Gao, Kidal, Anefis... Six mois après le lancement de l’opération Serval, que deviennent les villes du Nord-Mali ? Notre envoyée spéciale a échappé à un attentat kamikaze et a vécu des accrochages entre l’armée malienne et le MNLA. Elle témoigne de la peur et de la précarité dans lesquelles vivent les populations.
«Arrêtez ! Arrêtez ! Ils sont en train de tirer !» A une quinzaine de kilomètres d’Anefis, sur la route qui relie Kidal à Gao, des commerçants nous empêchent d’avancer. A bord de leurs énormes camions de marchandises assurant le ravitaillement des villages du nord du Mali, ils n’ont pas pu entrer dans le village d’Anefis. Il est 5h30. Voilà presque une heure que le soleil tape sur le bitume éventré de cette route que les chars des militaires ont fini par achever. Les commerçants nous racontent que des accrochages entre l’armée malienne et le MNLA auraient déjà fait plusieurs morts. Des gens se sont enfuis vers le village le plus proche. Nous entendons des tirs. Avec Abou, mon chauffeur, nous nous dirigeons vers les premières habitations. La bataille est terminée, Anefis est tombée entre les mains des Maliens.
Un sordide décor de science-fiction. Aucune âme visible. Des cases serrées. Un chien qui court derrière son ombre. Abou remarque que le moteur chauffe. Nous tombons (de nouveau) en panne. Quelques minutes plus tard, on nous demande de nous arrêter à 100 mètres d’un campement nouvellement installé. Abou reconnaît les hommes du colonel-major malien El Hadji Ag Gamou. Après une fouille minutieuse et une panique générale, on se présente à nous et on nous rassure. Je ne remarque pas la présence de Français. On les voit peu. Ils se trouvent surtout à Gao, à l’aéroport dont on ne peut pas s’apporcher. Un des militaires sort fièrement sa carte d’identité algérienne et me dit «Tu es la fille de mon pays, félicite-moi pour cette victoire.» Je ne dis pas un mot. Je pense au barrage du MNLA que nous avons croisé hier.
CHECK-POINT
Ils s’étaient adressés à Abou en tamasheq, à moi en arabe ou en français. Le plus âgé, Moussa, m’avait assuré que le MNLA maîtrisait la situation puis m’avait posé des questions sur les positions de la gendarmerie malienne. Ils m’avaient paru très jeunes mais ne connaissaient pas leur âge. J’en avais déduit qu’ils n’avaient pas plus de 25 ans. Puis ils nous ont quitté dans un nuage de poussière après un appel téléphonique. Abou m’apprend que leur convoi a été décimé. Moussa et ses camarades, probablement morts. Le MLNA a fait état d’une vingtaine de morts dans ses rangs. Selon l’armée malienne, ils seraient plus d’une centaine. Nous sommes le 5 juin. Six mois après le début de l’opération Serval, je pars au Nord-Mali pour faire un état des lieux. Evidemment, la misère est frappante, mais plus encore, la précarité dans laquelle se trouvent les villes et les villages que je traverse au gré des check-points.
A Kidal comme à Gao, les témoignages sont les mêmes. Les Maliens ? Le MNLA ? Les salafistes ? Du pareil au même, ou presque. Les habitants parlent des «contrats» que le Mali donnera à la France pour la remercier. «Le gouvernement malien n’a jamais rien développé ici, il n’a fait que poursuivre le système colonial. La preuve ? Nous ne sommes même pas reliés à la route nationale», s’emporte un notable de Kidal. Quand les gens ne vivent pas terrés dans leur maison, ils parlent de la peur qui les tenaille. A Gao, je croise une jeune fille qui ne veut pas encore enlever son voile. Les terroristes ont été chassés des villes, mais ils restent autour et peuvent revenir. A Kidal, Alpharock Ag Almostakine, le chef du projet médico-nutritionnel de Médecins du monde, une ONG installée dans la région depuis douze ans, se désole : «La situation nous a contraints à suspendre nos activités. Nous ne pouvons prodiguer des soins dans de telles conditions. Le centre de santé est actuellement fermé pour des raisons de sécurité.»
