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Le retour de produits à l'origine de la crise sur les marchés

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  • Le retour de produits à l'origine de la crise sur les marchés

    Le Monde.fr
    Par Mathilde Damgé



    Sans tambour ni trompette, ils reviennent. Alors qu'ils portaient jadis les fiers noms de Coriolanus (tragédie shakespearienne) ou de Timberwolf (loup noir), ils se baptisent dorénavant plus sobrement Marathon ou Symphony. Les CDO, pour collateralized debt obligation, crédits de particuliers et d'entreprises transformés en produits financiers, font leur retour sur les marchés.
    En tête du mouvement resurgissent des produits comme les CDO synthétiques, tel le tristement célèbre Abacus de Goldman Sachs qui était lié aux prêts hypothécaires. Sauf que les crédits qui ont la cote sont maintenant ceux qui touchent les entreprises, en particulier les prêts bancaires (CLO, collateralised loan obligation).

    Selon Royal Bank of Scotland, 28 milliards d'euros de CLO auraient déjà été vendus cette année aux Etats-Unis, contre 12 milliards l'an dernier sur la même période.

    Au lieu d'être composés de titres adossés à des crédits existants, les CDO dits synthétiques sont des dérivés pariant sur la valeur d'un dû. Dans le détail, ils sont constitués de titres d'assurance contre un défaut de crédit (CDS) - le "crédit" en question étant contenu dans un CDO "classique". En un mot, il s'agit de gérer (ou de jouer) le risque qu'une dette ne soit pas payée.

    Lire : Les CDO, ces titres obscurs au cœur de la crise financière
    Que sont exactement les obscurs "CDO", ces titres financiers au centre de l'affaire Goldman Sachs ? Un "pur produit de masturbation intellectuelle", comme l'a moqué dans un courrier électronique Fabrice Tourre, le financier mis en cause dans ce dossier, ou un bijou de sophistication financière ?

    Sans doute un peu tout cela à la fois. "Les CDO, pour "Collaterized Debt Obligations", ont fait leur apparition vers la fin des années 1980, mais ne sont devenus vraiment significatifs qu'en 1996, au moment de l'expansion des marchés financiers", indique l'économiste Paul Jorion. Au plus fort de la crise, ils représentaient de l'ordre de 600 à 700 milliards de dollars (450 à 530 milliards d'euros).
    A l'origine l'idée était "maligne", indique Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis. Il s'agissait de disperser le risque lié à un défaut de créance. La mécanique initiale est assez simple. Au lieu de conserver un titre de crédit, une banque le transforme en titre financier prêt à être revendu sur les marchés via une opération dite de titrisation. Ces produits financiers adossés à des créances sont ensuite regroupés dans des portefeuilles, les fameux CDO.

    Chaque CDO se compose ainsi d'une ou plusieurs centaines de tranches de dettes plus ou moins risquées. Ces dernières allant des obligations d'entreprise aux crédits étudiants, en passant par des crédits immobiliers à risque accordés à des ménages modestes, les fameux subprimes.

    Ainsi diversifié, le CDO est censé être pour un investisseur l'assurance de rendements juteux : la baisse de certains titres étant compensée par la hausse des autres. En outre, grâce à ces produits, les investisseurs sont en mesure, avec une mise de fonds relativement minime, et a priori peu risquée de parier sur la hausse de tout un marché.

    INGÉNIERIE FINANCIÈRE

    Seul bémol, pour améliorer toujours plus les performances de ces titres, sans jamais s'interroger sur leurs effets pervers, l'ingénierie financière s'est mise en marche. Les experts au sein des banques ont créé des produits de plus en plus complexes, jusqu'à l'outrance : certains CDO sont devenus des CDO formés de CDO, des "CDO au carré", voire au cube ! Au lieu d'être composés de titres adossés à des crédits biens existants, d'autres CDO, dits synthétiques, ont été formés de titres d'assurance contre un défaut de crédits, des CDS.

    In fine, il était devenu difficile pour un investisseur lambda d'y voir clair. Impossible de savoir si le crédit sous-jacent au CDO était susceptible d'être en défaut ou non. C'est la dissymétrie d'information que le Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, théorise notamment dans son ouvrage Le Triomphe de la cupidité. Cette désinformation volontaire ou non est au coeur de l'affaire Goldman Sachs, mais aussi, plus globalement, de la crise financière.

