Une analyse de la situation politique de l’Algérie vue par les médias étrangers. Un article paru dans le journal Le Monde. L'auteur n'est autre que la sérieuse journaliste et écrivain Florence Beaugé qui a été reçu dernièrement à Alger pour le lancement de son livre dénoncant les tortures de l'armée française pendant la guerre d'Algérie : "Algérie, une guerre sans gloire"
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L'Algérie dans l'impasse politique
Florence Beaugé
Article paru dans l'édition
du 30.08.06 du Monde
En Algérie, l'actualité politique se limite aux faits et gestes du président Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci n'est pas apparu sur la scène publique depuis le 15 juillet. Le mystère sur la santé du chef de l'Etat s'accompagne d'une série d'incohérences dans la gestion du pays. Plus que jamais, la vie politique est un désert, le pouvoir opaque et l'horizon bouché.
Le bilan de l'opération "Paix et réconciliation", arrivée à expiration fin août, n'a pas donné lieu à un débat sur le bien-fondé ou non de cette politique destinée à vider les maquis. Quelques voix se sont élevées pour réclamer la prorogation de l'amnistie au-delà du 28 août, mais sans doute étaient-elles inspirées par le pouvoir. Si la décision de M. Bouteflika de procéder à une révision de la Constitution, l'automne prochain - officiellement pour renforcer le régime présidentiel -, est accueillie avec indifférence par la majorité de la population, elle plonge les intellectuels et les figures de la vie politique et associative dans la consternation.
Les uns se taisent parce qu'ils se sentent "impuissants". Les autres parce qu'ils refusent d'"alimenter un faux débat" dans un pays où le président, disent-ils, s'est déjà octroyé tous les pouvoirs et a réduit l'opposition à néant. "Pourquoi cette volonté de réformer la Constitution ? Aucun des problèmes de l'Algérie - chômage, logement, insécurité, mal vie - ne vient de là !", s'irrite un ancien ministre. Beaucoup voient dans ce projet "une lubie royale" et un "anachronisme".
Quels seront les amendements apportés à la Loi fondamentale ? On parle surtout de faire sauter le verrou qui limite jusque-là à deux le nombre de mandats présidentiels. En théorie, le président Bouteflika pourra donc briguer un troisième mandat en 2009. Il est aussi question de créer un poste de vice-président (désigné par le chef de l'Etat, donc sans la moindre autonomie). Ou encore de la perte, pour l'Assemblée nationale, de son pouvoir de censure du gouvernement.
D'autres modifications seraient à l'étude, comme l'"immunité à vie" du président de la République, suggérée par le président de l'Assemblée nationale. Pour Fayçal Métaoui, journaliste à El Watan, si ces amendements sont acceptés, en particulier le troisième mandat, il s'agira de "la plus grande régression" qu'ait connue l'Algérie depuis l'ouverture de la fin des années 1980. "La nouvelle Constitution va instaurer la dictature, ou plutôt la consacrer", estime-t-il. "S'accrocher au pouvoir, c'est décidément la maladie des dirigeants arabes. L'Algérie n'échappe pas à l'air du temps...", lâche de son côté un ancien chef de gouvernement.
Beaucoup relèvent avec inquiétude les contradictions de plus en plus nombreuses du chef de l'Etat. Un jour, le président Bouteflika stigmatise les binationaux et les présente comme des profiteurs. Or c'est lui qui a fait voter une loi, il y a un an, pour autoriser la double nationalité. Un autre jour, il qualifie publiquement les ministres et les walis (préfets) de "menteurs" et d'"incompétents". Or c'est lui qui les a nommés, et rien ne l'empêche d'en changer. Autres exemples : trois mois après avoir refusé une augmentation des salaires de la fonction publique, il l'accepte, sans explications. Après avoir fait voter dans l'urgence une loi libéralisant les hydrocarbures - à contre-courant de tous les pays pétroliers -, il fait traîner les décrets d'application, avant de faire volte-face, en juillet, et de "renationaliser" le pétrole et le gaz.
"Nous sommes dans le règne de l'irrationnel", lâche un avocat, l'air las. "Jamais la justice n'a été autant instrumentalisée", ajoute un magistrat, démoralisé. A titre d'exemple : le tribunal et la cour d'appel d'Alger ont été sommés, le 3 juillet, de juger en un après-midi pas moins de 83 délits de presse et de relaxer les journalistes poursuivis, à défaut de pouvoir les faire bénéficier de la grâce présidentielle prévue pour le surlendemain, à l'occasion de la fête nationale.
L'un des rares hommes politiques à s'exprimer à visage découvert, le docteur Saïd Saadi, secrétaire général du Parti pour la culture et la démocratie (RCD), dit que ce qu'il reproche le plus au président Bouteflika, c'est d'avoir installé "des gens incompétents, incultes et corrompus" à tous les postes-clés, dans le seul but "d'asservir les institutions".