Moteur
Au guichet de la station Sonef Transport de Bamako, la personne ne comprend pas vraiment pourquoi je veux aller au nord. «Un billet pour Gao, madame ?» Kadi, mon accompagnatrice, m’explique qu’une jeune femme à la peau claire en partance vers le Nord intrigue les gens. Contre 15 000 francs CFA (un peu plus de 2500 DA), je monte dans le bus. Le départ est prévu à 8h. On s’agite pour choisir un siège confortable donnant sur un carreau, mais… il n’y en a pas. Je peux juste espérer qu’il y ait la climatisation. «Nos bus ne sont pas climatisés, m’informe le chauffeur, à peine compatissant. Vous pouvez vous mettre sur le premier siège. On a 1200 km à faire, les toubab (surnom des Blancs au Mali) ne supportent pas la chaleur du Mali !» A 9h45, le bus, chargé de marchandises, démarre. Ignorant la toile des sièges qui commence déjà à coller aux vêtements et la poussière incrustée dans les rainures, l’absence de confort et la chaleur accentuée par la promiscuité, personne ne se plaint.
Nous voilà en route pour Gao, arrivée prévue dans 36 heures. Le chauffeur est accompagné de cinq autres personnes qui l’aident à gérer les bagages, les arrêts et… les pannes. A peine quittons-nous Bamako que le chauffeur se gare pour vérifier un moteur apparemment délicat. Puis remonte cinq minutes plus tard pour nous rassurer. Nous avançons encore une heure dans la vaste brousse malienne qui embaume la mangue. Nouvelle pause : les passagers achètent tout ce qu’ils peuvent. «Ma famille à Gao m’a réclamé 20 kilos de mangues, introuvables au marché», témoigne un ancien militaire retraité malien, insistant pour que j’en prenne «pour l’Algérie, un pays cher» qu’il a bien connu. Laissant les passagers à leurs emplettes, je discute avec le chauffeur. Ce dernier me confie qu’en route, «nous avons perdu une pièce» et qu’ «il n’est plus possible d’avancer». Mon regard éploré n’y change rien. L’enfer commence. Sans eau, ni ombre pour se protéger de la chaleur qui augmente, saturés par les odeurs de mangue, nous attendons un mécanicien.
DRAPEAUX FRANÇAIS
Il viendra au bout de sept heures d’attente sur cette route nationale. Et uniquement parce que le patron savait qu’à bord se trouvait «une étrangère». Une voix émerge du fond du bus : «C’est la volonté de Dieu.» Des soulagements se font entendre quand le moteur redémarre. Nous revoilà sur la route à peu près bitumée traversant les villages du Nord-Mali. A chaque pause, des dizaines de jeunes marchands viennent écouler cacahuètes, eau en sachet, sodas, beignets, fruits, biscuits d’importation et même des cartes téléphoniques. Nous arrivons à Fana, un village chaleureux avec ses maisonnettes construites en briques de terre, des maraîchers joliment organisés et des habitants souriants. On m’apporte de l’eau et un coca «made in Tunisia». Tout au long du voyage et dans chaque village, les drapeaux français côtoient les drapeaux maliens. Les murs sont recouverts de slogans : «Vive la France de Hollande», «Merci à la France», «Merci Hollande», «Hommage à ceux qui sont morts pour le Mali». Une reconnaissance partagée parfois avec un sourire forcé. «La France est un ancien pays colonisateur. Aujourd’hui, elle nous a aidés en sacrifiant des soldats, nous lui devons le respect», souligne un vieux.
Vers 2h du matin, les téléphones de certains voyageurs se mettent à sonner. «Tu es certain ?», «De quel côté exactement ?», «Que Dieu les aident.» Cette agitation en bambara mélangée au français m’inquiète. Le chauffeur traduit : «L’armée malienne est décidée d’aller provoquer les Touareg à Anefis». On s’arrête pour le énième contrôle de la gendarmerie. Je présente mes papiers. On me prend pour une journaliste d’Al Jazeera, j’explique que je suis Algérienne. Le gendarme semble perdu en lisant mes documents. Il déchiffre maladroitement ce qu’il ne sait finalement pas lire : le français et l’arabe. Son supérieur le somme de nous laisser passer. Quelques heures plus tard, nous traversons à la vitesse de la lumière des paysages surprenants de beauté incarnant aussi la profonde misère du Mali. San, Mopti, Douentza, Hombor, Gossi... Les plaques des villes défilent, barrages et vérifications de papiers d’identité se succèdent, jusqu’à Gao qui nargue le fleuve Niger dont elle est séparée par un pont. Plus de cinq postes de gendarmerie et de l’armée malienne plus tard, nous entrons dans la ville des Songhai (ethnie vivant autour du fleur Niger). 18h. On nous presse d’aller directement à la station de bus.
