un spectacle aussi de deux logiques : celle de la doxa juridique et de jugements de faits aussi irrationnels que dangereux accomplis par un personnage au parcours invraisemblable, et celle d’une croyance partagée par de plus en plus de gens en Algérie que leurs souffrances physiques et psychologiques sont l’œuvre du diable et de la sorcellerie que seuls le « cheikh » ou le « taleb » pouvait venir à bout. Une ligne de fracture qu’on a perçu tant à l’audience qu’à l’extérieur après le verdict et dans les conversations de café et à l’air libre qui l’ont suivi.
Au milieu, une juge, Djamila Lazaar, qui, ne cédant ni à la cote montante des médecines dites traditionnelles et religieuses ni à la pression du public venu réellement manifester sa sympathie et sa solidarité avec le « cheikh » Bellahmar, faiseur de miracles à leurs yeux, a mené le procès d’une main de maître et en allant directement aux faits.
Dès l’ouverture du procès, elle est arrivée à « déstabiliser » le « raki » en l’interrogeant sur sa « maîtrise du saint Coran ». Contre toute attente, il lâchera un petit « non » après qu’elle lui ait demandé de réciter une partie de la Sourate des Djinns. Un aveu fatal pour celui qui a la réputation d’être un savant et de maîtriser l’art de chasser le diable et guérir du mauvais sort… Les questions de la juge au prévenu ont ensuite porté sur ce qui semble avoir été son faux pas : son association dite « Bachair Echiffa », dont l’agrément lui a été retiré par le wali de Relizane et ne lui permettant, par ailleurs, pas d’exercer en dehors de sa wilaya, selon les faits déroulés pendant l’audience.
Le « cheikh » Bellahmar n’a respecté ni les termes pour lesquels il a créé son association ni pris la peine de rester dans les limites géographiques qui lui ont été précisées. Désarçonné, il se lancera dans un speech où il essayera d’expliquer qu’il est investi d’une mission divine et que son « humanité » lui interdit de refuser des gens en désarroi qui viennent le consulter.
Un personnage de cinéma
Un discours repris par son avocat, maître Lazreg, qui a commencé sa plaidoirie en tonnant que « Bellahmar ignore le droit et le droit ignore Bellahmer ». Après avoir pointé le vide juridique concernant l’activité de son client, il déplorera l’absence d’un représentant du ministère de la Santé pour pouvoir certifier ou non si « la rokia » est nocive pour la santé.
Maître Lazreg regrettera également l’absence d’un représentant du ministère des Affaires religieuses, « seul habilité à s’exprimer si ce genre de médecine est contraire ou non aux préceptes de la religion musulmane ». Dans son intervention, il s’interrogera sur le silence des autorités publiques, puisque Bellahmar, ingénieur de formation, un ancien de l’ex-FIS, ex-locataire du centre de rétention de Reggane, exerce ce métier depuis 1994.
Il exhibera l’ordre de mission signé par M. Roueraoua, président de la FAF, pour Bellahmar afin d’accompagner l’équipe nationale de football, notamment lors du fameux match de qualification pour la Coupe du monde contre l’Egypte à Oum Dorman, au Soudan.
Il dira que l’accusé a décroché plusieurs distinctions décernées par des institutions arabes. Il parlera d’un magister soutenu dans une université de la région, dont Bellahmar a été l’encadreur. Il insistera surtout sur l’absence, selon lui, d’un plaignant dans cette affaire. « Est-ce qu’un quelconque citoyen s’est présenté pour porter plainte contre mon mandant ? », une question à travers laquelle il a laissé entendre que l’arrestation de son illustre et curieux client a été « dictée d’en haut ». Mais il ne réussira pas à convaincre le tribunal.
A la fin de l’audience, le ministère public a requis contre le « cheikh » Bellahmar trois ans de prison ferme. Le prévenu écopera finalement d’une année d’emprisonnement ferme et d’une amende de 50 000 DA. Ses deux « assistants », présents eux aussi au box des accusés, seront condamnés à une année de prison avec sursis. Un verdict jugé excessif par les « fidèles » du cheikh venus d’Alger et de partout…
Regroupés dans l’enceinte du tribunal, ils parleront de « boutonna », c’est-à-dire d’une injonction venant d’en « haut » intimant l’ordre au tribunal de mettre à l’ombre ce « raki » aux allures de Raspoutine.
On a tenté d’expliquer que son passage à la chaîne Echorouk TV a été fatal pour lui, puisqu’il a affirmé que des dignitaires du régime réclament ses services. On estime que l’Etat s’est montré « ingrat » avec celui qui a participé à « l’épopée d’Oum Dorman ».
Ce procès, suivi par pas moins de 90 avocats en plus d’une foule nombreuse, pose au moins la question de l’irrationalité dans une société ayant perdu ses repères et se trouve à la merci de tous les vents et de tous les charlatanismes, d’Orient et d’Occident. Le débat mérite d’être engagé dès à présent…
reporters.dz
Dans la matinée de jeudi dernier, devant le tribunal de Mostaganem, tout indiquait que le procès qui devait y avoir lieu n’était pas ordinaire : une présence policière renforcée, une foule nombreuse et pour partie étrangère à la ville et à la wilaya, une armada de robes noires… Au box des accusés, une célébrité de l’exorcisme : Bellahmar El Hadj Abou Mouslim, une star de la « rokia » de Aïn Laassel, dans la région de Relizane, et exerçant « sa médecine » à Relizane et Mazagran.