"LAISSER SA TRACE"
L'état de santé du chef de l'Etat renforce le sentiment d'incompréhension et d'illogisme. Si M. Bouteflika est en principe remis de la maladie qui l'a affecté en décembre 2005, peut-il sérieusement envisager un troisième mandat ? "Lui le croit. Il voit cela comme un défi. Il faut comprendre son état d'esprit à lui. Cette révision de la Constitution est en outre le moyen pour lui de laisser sa trace, ce qui est son obsession", assure un ancien haut responsable qui l'a longtemps côtoyé.
Le président Bouteflika a par ailleurs un souci : remplir cette coquille vide qu'est devenu le FLN. En nommant Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du vieux parti, à la tête du gouvernement, il y a cinq mois, le chef de l'Etat espère rendre le FLN attractif, à moins d'un an des élections législatives et des locales. Abdelaziz Belkhadem compte plusieurs atouts. Il est originaire de l'Ouest, comme le président. C'est un "réconciliateur", un nationaliste pur et dur et surtout un musulman réputé pour sa religiosité. Son profil d'islamiste (qu'il n'est pas en réalité) ne peut qu'aider le président Bouteflika à rassembler les Algériens à l'heure de la "réconciliation nationale". Quant à la puissante sécurité militaire, qui constitue le noeud du "système" algérien, elle connaît Belkhadem de longue date et ne nourrit pas d'inquiétude à son sujet.
Les meilleurs analystes de la vie politique algérienne se rejoignent sur un point : en dépit des apparences, rien n'a changé à Alger. Même à bout de souffle, le "système" tient bon. Son grand art est de réussir à faire croire le contraire. Ainsi que le résume l'ancien chef de gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, "M. Bouteflika n'est pas "le" problème. Il n'est qu'"un" problème".
S'il laisse le président libre de ses décisions, le "pouvoir de l'ombre" reprendra les rênes au moment opportun. Le "système" a fait la preuve de son incapacité à gérer le pays mais la hausse du prix du pétrole l'aide à durer. Jamais les caisses de l'Etat n'ont été aussi pleines : plus de 66 milliards de dollars (51,55 milliards d'euros) de réserves de change. Le peuple ne l'ignore pas. Est-il révolté ? Résigné ? Difficile à dire. Entre jacqueries sporadiques et rêves de visas, les Algériens ont en tout cas appris à vivre en marge de l'Etat et à ne compter que sur eux-mêmes. Mais jusqu'à quand ?
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L'Algérie dans l'impasse politique
Florence Beaugé
Article paru dans l'édition
du 30.08.06 du Monde
En Algérie, l'actualité politique se limite aux faits et gestes du président Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci n'est pas apparu sur la scène publique depuis le 15 juillet. Le mystère sur la santé du chef de l'Etat s'accompagne d'une série d'incohérences dans la gestion du pays. Plus que jamais, la vie politique est un désert, le pouvoir opaque et l'horizon bouché.
Le bilan de l'opération "Paix et réconciliation", arrivée à expiration fin août, n'a pas donné lieu à un débat sur le bien-fondé ou non de cette politique destinée à vider les maquis. Quelques voix se sont élevées pour réclamer la prorogation de l'amnistie au-delà du 28 août, mais sans doute étaient-elles inspirées par le pouvoir. Si la décision de M. Bouteflika de procéder à une révision de la Constitution, l'automne prochain - officiellement pour renforcer le régime présidentiel -, est accueillie avec indifférence par la majorité de la population, elle plonge les intellectuels et les figures de la vie politique et associative dans la consternation.
Les uns se taisent parce qu'ils se sentent "impuissants". Les autres parce qu'ils refusent d'"alimenter un faux débat" dans un pays où le président, disent-ils, s'est déjà octroyé tous les pouvoirs et a réduit l'opposition à néant. "Pourquoi cette volonté de réformer la Constitution ? Aucun des problèmes de l'Algérie - chômage, logement, insécurité, mal vie - ne vient de là !", s'irrite un ancien ministre. Beaucoup voient dans ce projet "une lubie royale" et un "anachronisme".
Quels seront les amendements apportés à la Loi fondamentale ? On parle surtout de faire sauter le verrou qui limite jusque-là à deux le nombre de mandats présidentiels. En théorie, le président Bouteflika pourra donc briguer un troisième mandat en 2009. Il est aussi question de créer un poste de vice-président (désigné par le chef de l'Etat, donc sans la moindre autonomie). Ou encore de la perte, pour l'Assemblée nationale, de son pouvoir de censure du gouvernement.