    Pour avoir une idée de la valeur du titre et de sa dangerosité, d'identifier les "crédits pourris" des autres, les acheteurs n'avaient alors qu'un seul moyen : faire une confiance parfois aveugle à la banque qui leur revendait ces titres et à la note attribuée par les agences de notation de crédits.

    Ce sont des CDO synthétiques, baptisés Abacus, liés au marché des subprimes, que Goldman Sachs a créés de toutes pièces pour le célèbre gérant de fonds spéculatifs John Paulson. "Les CDO synthétiques ont permis d'élargir le champ des paris à la hausse ou à la baisse sur les subprimes : on peut appeler ça "spéculatif", indique Augustin Landier, professeur a la Toulouse School of Economics, mais ce n'est pas un problème en soi. Le problème, c'est que les investisseurs les moins sophistiqués étaient tous du côté "haussier" de ces paris."

    De fait, mis à part M. Paulson qui pariait sur l'effondrement de ce marché, les acheteurs d'Abacus misaient, pour la plupart, et pour leur infortune, sur une poursuite de la hausse de leur prix.

    Claire Gatinois
    Selon le Wall Street Journal, les banques d'investissement JPMorgan et Morgan Stanley en distribuent. Les clients seraient des fonds spéculatifs. Le quotidien américain précise qu'il y a peu de chance que les banques se portent acheteuses de leurs propres produits dans la mesure où, contraintes par les règles de Bâle, elles doivent désormais avoir des réserves à la hauteur (proportionnellement) des risques qu'elles prennent.

    RECHERCHE DE RENTABILITÉ

    Ce retour en grâce s'explique par la politique monétaire laxiste de la Banque centrale américaine, qui maintient les taux directeurs au plus bas et n'offre que trop peu de rendement aux investisseurs. Résultat, le manque d'offre pour faire fructifier du capital pousse Wall Street à des pratiques risquées, rappelant celles liées au marché immobilier américain avant 2007.

    Car les actions ne sont rentables que sur le long terme et les obligations affichent des taux d'intérêt proches de zéro. Début juin, des retraits record de près de 10 milliards d'euros sont venus sanctionner les fonds obligataires - les gérants, obligés de maintenir une certaine rentabilité tout en garantissant une sécurité minimum, craignent tout autant une reprise de l'économie qu'une rechute.

    Du coup, les investisseurs se tournent à nouveau vers les produits structurés, comme les CDO. Il s'agit de racheter de la dette, n'importe laquelle (du crédit à la consommation à la dette d'Etat en passant par des emprunts étudiants), et de l'utiliser ensuite comme "collatéral", c'est-à-dire comme contrepartie, pour des obligations créées de toute pièce. A l'origine, l'idée était d'éparpiller le risque lié à un défaut de créance. L'intérêt de ces obligations est qu'elles sont généralement bien notées par les agence comme S & P ou Moody's et ont un rendement supérieur à ceux des obligations classiques.

    DES PRODUITS TOXIQUES À L'EFFET TSUNAMI




    Ce regain d'intérêt a de quoi inquiéter. Les entreprises y trouvent certes une source d'argent frais, difficile à obtenir autrement dans le contexte actuel ; par exemple, une partie des créances d'EDF (paiement des factures d'électricité) est titrisée, tout comme les créances automobiles portées par la succursale allemande de Banque PSA Finance.

    Mais, côté marchés, pour espérer des bénéfices substantiels, il faut miser sur l'une des "tranches" (il y en a six en général) les plus risquées du CDO. Or les CDO synthétiques démultiplient la casse en cas de défaut. Car en période de taux faibles, il faut miser d'énormes sommes sur d'infimes différences pour dégager du profit. Ce qui signifie aussi de très lourdes pertes en cas de variation un peu brusque sur le marché du crédit.

    Les CDO synthétiques ont "permis à la titrisation de prendre de l'ampleur alors même que le marché s'asséchait et ils ont donné aux spéculateurs les moyens de continuer à parier sur le marché immobilier", résume un rapport du Financial Crisis Inquiry Committee (la commission en charge de ce rapport a été créée par Barack Obama en mai 2009). "En s'appuyant sur un risque corrélé, ils ont augmenté l'exposition aux pertes quand le marché immobilier s'est effondré."

    Lehman et les banques islandaises, qui en détenaient d'importantes quantités, en ont payé le prix en 2008. A cette période, la totalité du crédit placé sous protection via les CDO avait culminé autour de 1 000 milliards de dollars.

    Mathilde Damgé
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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