Dans cette localité, le sieur Bellahmar a été appréhendé voici plus d’une semaine par les services de sécurité après avoir fait l’objet d’une plainte anonyme pour escroquerie, charlatanisme et exercice illégal de fonction. Devant le tribunal, accompagné de sa sœur, il devait répondre de deux chefs d’inculpation : « escroquerie et exercice d’un métier sans autorisation ». Un drôle de procès en somme où c’était davantage la sociologie de l’Algérie de 2013, bigote et croyant davantage en la rokia que la médecine classique, qu’une affaire de droit classique… Un spectacle aussi de deux logiques : celle de la doxa juridique et de jugements de faits aussi irrationnels que dangereux accomplis par un personnage au parcours invraisemblable, et celle d’une croyance partagée par de plus en plus de gens en Algérie que leurs souffrances physiques et psychologiques sont l’œuvre du diable et de la sorcellerie que seuls le « cheikh » ou le « taleb » pouvait venir à bout. Une ligne de fracture qu’on a perçu tant à l’audience qu’à l’extérieur après le verdict et dans les conversations de café et à l’air libre qui l’ont suivi.
Au milieu, une juge, Djamila Lazaar, qui, ne cédant ni à la cote montante des médecines dites traditionnelles et religieuses ni à la pression du public venu réellement manifester sa sympathie et sa solidarité avec le « cheikh » Bellahmar, faiseur de miracles à leurs yeux, a mené le procès d’une main de maître et en allant directement aux faits.
Dès l’ouverture du procès, elle est arrivée à « déstabiliser » le « raki » en l’interrogeant sur sa « maîtrise du saint Coran ». Contre toute attente, il lâchera un petit « non » après qu’elle lui ait demandé de réciter une partie de la Sourate des Djinns. Un aveu fatal pour celui qui a la réputation d’être un savant et de maîtriser l’art de chasser le diable et guérir du mauvais sort… Les questions de la juge au prévenu ont ensuite porté sur ce qui semble avoir été son faux pas : son association dite « Bachair Echiffa », dont l’agrément lui a été retiré par le wali de Relizane et ne lui permettant, par ailleurs, pas d’exercer en dehors de sa wilaya, selon les faits déroulés pendant l’audience.
Le « cheikh » Bellahmar n’a respecté ni les termes pour lesquels il a créé son association ni pris la peine de rester dans les limites géographiques qui lui ont été précisées. Désarçonné, il se lancera dans un speech où il essayera d’expliquer qu’il est investi d’une mission divine et que son « humanité » lui interdit de refuser des gens en désarroi qui viennent le consulter.
Un personnage de cinéma
Un discours repris par son avocat, maître Lazreg, qui a commencé sa plaidoirie en tonnant que « Bellahmar ignore le droit et le droit ignore Bellahmer ». Après avoir pointé le vide juridique concernant l’activité de son client, il déplorera l’absence d’un représentant du ministère de la Santé pour pouvoir certifier ou non si « la rokia » est nocive pour la santé.
Maître Lazreg regrettera également l’absence d’un représentant du ministère des Affaires religieuses, « seul habilité à s’exprimer si ce genre de médecine est contraire ou non aux préceptes de la religion musulmane ». Dans son intervention, il s’interrogera sur le silence des autorités publiques, puisque Bellahmar, ingénieur de formation, un ancien de l’ex-FIS, ex-locataire du centre de rétention de Reggane, exerce ce métier depuis 1994.
Il exhibera l’ordre de mission signé par M. Roueraoua, président de la FAF, pour Bellahmar afin d’accompagner l’équipe nationale de football, notamment lors du fameux match de qualification pour la Coupe du monde contre l’Egypte à Oum Dorman, au Soudan.
Il dira que l’accusé a décroché plusieurs distinctions décernées par des institutions arabes. Il parlera d’un magister soutenu dans une université de la région, dont Bellahmar a été l’encadreur. Il insistera surtout sur l’absence, selon lui, d’un plaignant dans cette affaire. « Est-ce qu’un quelconque citoyen s’est présenté pour porter plainte contre mon mandant ? », une question à travers laquelle il a laissé entendre que l’arrestation de son illustre et curieux client a été « dictée d’en haut ». Mais il ne réussira pas à convaincre le tribunal.
A la fin de l’audience, le ministère public a requis contre le « cheikh » Bellahmar trois ans de prison ferme. Le prévenu écopera finalement d’une année d’emprisonnement ferme et d’une amende de 50 000 DA. Ses deux « assistants », présents eux aussi au box des accusés, seront condamnés à une année de prison avec sursis. Un verdict jugé excessif par les « fidèles » du cheikh venus d’Alger et de partout…
Regroupés dans l’enceinte du tribunal, ils parleront de « boutonna », c’est-à-dire d’une injonction venant d’en « haut » intimant l’ordre au tribunal de mettre à l’ombre ce « raki » aux allures de Raspoutine.
On a tenté d’expliquer que son passage à la chaîne Echorouk TV a été fatal pour lui, puisqu’il a affirmé que des dignitaires du régime réclament ses services. On estime que l’Etat s’est montré « ingrat » avec celui qui a participé à « l’épopée d’Oum Dorman ».
Ce procès, suivi par pas moins de 90 avocats en plus d’une foule nombreuse, pose au moins la question de l’irrationalité dans une société ayant perdu ses repères et se trouve à la merci de tous les vents et de tous les charlatanismes, d’Orient et d’Occident. Le débat mérite d’être engagé dès à présent…
reporters.dz
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