D'autres modifications seraient à l'étude, comme l'"immunité à vie" du président de la République, suggérée par le président de l'Assemblée nationale. Pour Fayçal Métaoui, journaliste à El Watan, si ces amendements sont acceptés, en particulier le troisième mandat, il s'agira de "la plus grande régression" qu'ait connue l'Algérie depuis l'ouverture de la fin des années 1980. "La nouvelle Constitution va instaurer la dictature, ou plutôt la consacrer", estime-t-il. "S'accrocher au pouvoir, c'est décidément la maladie des dirigeants arabes. L'Algérie n'échappe pas à l'air du temps...", lâche de son côté un ancien chef de gouvernement.
Beaucoup relèvent avec inquiétude les contradictions de plus en plus nombreuses du chef de l'Etat. Un jour, le président Bouteflika stigmatise les binationaux et les présente comme des profiteurs. Or c'est lui qui a fait voter une loi, il y a un an, pour autoriser la double nationalité. Un autre jour, il qualifie publiquement les ministres et les walis (préfets) de "menteurs" et d'"incompétents". Or c'est lui qui les a nommés, et rien ne l'empêche d'en changer. Autres exemples : trois mois après avoir refusé une augmentation des salaires de la fonction publique, il l'accepte, sans explications. Après avoir fait voter dans l'urgence une loi libéralisant les hydrocarbures - à contre-courant de tous les pays pétroliers -, il fait traîner les décrets d'application, avant de faire volte-face, en juillet, et de "renationaliser" le pétrole et le gaz.
"Nous sommes dans le règne de l'irrationnel", lâche un avocat, l'air las. "Jamais la justice n'a été autant instrumentalisée", ajoute un magistrat, démoralisé. A titre d'exemple : le tribunal et la cour d'appel d'Alger ont été sommés, le 3 juillet, de juger en un après-midi pas moins de 83 délits de presse et de relaxer les journalistes poursuivis, à défaut de pouvoir les faire bénéficier de la grâce présidentielle prévue pour le surlendemain, à l'occasion de la fête nationale.
L'un des rares hommes politiques à s'exprimer à visage découvert, le docteur Saïd Saadi, secrétaire général du Parti pour la culture et la démocratie (RCD), dit que ce qu'il reproche le plus au président Bouteflika, c'est d'avoir installé "des gens incompétents, incultes et corrompus" à tous les postes-clés, dans le seul but "d'asservir les institutions".
"LAISSER SA TRACE"
L'état de santé du chef de l'Etat renforce le sentiment d'incompréhension et d'illogisme. Si M. Bouteflika est en principe remis de la maladie qui l'a affecté en décembre 2005, peut-il sérieusement envisager un troisième mandat ? "Lui le croit. Il voit cela comme un défi. Il faut comprendre son état d'esprit à lui. Cette révision de la Constitution est en outre le moyen pour lui de laisser sa trace, ce qui est son obsession", assure un ancien haut responsable qui l'a longtemps côtoyé.
Le président Bouteflika a par ailleurs un souci : remplir cette coquille vide qu'est devenu le FLN. En nommant Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du vieux parti, à la tête du gouvernement, il y a cinq mois, le chef de l'Etat espère rendre le FLN attractif, à moins d'un an des élections législatives et des locales. Abdelaziz Belkhadem compte plusieurs atouts. Il est originaire de l'Ouest, comme le président. C'est un "réconciliateur", un nationaliste pur et dur et surtout un musulman réputé pour sa religiosité. Son profil d'islamiste (qu'il n'est pas en réalité) ne peut qu'aider le président Bouteflika à rassembler les Algériens à l'heure de la "réconciliation nationale". Quant à la puissante sécurité militaire, qui constitue le noeud du "système" algérien, elle connaît Belkhadem de longue date et ne nourrit pas d'inquiétude à son sujet.
Les meilleurs analystes de la vie politique algérienne se rejoignent sur un point : en dépit des apparences, rien n'a changé à Alger. Même à bout de souffle, le "système" tient bon. Son grand art est de réussir à faire croire le contraire. Ainsi que le résume l'ancien chef de gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, "M. Bouteflika n'est pas "le" problème. Il n'est qu'"un" problème".
S'il laisse le président libre de ses décisions, le "pouvoir de l'ombre" reprendra les rênes au moment opportun. Le "système" a fait la preuve de son incapacité à gérer le pays mais la hausse du prix du pétrole l'aide à durer. Jamais les caisses de l'Etat n'ont été aussi pleines : plus de 66 milliards de dollars (51,55 milliards d'euros) de réserves de change. Le peuple ne l'ignore pas. Est-il révolté ? Résigné ? Difficile à dire. Entre jacqueries sporadiques et rêves de visas, les Algériens ont en tout cas appris à vivre en marge de l'Etat et à ne compter que sur eux-mêmes. Mais jusqu'à quand ?
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