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Tahar Djaout, 20 ans après, toujours présent

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  • Tahar Djaout, 20 ans après, toujours présent

    Présence(s) de Tahar Djaout est le titre d’une rencontre organisée samedi à l’hôtel Es-Safir à l’occasion de la parution de l’ouvrage collectif du même titre sous la direction d’Amin Khan. Vingt ans après le décès de Tahar Djaout, ses compagnons de route poétique et journalistique évoquent le souvenir de ce grand écrivain algérien décédé le 2 juin 1993.

    Assassiné à l’âge de 39 ans par les sbires de la « famille qui recule », Tahar Djaout a laissé une œuvre littéraire d’exception et le souvenir d’un homme intègre et farouchement indépendant. Sa brève carrière littéraire interrompue en plein vol ne lui laissa pas le temps de déployer toute l’étendue de son art. Six romans et six recueils de poésie, dont le premier Solstice barbelé paru à l’âge précoce de
    21 ans, tel est l’héritage littéraire rare, mais intense légué par Djaout. L’écrivain figure également parmi les pionniers de la presse indépendante algérienne. Après un beau parcours à la rédaction culturelle d’Algérie Actualité, il fondera, en 1993, l’hebdomadaire Ruptures avec Arezki Metref et Abdelkrim Djaad. La rencontre organisée par El Watan Weekend et les éditions Barzakh a justement abordé, en deux parties, les versants poétiques et journalistiques de la carrière de Djaout.

    Le journaliste intellectuel
    Une belle brochette de journalistes algériens était présente lors de la rencontre pour témoigner, de concert, de l’exigence de Djaout journaliste dans le fond et la forme. Le journalisme était certes « un gagne-pain » de l’aveu même du poète, mais ce métier exercé avec passion et courage n’a jamais quitté Djaout. Le journalisme était pour lui « un combat », affirme Omar Belhouchet. « Son combat est toujours d’actualité et nous essayons d’être à sa hauteur. Tahar est toujours vivant », ajoute le directeur d’El Watan. L’engagement de Djaout ne se confondait pas avec un militantisme partisan. « Il était un intellectuel engagé au sens sartrien », résume Hamid Abdelkader. Le journaliste d’El Khabar se souvient, avec émotion, de sa première rencontre avec l’auteur des Vigiles. Son interview de l’écrivain avait d’ailleurs paru en Une du quotidien arabophone. Les intervenants ont unanimement reconnu les efforts de Djaout pour tendre des passerelles entre intellectuels francophones et arabophones. Bien qu’écrivant en français, Djaout était féru de lettres arabes. Le sociologue et journaliste Mohamed Balhi, a rappelé, à ce propos, que la fameuse phrase : « Si tu parles tu meurs / Si tu te tais tu meurs / Alors parle et meurs », qu’on attribue abusivement à Djaout, est une citation du poète palestinien Mouneem Bessissou.
    Balhi a également mis en avant l’influence des expériences journalistiques sur l’œuvre littéraire. Ses missions à l’étranger lui ont permis de découvrir l’œuvre d’Ismail Kadaré en Albanie ou encore la poésie africaine qui inspireront ses écrits. Mohamed Balhi évoque également le souvenir d’un prédicateur cul-de-jatte de Oued Souf qui se serait transformé en Ibn Toumert dans le roman L’Invention du désert. Le refus de renouvellement de passeport subit par un personnage des Vigiles est également inspiré de la propre expérience de Djaout. Arezki Metref expliquera que cette mesure était une réponse à son soutien à Mouloud Mammeri et Abderrahman Bouguermouh pour la création d’une association culturelle berbère. Metref décrira Djaout comme un éternel défricheur de nouvelles expressions culturelles. Il fut par exemple, le premier à s’intéresser à la « littérature beur ». Fermement attaché à son village natal d’Oulkhou, Djaout n’en était pas moins un infatigable arpenteur urbain. Le journaliste Ameziane Ferhani, inspiré par l’ouvrage Des Noms et des lieux de Mustapha Lachref, racontera Djaout par le truchement des lieux qu’il affectionnait. Il se souvient de leurs virées dans la capitale entre les restaurants de la rue Tanger et le cinéma l’Olympia où ils allaient en cachette voir des films hindous. Ferhani rappellera également le passage de Djaout par le laboratoire d’urbanisme de la DNC/ANP où il avait produit des monographies de villes algériennes encore inédites. Ses nombreux articles pour la rubrique Lieux-dits d’Algérie Actualité devraient également être rassemblés en recueil, a estimé Ferhani.

    Un poète pérenne
    La deuxième partie de la rencontre Présence(s) de Tahar Djaout a consisté en une évocation de l’expression poétique de Djaout par Amine Khan, Hamid Nacer-Khodja et Hamid Tibouchi. Les intervenants ont mis l’accent sur l’importance de l’enfance dans la poésie de Djaout. « La poésie prend sa source dans l’enfance », tranche Hamid Tibouchi. Une enfance qui ne saurait se confondre avec une quelconque nostalgie, mais qui consiste au contraire en une innocence réinventée et projetée vers l’avenir. Loin de tous les passéismes religieux et identitaires, Djaout était tout entier porté vers l’aspiration d’un avenir meilleur. « Son assassinat était un assassinat de l’avenir de l’Algérie. Djaout faisait partie d’une minorité d’intellectuels aptes à dessiner une Algérie démocratique, patriotique et ouverte », a affirmé Amine Khan, initiateur de l’ouvrage collectif Présence(s) de Tahar Djaout. Ce dernier a également mis l’accent sur la cohérence de l’œuvre djaoutienne entre poésie, roman et journalisme. Le même regard porté sur le monde transparaît dans l’ensemble des écrits. Ce regard particulier n’était pas étranger aux arts plastiques, estimera le poète et plasticien Hamid Tibouchi. Djaout était, en effet, un fin connaisseur de peinture algérienne. Ses poèmes ont d’ailleurs été accompagnés par des dessins de Martinez, Khadda ou encore Tibouchi. Ce dernier se souviendra de leurs échanges au sein du groupe Aouchem qui rassemblait poètes et plasticiens dans un même mouvement vers la réappropriation des signes dans l’activité de création artistique.

    L’importance accordée aux signes est une des caractéristiques qui rapproche l’expression poétique de Djaout et de Sénac, selon Hamid Nacer-Khodja. Le poète et universitaire s’est attelé à montrer la profonde affinité entre ces deux grands noms de la littérature algérienne. Les deux hommes partagent, selon lui, le même destin de poètes assassinés qui ont pressenti leur mort dans leur œuvre. Sénac fut surtout un modèle poétique pour le jeune Djaout. On retrouve d’ailleurs plusieurs poèmes en hommage à l’auteur du Soleil sous les armes dans le premier recueil de Djaout. L’importance de la mer dans sa symbolique d’espace d’évasion et de liberté est également un élément commun aux deux poètes. Nacer Khodja a par ailleurs rappelé l’enracinement africain de la poésie djaoutienne : « Djaout est l’un des premiers écrivains algériens à se considérer africain. » Avant la fin de la rencontre, Hamid Tibouchi déclamera avec émotion deux poèmes de Djaout aux résonances profondes avec le destin de leur auteur et, au-delà, de l’Algérie. Le texte intitulé Le linge de famille se lave dans le sang, paru dans un recueil posthume (Pérennes, Le temps des Cerises/ Europe-Poésie, Paris, 1996), s’achève sur le vers : « La nuit de l’oubli ne viendra pas. »


    REPORTERS.DZ
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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