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Le Val-de-Grâce, nouvelle annexe du Quai d'Orsay. The New York Times

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  • Le Val-de-Grâce, nouvelle annexe du Quai d'Orsay. The New York Times

    En 1645, le jeune Louis XIV posa la première pierre de l'église du Val-de-Grâce qui célébrait sa naissance sept ans auparavant. Un siècle et demi plus tard, la Révolution transforma l'église en hôpital militaire.

    Abdelaziz Bouteflika, le président algérien, qui y a été récemment hospitalisé, nous rappelle cependant que les liens entre le Val-de-Grâce et le pouvoir monarchique et l'empire persistent jusqu'à nos jours.
    Dès le moment où Bouteflika est arrivé à Paris, il y a près d'un mois, après un AVC [officiellement sans gravité], les Algériens n'ont eu droit à aucune information. Le gouvernement algérien a traité l'affaire comme ses opérations militaires pendant la prise d'otages du site gazier du Sahara au début de l'année : avec le plus grand secret intense et la plus grande fermeté.

    Deux journaux ont été censurés la semaine dernière [Mon Journal et le Djaridati] pour avoir rapporté que la santé de Bouteflika se dégradait alors que les autorités – dont Saïd Bouteflika, le frère du président, gère la communication – répètent avec insistance que tout va bien. Comme il fallait s'y attendre, ces propos rassurants ont convaincu la plupart des Algériens que rien n'allait bien, que ce soit l'état de santé du président ou l'avenir de l'Algérie.

    Abdelaziz Bouteflika s'est maintenu au pouvoir par des moyens aussi douteux que ceux qui lui ont permis d'y accéder il y a quatorze ans, où plusieurs candidats à l'élection présidentielle s'étaient retirés en invoquant des fraudes massives. Si les jeunes, déchirés par les souvenirs de la "décennie noire", n'ont pas bougé pendant le Printemps arabe, ils connaissent les mêmes fléaux économiques et démographiques que ceux qui ont déclenché la révolution dans le reste de l'Afrique du Nord. Le chômage des 16-24 ans tourne officiellement autour de 22 %, mais la réalité est sans doute bien plus sombre.

    D'où l'amère ironie de cette manifestation qui s'est déroulée récemment à Alger, où les participants scandaient "Val-de-Grâce pour tous !" en brandissant des pancartes reprenant ce slogan. Un journaliste de L'Expression, un journal indépendant d'Alger, a résumé ainsi le désespoir de ceux qui contemplent la disparité qui règne entre la masse et l'élite : "Le Val-de-Grâce pour les chefs d'Etat et le coup de grâce pour tous les autres."

    Colère et humiliation
    A la colère s'ajoute la honte : pour se faire soigner, Bouteflika a fait ses valises et a filé chez l'ancien maître colonial. Le fait qu'il ait un jour comparé la "mission civilisatrice" de la France en Algérie à un "génocide" digne des nazis n'a manifestement pas changé la haute opinion qu'il a de la médecine française. De fait, les spécialistes français tiennent non seulement sa vie entre leurs mains mais aussi les informations quant à sa situation. Il y a quelques jours, c'est le ministère français de la Défense, et non les autorités algériennes, qui a révélé que Bouteflika s'était installé dans un appartement parisien pour sa convalescence. Une annonce qui constitue une "humiliation" pour les Algériens, a déclaré un journal algérien.

    Plus important, les divisions sociales, la détresse économique, la corruption politique et le désenchantement de l'opinion algériens ont leurs parallèles dans l'ancienne puissance coloniale. La jeunesse française, qui souffre elle aussi d'un taux de chômage élevé, a été témoin d'une série de scandales de corruption qui n'ont épargné ni les conservateurs ni les socialistes. La confiance de la population dans les partis politiques est au plus bas, et la plupart des gens sont convaincus que les personnalités politiques s'occupent des affaires publiques par intérêt personnel. Peut-être plus humiliant encore, les Français, qui sont tout aussi sensibles que les Algériens à leur souveraineté nationale, trouvent que leur vie économique est entre les mains de leur ancien ennemi juré – à savoir Berlin.

    La santé de Bouteflika ne concerne pas que les Algériens

    Les relations de François Hollande et de Bouteflika marquent au moins une amélioration par rapport à celles en dents de scie que les conservateurs Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy entretenaient avec le dirigeant algérien. En 2005, une loi adoptée par le Parlement français faisant référence au "rôle positif" de la colonisation avait déclenché une tempête en Algérie et incité Bouteflika à dénoncer les "crimes" que la France avait commis en Algérie. Les choses se calmèrent : peu après Sarkozy, qui était à l'époque ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac, effectua une visite en Algérie et Bouteflika déclara que les deux pays étaient "condamnés à un avenir commun." Cependant, ni Chirac ni Sarkozy ne donnèrent suite à une demande que l'Algérie faisait depuis longtemps : que la France présente officiellement des excuses pour la colonisation.

    Si Hollande a également rejeté les appels à des excuses officielles, il a parsemé les remarques officielles faites lors de sa visite d'Etat en Algérie en décembre dernier de concessions notables. Non seulement il a fait référence aux massacres de civils algériens qui ont contribué à déclencher la guerre d'indépendance, mais il a également reconnu les "souffrances" causées par la colonisation. Loin des entreprises conservatrices visant à revisiter l'histoire coloniale française, ces concessions appelaient à "ouvrir une nouvelle ère", pour reprendre l'expression de Hollande.

    La présence mystérieuse de Bouteflika à Paris révèle toutefois que cette "nouvelle ère" est l'ancienne ère drapée d'une nouvelle rhétorique. Le gouvernement socialiste a pour principal intérêt, en particulier en ces temps de récession économique et de croissance du chômage, de maintenir des relations stables avec cette ancienne colonie dont elle est le premier fournisseur et où sont implantées plusieurs centaines d'entreprises françaises. La présence dans le cortège de François Hollande de 40 chefs d'entreprise français en décembre est à cet égard plus éloquente que les appels de la France à une plus grande transparence et une plus grande démocratie en Algérie. Maintenant que le Val-de-Grâce s'est transformé en annexe du ministère français des Affaires étrangères, il est clair que la santé de Bouteflika ne concerne pas que les Algériens.



    Robert Zaretsky est professeur d'histoire de France au Honors College de l'université de Houston, au Texas. The New York Times.
    Traduit par Courrierinternational.com
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