Longtemps considéré comme un des hommes forts de Boumediene, Ahmed Bencherif ne laisse pas aujourd’hui indifférent. Cité dans des dossiers aussi controversés que celui du colonel Chaâbani, celui des restes du colonel Amirouche et son compagnon Si El-Haouès, longtemps entreposés dans les locaux de la gendarmerie à Bab J’did, Bencherif sait contre-attaquer en temps opportun. A quatre-vingts ans, il reste prompt à la riposte, preuve en est cet entretien, qu’il a entrecoupé sec, promettant de revenir très bientôt sur les mêmes sujets, avec plus de détails et de conviction, et avec des documents à l’appui.
Bencherif, longtemps « fâché » avec Bouteflika, s’est réconcilié avec le président au milieu des années 2000. On s’en souvient, lors d’un meeting présidentiel à Laghouat, où Bencherif avait pris place dans les premières loges, Bouteflika n’hésita pas à le désigner devant le public, en disant « Dites-leur ya Si Bencherif comment nous avions vécu la période coloniale et l’après-Indépendance !».
Suite à quoi, Bencherif se leva et salua le Président, signe d’une nouvelle réconciliation entre deux hommes, et qui s’étaient éloignés l’un de l’autre à partir de la mort de Boumediene.
A Djelfa, il est toujours « le colonel ». C’est ainsi qu’on continue à l’appeler plus de trente ans après avoir quitté le commandement de la Gendarmerie nationale. Lors de ce premier entretien, il nous a reçu dans sa maison de Djelfa, et non pas dans son manoir de Aïn Maâbad. Accablé par l’âge et la maladie, le « colonel » répond aux questions qu’on lui pose et qu’on ne lui pose pas, et sait éviter celles qui ne lui siéent pas.
Le motif de l’entretien était d’en connaître un peu plus concernant la déprogrammation de l’émission télévisée d’Ennahar, il y a quelques mois, et réalisée par le journaliste Habet Hannachi, dont l’entretien avec Cherif Mehdi, premier secrétaire général de l’état-major de l’ANP, devait faire ressortir de graves accusations contre Ahmed Bencherif, soupçonné d’avoir caché des vérités sur l’affaire Amirouche-Si El Haouès, et commis des exactions durant la Révolution, et juste après, notamment dans l’affaire Chaâbani.
L'émission, qui a été déjà enregistrée, aurait dû être diffusée juste après, mais elle a été reportée, déprogrammée, puis carrément censurée. La chaîne a annoncé qu'elle a été encore reportée à une date ultérieure pour «des raisons techniques».
Le frère de Chaâbani et l'ex-officier Cherif Mahdi devaient faire des révélations fracassantes. Mais la chaîne avait subi des pressions pour la déprogrammer. C’était ce qui s’est dit à l’époque. D’alleurs, Nordine Aït Hamouda, dans sa prise de parole devant la foule présente à l’inauguration du monument historique à Iferhounène, dira que «c’est le colonel Ahmed Bencherif qui a exercé des pressions pour la déprogrammation du témoignage de Mahdi Chérif sur l’affaire de la séquestration des dépouilles de Amirouche et Si El Haouès».
On affirme que vous aviez fait des pressions pour faire annuler l’émission qui devait vous mettre en accusation concernant des dossiers tels que ceux de Amirouche et de Chaâbani, allant jusqu’à menacer de vous mettre sur un plateau de TF1 pour déballer « vos vérités » …
Non, ce n’est pas vrai, je n’ai rien à voir avec la déprogrammation. Ce que vous dites ne dépasse pas le seuil des affabulations sans aucun lien avec la réalité. Je ne suis même pas au courant de cette émission. Ce n’est que plus tard que j’ai été informé de l’initiative, laquelle ne me gêne nullement, car je sais ce que les autres ne savent pas…
Justement, c’est en savoir plus sur ce qui s’est passé que nous sommes là. On souhaiterait bien connaître les dessous de l’affaire Chaâbani…
Je n’ai rien à voir avec Chaâbani. Donc je n’ai rien à dire à son sujet…
Pourtant, on affirme que c’est vous qui l’aviez conduit, mains liés, de Boussaâda vers l’endroit où il a été jugé sommairement…
(Bencherif s’emporte).Je vous dis que je n’ai rien à voir avec cet homme ! Le jour où je parlerai, je dirai des choses que personne d’autre que moi ne connaît. Alors, patientez !
Jusqu’à quand ?
Je suis en train de préparer un livre sur les événements inconnus du grand public et qui s’étalent de l’Indépendance à la mort de Boumediène. Vous avez lu mon premier livre ?
Oui, oui, évidemment, « Parole de baroudeur », j’en ai reçu un exemplaire de la part de l’un de vos fils, Redouane. Vous parlez surtout des événements qui se sont déroulés pendant la guerre de Libération…
Et dans ce nouveau livre, à paraître bientôt, je livrerai des vérités sur la période allant de 1962 à la mort de Boumediene.
