Cet article aborde une question encore très sensible en Espagne. C’est un des rares articles équilibrés publiés dans la presse espagnole traitant de cette question des armes chimiques utilisées pendant la guerre du Rif. Son importance réside dans le fait qu’il est publié à une semaine de la visite du chef du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodríguez Zapatero, au Maroc et dans un journal (El Mundo) de référence en Espagne et proche de la droite espagnole. Celle-ci, en quelque sorte la gardienne de l’héritage franquiste, a souvent été réticente quant au traitement de cette question publiquement à cause de la sensibilité qu’elle présente encore dans certains milieux de l’opinion publique espagnole.
Après avoir averti l'auteur, je me suis permis de traduire l'article du mieux que je pouvais et en faire profiter les lecteurs francophones. Bien que la traduction soit très fidèle, mais pour des raisons lexicographiques et grammaticales propres à chaque langue, je me suis permis de l'adapter soigneusement à la langue française.
L'Espagne et ses bombestoxiques sur le Rif
-L'Espagne et la France ont aspergé de gaz moutarde les souks et les villages du Rif
-L'Espagne a utilisé les armes chimiques pour se venger du désastre d'Anoual
-Abdelkrim combattait à la fois l'Espagne, la France et le Makhzen
-Hassan II a largué des bombes au Napalm sur les villages rifains
-L'Etat marocain ne veut pas enquêter sur l'impact de ces armes chimiques
Amanda Figueras (article publié dans El Mundo, samedi 05/07/2008) - Pendant la célèbre guerre du Rif (1921-1927), l'Espagne a utilisé les armes chimiques comme le phosgène, le diphosgène, la chloropicrine et surtout le gaz moutarde (l'ypérite), contre les populations civiles du nord du Maroc. De nombreux historiens l'affirment et les gouvernements espagnols successifs ne l'ont jamais nié ni reconnu d'une manière explicite.
Les bombes chargées de gaz toxiques - interdites par le Traité de Versailles de 1919- étaient identifiées par la lettre « C ». Les plus utilisées en 1924 furent les C-1 et C-2 (chargées respectivement de 50 et 10 kg d'ypérite), mais à partir de 1925 ils ont lancé d'autres modèles comme la C-5 (chargée de 20 kg de gaz moutarde), la C-3 (chargée de 26 kg de phosgène) et la C-4 (chargée de 10 kg de chloropicrine). Et d'après les archives du « Service Historique Militaire des Martyrs d'Alcala de Henares » certaines de ces bombes larguées sur le Rif ont été remplies également d'essence et de phosphore.
Entre 4 et 24 heures après l'exposition au gaz moutarde, il se produit sur n'importe quelle muqueuse avec laquelle il entre en contact, une irritation intense, un dessèchement et des ampoules. S'il est inhalé, ce gaz peut occasionner de graves dommages à la trachée, aux bronches et aux poumons et peut éventuellement conduire à la cécité s'il entre en contact directement avec les yeux. Il peut provoquer aussi des hémorragies internes qui entraînent souvent la mort.
« Qu'on n'oublie pas ce crime contre l'Humanité »
Après 80 ans, certains activistes remuent encore l'histoire pour que ce « crime contre l'Humanité » ne tombe pas dans l'oubli. Car il parait que les séquelles sont toujours visibles.
« Les Espagnols faisaient ce qu'ils voulaient. Je me souviens d'un enfant qui a respiré Arr-hajj (poison, en rifain) et qui en est mort » affirme Mohamed Salah Faragi. « Ma mère et mes sœurs toussaient jour et nuit, jusqu'à ce que ce poison les emporte. Mon frère est mort après avoir bu l'eau contaminée par ce poison. L'autre a perdu tous ses cheveux », explique Mohamed, âgé de 85 ans, surnommé « Santiago » par les Espagnols, « parce qu'il s'habillait en blanc », dit-il.
C'est l'expérience vécue de deux des derniers survivants que reprend le documentaire « Arrhash ou Arr-hâjj », réalisé par l'Espagnol Javier Rada et le Marocain Tarik El-Idrissi, qui sortira bientôt pour témoigner de cette tragédie .