«Arrêtez ! Arrêtez ! Ils sont en train de tirer !» A une quinzaine de kilomètres d’Anefis, sur la route qui relie Kidal à Gao, des commerçants nous empêchent d’avancer. A bord de leurs énormes camions de marchandises assurant le ravitaillement des villages du nord du Mali, ils n’ont pas pu entrer dans le village d’Anefis. Il est 5h30. Voilà presque une heure que le soleil tape sur le bitume éventré de cette route que les chars des militaires ont fini par achever. Les commerçants nous racontent que des accrochages entre l’armée malienne et le MNLA auraient déjà fait plusieurs morts. Des gens se sont enfuis vers le village le plus proche. Nous entendons des tirs. Avec Abou, mon chauffeur, nous nous dirigeons vers les premières habitations. La bataille est terminée, Anefis est tombée entre les mains des Maliens.
Un sordide décor de science-fiction. Aucune âme visible. Des cases serrées. Un chien qui court derrière son ombre. Abou remarque que le moteur chauffe. Nous tombons (de nouveau) en panne. Quelques minutes plus tard, on nous demande de nous arrêter à 100 mètres d’un campement nouvellement installé. Abou reconnaît les hommes du colonel-major malien El Hadji Ag Gamou. Après une fouille minutieuse et une panique générale, on se présente à nous et on nous rassure. Je ne remarque pas la présence de Français. On les voit peu. Ils se trouvent surtout à Gao, à l’aéroport dont on ne peut pas s’apporcher. Un des militaires sort fièrement sa carte d’identité algérienne et me dit «Tu es la fille de mon pays, félicite-moi pour cette victoire.» Je ne dis pas un mot. Je pense au barrage du MNLA que nous avons croisé hier.
CHECK-POINT
Ils s’étaient adressés à Abou en tamasheq, à moi en arabe ou en français. Le plus âgé, Moussa, m’avait assuré que le MNLA maîtrisait la situation puis m’avait posé des questions sur les positions de la gendarmerie malienne. Ils m’avaient paru très jeunes mais ne connaissaient pas leur âge. J’en avais déduit qu’ils n’avaient pas plus de 25 ans. Puis ils nous ont quitté dans un nuage de poussière après un appel téléphonique. Abou m’apprend que leur convoi a été décimé. Moussa et ses camarades, probablement morts. Le MLNA a fait état d’une vingtaine de morts dans ses rangs. Selon l’armée malienne, ils seraient plus d’une centaine. Nous sommes le 5 juin. Six mois après le début de l’opération Serval, je pars au Nord-Mali pour faire un état des lieux. Evidemment, la misère est frappante, mais plus encore, la précarité dans laquelle se trouvent les villes et les villages que je traverse au gré des check-points.
A Kidal comme à Gao, les témoignages sont les mêmes. Les Maliens ? Le MNLA ? Les salafistes ? Du pareil au même, ou presque. Les habitants parlent des «contrats» que le Mali donnera à la France pour la remercier. «Le gouvernement malien n’a jamais rien développé ici, il n’a fait que poursuivre le système colonial. La preuve ? Nous ne sommes même pas reliés à la route nationale», s’emporte un notable de Kidal. Quand les gens ne vivent pas terrés dans leur maison, ils parlent de la peur qui les tenaille. A Gao, je croise une jeune fille qui ne veut pas encore enlever son voile. Les terroristes ont été chassés des villes, mais ils restent autour et peuvent revenir. A Kidal, Alpharock Ag Almostakine, le chef du projet médico-nutritionnel de Médecins du monde, une ONG installée dans la région depuis douze ans, se désole : «La situation nous a contraints à suspendre nos activités. Nous ne pouvons prodiguer des soins dans de telles conditions. Le centre de santé est actuellement fermé pour des raisons de sécurité.»