D’accord, mais on aimerait bien revenir sur l’affaire des restes mortuaires du Chahid colonel Si Amirouche et de son valeureux compagnon, le Chahid colonel Si El-Houas, entreposés pendant de longues années dans les sous-sols du commandement de la Gendarmerie nationale à Bab J’did. Qui a donné ordre ?
Vous les connaissez…
Non, on ne les connait pas.
Ce sont les deux responsables de la sécurité militaire à l’époque des faits, Kasdi Merbah et Yazid Zerhouni.
Et pourquoi ?
Ce sont des détails de l’Histoire, pourquoi ne vous intéressez-vous pas à plus important dans une Histoire d’Algérie à écrire, car truffée de mensonges et de contrevérités ?
La famille Amirouche aimerait bien connaître les dessous de cette curieuse affaire…
La famille Amirouche, ou pour le moins un membre de la famille, a été informé en temps opportun. J’ai moi-même ramené cette personne et lui ai dit qu’Amirouche, enfin les restes d’Amirouche, étaient entreposés dans les locaux de la gendarmerie. A l’époque, Boumediene était encore en vie. Pourquoi cette personne s’était alors tue ? Par peur ? Pourquoi ? Allons, allons, c’est maintenant que des registres de commerce paraissent les plus avantageux.
Ne me laissez pas dire maintenant plus que je ne souhaite en dire. Beaucoup de ceux que vous prenez pour des héros n’en étaient pas ! Tu veux que je te cite le nom d’un héros, qui a dérivé pour commettre des exactions contre ses propres compatriotes ? Mais je ne le dirai pas maintenant ! Tu veux encore que je te donne le nom d’un parent d’un leader politique encore en vie qui passait son temps à mitrailler ses compatriotes, affublé d’un treillis de para français ? Mais, là encore, je ne dirai pas un mot de plus, car le conjoncture nous oblige à plus de retenue ! En vérité, j’aurais bien été heureux que vous posiez des questions autrement plus pertinentes, sur la fausseté de certains mythes fondateurs de l’Histoire d’Algérie, comme sur la réunion de la Soummam...
Vous voulez dire le congrès de la Soummam ?
Non, je pèse bien mes mots, je dis : la réunion de la Soummam. Savez-vous combien de personnes ont pris part à cette réunion ? 15 personnes, en tout ! 15 personnes, vous appelez cela un congrès. C’était une petite réunion des chefs pas plus. Je reviendrai volontiers sur le sujet prochainement dans le détail et vous donnerai des informations intéressantes concernant la plate-forme, le rédacteur, les présents et les absents, et vous verrez que ce n’était qu’une petite réunion des chefs.
Je vous l’ai dit, l’Histoire d’Algérie récente est truffée de mensonges et des contrevérités. Il faut l’expurger. Des mystifications continuent à faire leur chemin sans que personne n’y trouve à redire. Arrêtez de vous alarmer sur des détails anecdotiques, alors que la Grande Histoire demeure cerclée de mensonges ! Chacun se donne le rôle et le gabarit qu’il n’a jamais possédés par le passé, à commencer par les présidents de la République !
Comme qui ?
Comme Chadli, par exemple. L’homme est mort, que Dieu ait pitié de lui, mais ce n’était pas un homme de dimension. C’était un petit caporal, et moi-même, ma vie durant, je l’ai appelé « e caporal». Croyez-moi, je l’ai sauvé de la prison à plusieurs reprises.
Pourquoi ?
Pour des affaires dont il s’en est mal tiré. C’était un homme mal accepté par ses chefs, qui, souvent, le mettaient en prison pour le punir. Et Boumediene me demandait à chaque fois d’intervenir pour le sortir de prison. C’était un petit caporal, c’est tout.
Boumediene vous faisait une confiance totale, à ce que l’on voit…
Je vous informe que bien avant sa mort, il disait en réunion, et devant les membres les plus proches de lui, en me regardant bien en face : «Bencherif, prépares-toi à prendre les rênes du pays !» Cela, c’est tout le monde qui le sait, pour l’avoir entendu de la bouche même de Boumediene, mais certains se sont plu à dire par la suite que les propos étaient destinés à Chadli.
C’est cela le trafic de l’Histoire dont je vous parlais. Donnez-moi du répit maintenant, il faut que j’aille prendre mes médicaments. Je vous promets que la prochaine fois, vous repartirez avec des informations très intéressantes, avec des documents à l’appui, concernant le coup d’Etat de 1965, concernant le Conseil de la Révolution, concernant « le caporal » Chadli Bendjedid et la mort de Boumediene. Alors, je vous prie de m’excuser encore et d’être patients avec moi…
Entretien réalisé par Fayçal Oukaci
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