Extrait du documentaire « Arrhach »
« Notre objectif est de témoigner sur une époque sombre de notre histoire afin d'éviter que ce crime ne disparaisse de nos mémoires avec la mort des derniers témoins qui ont vécu cette expérience douloureuse…D'un côté, nous refusons de reconnaître un crime que nous avons commis, nous-mêmes les Espagnols et…qu'on a toujours étouffé, et de l'autre côté, nous justifions d'autres guerres pour l'existence de supposées armes chimiques ailleurs », explique Rada.
L' « inassumable » ou l'inacceptable défaite
En 1912, grâce à un accord avec la France qui avait obtenu quelques mois auparavant la souveraineté sur le pays de la part du sultan Abdelhafid, l'Espagne a établi un Protectorat au nord du Maroc avec comme capitale la ville de Tétouan. Mais les Rifains ont refusé cet état de fait et commencèrent à s'organiser pour lui résister.
La résistance des Rifains était tellement forte à la fois contre l'occupation espagnole et l'autorité du Sultan Youssef ben Hassan (frère du sultan Abdelhafid et son successeur) soutenu par la France, que l'Espagne a dû envoyer jusqu'à 50.000 soldats pour se maintenir dans la région.
A partir de 1919 la révolte rifaine, menée par Abdelkrim Al-Khattabi, a pris de l'ampleur. En juillet 1921, les troupes espagnoles ont subi une grave défaite militaire face aux Rifains lors de la bataille d'Anoual, que les historiens espagnols appellent « le grand désastre d'Anoual ». Le Roi Alfonso XII, affaibli après cette défaite catastrophique qui a terni la grandeur de l'Espagne, voulait coûte que coûte se venger des Rifains et en découdre le plus rapidement possible avec leur révolte avant qu'elle ne contamine d'autres régions.
Pour en finir vite avec l'insurrection des Rifains, les autorités espagnoles ont sollicité alors l'appui des Allemands. Selon les chercheurs Rudibert Kunz et Rolf Dieter Müller, les Allemands ont recommandé aux Espagnols de bombarder au gaz moutarde les souks, les villages et les groupements d'habitations (Dhshar) de ceux qui soutenaient la guérilla d'Abdelkrim. D'abord, Berlin a fourni à l'Espagne des bombes chimiques prêtes à l'emploi, avant de lui montrer plus tard comment les fabriquer; et c'est la tâche qui est revenue à l'usine de La Marañosa (Tolède).
Depuis 2001, cette usine est devenue un « Institut Technologique » de recherche. Mais, de nombreux citoyens et militants pacifistes croient qu'elle continue à développer des recherches dans le domaine des armes chimiques, biologiques et nucléaires et militent pour sa fermeture définitive.
Suite.....
Après avoir averti l'auteur, je me suis permis de traduire l'article du mieux que je pouvais et en faire profiter les lecteurs francophones. Bien que la traduction soit très fidèle, mais pour des raisons lexicographiques et grammaticales propres à chaque langue, je me suis permis de l'adapter soigneusement à la langue française.
L'Espagne et ses bombestoxiques sur le Rif
-L'Espagne et la France ont aspergé de gaz moutarde les souks et les villages du Rif
-L'Espagne a utilisé les armes chimiques pour se venger du désastre d'Anoual
-Abdelkrim combattait à la fois l'Espagne, la France et le Makhzen
-Hassan II a largué des bombes au Napalm sur les villages rifains
-L'Etat marocain ne veut pas enquêter sur l'impact de ces armes chimiques
Amanda Figueras (article publié dans El Mundo, samedi 05/07/2008) - Pendant la célèbre guerre du Rif (1921-1927), l'Espagne a utilisé les armes chimiques comme le phosgène, le diphosgène, la chloropicrine et surtout le gaz moutarde (l'ypérite), contre les populations civiles du nord du Maroc. De nombreux historiens l'affirment et les gouvernements espagnols successifs ne l'ont jamais nié ni reconnu d'une manière explicite.
Les bombes chargées de gaz toxiques - interdites par le Traité de Versailles de 1919- étaient identifiées par la lettre « C ». Les plus utilisées en 1924 furent les C-1 et C-2 (chargées respectivement de 50 et 10 kg d'ypérite), mais à partir de 1925 ils ont lancé d'autres modèles comme la C-5 (chargée de 20 kg de gaz moutarde), la C-3 (chargée de 26 kg de phosgène) et la C-4 (chargée de 10 kg de chloropicrine). Et d'après les archives du « Service Historique Militaire des Martyrs d'Alcala de Henares » certaines de ces bombes larguées sur le Rif ont été remplies également d'essence et de phosphore.