Moteur
Au guichet de la station Sonef Transport de Bamako, la personne ne comprend pas vraiment pourquoi je veux aller au nord. «Un billet pour Gao, madame ?» Kadi, mon accompagnatrice, m’explique qu’une jeune femme à la peau claire en partance vers le Nord intrigue les gens. Contre 15 000 francs CFA (un peu plus de 2500 DA), je monte dans le bus. Le départ est prévu à 8h. On s’agite pour choisir un siège confortable donnant sur un carreau, mais… il n’y en a pas. Je peux juste espérer qu’il y ait la climatisation. «Nos bus ne sont pas climatisés, m’informe le chauffeur, à peine compatissant. Vous pouvez vous mettre sur le premier siège. On a 1200 km à faire, les toubab (surnom des Blancs au Mali) ne supportent pas la chaleur du Mali !» A 9h45, le bus, chargé de marchandises, démarre. Ignorant la toile des sièges qui commence déjà à coller aux vêtements et la poussière incrustée dans les rainures, l’absence de confort et la chaleur accentuée par la promiscuité, personne ne se plaint.
Nous voilà en route pour Gao, arrivée prévue dans 36 heures. Le chauffeur est accompagné de cinq autres personnes qui l’aident à gérer les bagages, les arrêts et… les pannes. A peine quittons-nous Bamako que le chauffeur se gare pour vérifier un moteur apparemment délicat. Puis remonte cinq minutes plus tard pour nous rassurer. Nous avançons encore une heure dans la vaste brousse malienne qui embaume la mangue. Nouvelle pause : les passagers achètent tout ce qu’ils peuvent. «Ma famille à Gao m’a réclamé 20 kilos de mangues, introuvables au marché», témoigne un ancien militaire retraité malien, insistant pour que j’en prenne «pour l’Algérie, un pays cher» qu’il a bien connu. Laissant les passagers à leurs emplettes, je discute avec le chauffeur. Ce dernier me confie qu’en route, «nous avons perdu une pièce» et qu’ «il n’est plus possible d’avancer». Mon regard éploré n’y change rien. L’enfer commence. Sans eau, ni ombre pour se protéger de la chaleur qui augmente, saturés par les odeurs de mangue, nous attendons un mécanicien.
DRAPEAUX FRANÇAIS
Il viendra au bout de sept heures d’attente sur cette route nationale. Et uniquement parce que le patron savait qu’à bord se trouvait «une étrangère». Une voix émerge du fond du bus : «C’est la volonté de Dieu.» Des soulagements se font entendre quand le moteur redémarre. Nous revoilà sur la route à peu près bitumée traversant les villages du Nord-Mali. A chaque pause, des dizaines de jeunes marchands viennent écouler cacahuètes, eau en sachet, sodas, beignets, fruits, biscuits d’importation et même des cartes téléphoniques. Nous arrivons à Fana, un village chaleureux avec ses maisonnettes construites en briques de terre, des maraîchers joliment organisés et des habitants souriants. On m’apporte de l’eau et un coca «made in Tunisia». Tout au long du voyage et dans chaque village, les drapeaux français côtoient les drapeaux maliens. Les murs sont recouverts de slogans : «Vive la France de Hollande», «Merci à la France», «Merci Hollande», «Hommage à ceux qui sont morts pour le Mali». Une reconnaissance partagée parfois avec un sourire forcé. «La France est un ancien pays colonisateur. Aujourd’hui, elle nous a aidés en sacrifiant des soldats, nous lui devons le respect», souligne un vieux.
Vers 2h du matin, les téléphones de certains voyageurs se mettent à sonner. «Tu es certain ?», «De quel côté exactement ?», «Que Dieu les aident.» Cette agitation en bambara mélangée au français m’inquiète. Le chauffeur traduit : «L’armée malienne est décidée d’aller provoquer les Touareg à Anefis». On s’arrête pour le énième contrôle de la gendarmerie. Je présente mes papiers. On me prend pour une journaliste d’Al Jazeera, j’explique que je suis Algérienne. Le gendarme semble perdu en lisant mes documents. Il déchiffre maladroitement ce qu’il ne sait finalement pas lire : le français et l’arabe. Son supérieur le somme de nous laisser passer. Quelques heures plus tard, nous traversons à la vitesse de la lumière des paysages surprenants de beauté incarnant aussi la profonde misère du Mali. San, Mopti, Douentza, Hombor, Gossi... Les plaques des villes défilent, barrages et vérifications de papiers d’identité se succèdent, jusqu’à Gao qui nargue le fleuve Niger dont elle est séparée par un pont. Plus de cinq postes de gendarmerie et de l’armée malienne plus tard, nous entrons dans la ville des Songhai (ethnie vivant autour du fleur Niger). 18h. On nous presse d’aller directement à la station de bus.
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