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Fatima Benameur Belkacem, pédagogue : « Le scandale du bac est la traduction de l’échec du parcœurisme »

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  • Fatima Benameur Belkacem, pédagogue : « Le scandale du bac est la traduction de l’échec du parcœurisme »

    Écrit par Mehdia Belkadi




    Après avoir formé pendant seize ans des enseignants dans les ITE, Fatima Benameur Belkacem est actuellement professeur en didactique de langues étrangères à l’université de Béjaïa. Pour elle, toute réforme doit être mûrement réfléchie, adaptée à la spécificité du pays et adoptée après consultation des professionnels de l’enseignement et des parents d’élèves.

    Reporters : Le ministre de l’Education avait affiché des ambitions de « réformer les réformes de 2003 » au début de l’année pédagogique. Cela n’a pas été fait. Sur quoi la réforme devra-t-elle porter ?

    Fatima Benameur Belkacem : Peut-on faire une réforme du jour au lendemain ? Les réformes de 2003 sont hâtives. Beaucoup d’éléments n’ont pas été pris en compte, comme la surcharge des classes ou celle des programmes, qui doivent être actualisés et adaptés à l’Algérie. Une réforme doit être réfléchie, étudiée et adaptée aux finalités de l’Algérie, avant d’être mise en application. Les parents d’élèves doivent être consultés et les propositions soumises aux experts nationaux et internationaux, notamment les collaborateurs canadiens et français, avant d’être mises en application. Or, cette réforme a été introduite trop rapidement, comme le fut la politique de l’arabisation.

    Cela donne un travail de bricolage. Les enseignants qui doivent recourir aux nouvelles méthodes et appliquer les nouveaux programmes n’ont pas les connaissances cognitives leur permettant de mener à bien leurs cours. Ils doivent d’abord intérioriser et assimiler eux-mêmes ce qu’ils sont appelés à transmettre à leurs élèves. Cela ne signifie pas qu’ils sont bêtes ou qu’ils n’ont pas le niveau requis pour enseigner, il faut seulement leur donner le temps et les moyens nécessaires à l’assimilation de la nouvelle méthode et le nouveau programme afin qu’ils puissent le transmettre correctement à leurs quarantaines d’élèves ! C’est là un autre problème auquel il faut absolument remédier. Aucune réforme ne réussira tant que la surcharge des classes persistera. Quarante élèves par classe, cela devrait être interdit. Pour cela, il faudra allouer un budget conséquent afin de faire travailler, par exemple, les milliers de diplômés chômeurs et alléger les classes.

    Beaucoup d’enseignants et de syndicalistes remettent en question l’« approche par compétence », une méthode introduite par les réformes de M. Benbouzid. Que lui reproche-t-on ?

    L’approche par compétence est un procédé d’enseignement qui englobe beaucoup de choses. Disons qu’il consiste à transmettre des connaissances à l’élève en le mettant dans des situations qu’il peut rencontrer en société. On lui apprend par exemple à se justifier, à argumenter et appuyer son point de vue. Justement, les principaux problèmes qu’elle pose sont liés à la formation des enseignants et au manque de moyens. Il aurait fallu d’abord initier les enseignants à cette méthode à travers des formations et des stages pratiques, mais aussi se rendre à l’évidence qu’on ne peut pas l’appliquer telle quelle en Algérie. Nous ne disposons pas des moyens nécessaires à son application. Je prendrai comme exemple un projet enseigné en français qui consiste à apprendre à l’élève à réaliser un prospectus ou une publicité. Il doit vendre une région et appeler les touristes à s’y rendre. A la fin du projet, il est censé le remettre à l’Office national du tourisme. Ceci est possible dans d’autres pays pas ici ! Je peux dire qu’aucun élève ne l’a fait. Comment juge-t-on alors si l’élève a acquis cette compétence ? Nous nous retrouvons donc dans la situation suivante : des enseignants, qui ne sont pas encore prêts, doivent appliquer des méthodes non adaptées à la réalité algérienne dans des classes surchargées !

    L’année pédagogique s’est terminée par un scandale au baccalauréat malgré l’engagement du ministre, au début de l’année, d’éviter les erreurs des années précédentes. Comment expliquer cela ?

    Ce qui s’est passé durant l’épreuve de philosophie est une catastrophe. C’est la traduction de l’échec de l’enseignement par l’apprentissage et le parcœurisme. Il faut revoir tout le programme qui a été charcuté de tout ce qui dérangeait. Des leçons importantes pour la structuration du raisonnement ont été supprimées. C’est criminel ! On n’apprend pas à l’élève à raisonner et à réfléchir, mais à réciter ce qui lui a été donné. Or, dans une dissertation, il est censé commenter une citation, la critiquer, mais les élèves d’aujourd’hui ont été dépourvus de tout esprit critique. Un élève ne doit pas être considéré comme bon uniquement parce qu’il a de bonnes notes dont les parents sont satisfaits, des notes qu’il obtient parfois grâce aux cours particuliers d’ailleurs, mais parce qu’il est capable de réfléchir. Et on doit lui donner l’opportunité de raisonner. Maintenant, les déclarations du ministre quant aux retards qui doivent être rattrapés ou d’autres efforts à faire, c’est beau, mais il faut les mettre en application. Je répète, il faut former les enseignants et les recycler (les ITE ont été fermés), mettre à leur disposition les moyens pédagogiques nécessaires (il existe 4 ouvrages destinés à 2300 étudiants du département de français à Béjaïa, dont deux sont interdits d’emprunt), adapter les programmes et méthodes d’enseignement aux spécificités du pays et, enfin, réduire le nombre d’élèves par classe de façon à ce qu’il ne dépasse pas les 25 élèves.

    Concernant le niveau des élèves et des étudiants dans les langues étrangères, il aurait considérablement régressé. Comment y remédier ?

    Parler d’une régression est une erreur. On ne peut pas comparer les élèves actuels à ceux du siècle passé. Le niveau des élèves est déterminé en fonction de ce qu’on leur donne. Ils ont le niveau qu’ils sont censés avoir quand on a trois heures de langues étrangères par semaine, car il ne faut pas oublier que bien que le français, par exemple, soit très utilisé en Algérie, il reste une langue étrangère. Il n’est ni la langue d’enseignement, qui est l’arabe classique, ni la langue maternelle utilisée en dehors de l’école et qui est le dialecte. L’enseignement des langues souffre des mêmes problèmes que celui des autres matières. Outre les efforts que l’école doit faire, il faut comprendre ceci, l’élève a droit à l’erreur. Cette dernière doit être admise comme indice d’apprentissage. Partir de l’erreur pour combler les lacunes sur le plan langagier ou celui des connaissances. Mais il faut également lire, il faut reconnaître que nos élèves et étudiants, y compris ceux en lettres, ne lisent pas assez.

    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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