Entre 4 et 24 heures après l'exposition au gaz moutarde, il se produit sur n'importe quelle muqueuse avec laquelle il entre en contact, une irritation intense, un dessèchement et des ampoules. S'il est inhalé, ce gaz peut occasionner de graves dommages à la trachée, aux bronches et aux poumons et peut éventuellement conduire à la cécité s'il entre en contact directement avec les yeux. Il peut provoquer aussi des hémorragies internes qui entraînent souvent la mort.
« Qu'on n'oublie pas ce crime contre l'Humanité »
Après 80 ans, certains activistes remuent encore l'histoire pour que ce « crime contre l'Humanité » ne tombe pas dans l'oubli. Car il parait que les séquelles sont toujours visibles.
« Les Espagnols faisaient ce qu'ils voulaient. Je me souviens d'un enfant qui a respiré Arr-hajj (poison, en rifain) et qui en est mort » affirme Mohamed Salah Faragi. « Ma mère et mes sœurs toussaient jour et nuit, jusqu'à ce que ce poison les emporte. Mon frère est mort après avoir bu l'eau contaminée par ce poison. L'autre a perdu tous ses cheveux », explique Mohamed, âgé de 85 ans, surnommé « Santiago » par les Espagnols, « parce qu'il s'habillait en blanc », dit-il.
C'est l'expérience vécue de deux des derniers survivants que reprend le documentaire « Arrhash ou Arr-hâjj », réalisé par l'Espagnol Javier Rada et le Marocain Tarik El-Idrissi, qui sortira bientôt pour témoigner de cette tragédie .
Extrait du documentaire « Arrhach »
« Notre objectif est de témoigner sur une époque sombre de notre histoire afin d'éviter que ce crime ne disparaisse de nos mémoires avec la mort des derniers témoins qui ont vécu cette expérience douloureuse…D'un côté, nous refusons de reconnaître un crime que nous avons commis, nous-mêmes les Espagnols et…qu'on a toujours étouffé, et de l'autre côté, nous justifions d'autres guerres pour l'existence de supposées armes chimiques ailleurs », explique Rada.
L' « inassumable » ou l'inacceptable défaite
En 1912, grâce à un accord avec la France qui avait obtenu quelques mois auparavant la souveraineté sur le pays de la part du sultan Abdelhafid, l'Espagne a établi un Protectorat au nord du Maroc avec comme capitale la ville de Tétouan. Mais les Rifains ont refusé cet état de fait et commencèrent à s'organiser pour lui résister.
La résistance des Rifains était tellement forte à la fois contre l'occupation espagnole et l'autorité du Sultan Youssef ben Hassan (frère du sultan Abdelhafid et son successeur) soutenu par la France, que l'Espagne a dû envoyer jusqu'à 50.000 soldats pour se maintenir dans la région.
A partir de 1919 la révolte rifaine, menée par Abdelkrim Al-Khattabi, a pris de l'ampleur. En juillet 1921, les troupes espagnoles ont subi une grave défaite militaire face aux Rifains lors de la bataille d'Anoual, que les historiens espagnols appellent « le grand désastre d'Anoual ». Le Roi Alfonso XII, affaibli après cette défaite catastrophique qui a terni la grandeur de l'Espagne, voulait coûte que coûte se venger des Rifains et en découdre le plus rapidement possible avec leur révolte avant qu'elle ne contamine d'autres régions.
Pour en finir vite avec l'insurrection des Rifains, les autorités espagnoles ont sollicité alors l'appui des Allemands. Selon les chercheurs Rudibert Kunz et Rolf Dieter Müller, les Allemands ont recommandé aux Espagnols de bombarder au gaz moutarde les souks, les villages et les groupements d'habitations (Dhshar) de ceux qui soutenaient la guérilla d'Abdelkrim. D'abord, Berlin a fourni à l'Espagne des bombes chimiques prêtes à l'emploi, avant de lui montrer plus tard comment les fabriquer; et c'est la tâche qui est revenue à l'usine de La Marañosa (Tolède).
Depuis 2001, cette usine est devenue un « Institut Technologique » de recherche. Mais, de nombreux citoyens et militants pacifistes croient qu'elle continue à développer des recherches dans le domaine des armes chimiques, biologiques et nucléaires et militent pour sa fermeture définitive.
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