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Escusez moi, mais je suis pris de Benbassamania. Je me propose de lancer des débats sur les sujets d'actualité abordés par cette grande dame.
« La République face à ses minorités » : le livre (D'Esther Benbassa) qu’il fallait
Denis Sieffert
L’historienne Esther Benbassa nous propose une réflexion passionnée et passionnante sur la relation que la République entretient avec ses minorités.
Formée dans les écoles congréganistes en Turquie, terre d’Islam, puis « en terre juive d’Israël », historienne incontestée du judaïsme, Esther Benbassa a toujours su « intuitivement que la religion de l’autre mérite quelque déférence ». De l’Orient, il lui reste la compréhension des identités composites, et un sang chaud. Cette « République face à ses minorités » qu’elle nous livre ces jours-ci nous emporte dans son impatience. Nous n’avons de cesse d’en achever la lecture comme elle n’a eu de cesse de l’écrire. Pourtant, ces pages arrachées à l’actualité brûlante de ces derniers mois, à l’affaire du voile, à nos débats sur le communautarisme, sur l’islam et le judaïsme, sur la laïcité et le féminisme, ne cèdent jamais au pamphlet. C’est la réflexion ardente et pétrie d’Histoire d’une « juive de France » qui n’a jamais « nié son appartenance de groupe, mais qui abhorre tout nationalisme », et l’« entre soi étouffant » du communautarisme. À lui seul, le titre de ce petit livre est un défi. Car, comme chacun sait, la République ne connaît pas de « minorités ». Une et indivisible, elle ne saurait distinguer entre ses ouailles citoyennes. C’est, du moins, ce que nous enseigne le dogme. Et c’est peut-être là que gît le problème, quand la réalité désobéit. L’immense mérite d’Esther Benbassa est d’inverser la logique du débat public. Derrière l’affaire du voile, n’y aurait-il pas surtout notre propre difficulté à penser la nation dans un univers mondialisé ? Et si le problème résidait moins dans les états d’âme de « 1 256 » jeunes filles qui utilisent le foulard comme « marqueur identitaire » que dans la difficulté de la République à voir la réalité du monde ?
L’auteur nous rappelle que les crispations d’aujourd’hui ne sont pas sans précédent. Les juifs ont eu eux aussi à connaître, sous la Révolution notamment, les affres du déni d’identité. « La France se regarderait-elle dans ses minorités issues des deux monothéismes concurrents du christianisme ? », demande Esther Benbassa. Nos minorités seraient-elles finalement le miroir un peu aveuglant de nos interrogations ? Le propos est pertinent parce qu’il échappe à la pensée binaire. Tous les problèmes ne sont pas chez l’« Autre », aujourd’hui musulman, hier juif. Ils sont d’abord dans notre crise d’identité nationale. Mais l’« Autre » n’est pas quitte pour autant. Esther Benbassa interroge cette « communauté invoquée » avec les Palestiniens, ce « nationalisme à longue distance », tout comme le « communautarisme transnational » des juifs qui se sentent liés à Israël. Un communautarisme qui confine parfois au sécessionnisme (« Les juifs n’ont pas besoin de la France », affirmait il y a peu Serge Klarsfeld). Elle interroge ce « communautarisme » dont le « isme » fait frémir, mais se méfie surtout de ce « mot simple pour une réalité complexe ». Tout comme le voile a des « significations multiples », le communautarisme apparaît comme un concept gigogne. N’y a-t-il rien entre le « multiculturalisme » à l’anglo-saxonne et les identités composites que forge et cultive un monde moderne traversé de migrations ? N’y a-t-il pas un mot pour admettre la réalité sans pour autant s’y soumettre ? Esther Benbassa cite Robespierre à propos des juifs : « On leur impute encore des vices [...] mais à qui pouvons-nous les imputer si ce n’est à nos propres injustices ? » Serions-nous devenus plus républicains que Robespierre ? Esther Benbassa nous offre à point nommé le livre qu’il fallait.
La République face à ses minorités, Esther Benbassa, Mille et Une Nuits, 154 p., 10 euros.
jeudi 1er avril 2004
« La République face à ses minorités » : le livre (D'Esther Benbassa) qu’il fallait
Denis Sieffert
L’historienne Esther Benbassa nous propose une réflexion passionnée et passionnante sur la relation que la République entretient avec ses minorités.
Formée dans les écoles congréganistes en Turquie, terre d’Islam, puis « en terre juive d’Israël », historienne incontestée du judaïsme, Esther Benbassa a toujours su « intuitivement que la religion de l’autre mérite quelque déférence ». De l’Orient, il lui reste la compréhension des identités composites, et un sang chaud. Cette « République face à ses minorités » qu’elle nous livre ces jours-ci nous emporte dans son impatience. Nous n’avons de cesse d’en achever la lecture comme elle n’a eu de cesse de l’écrire. Pourtant, ces pages arrachées à l’actualité brûlante de ces derniers mois, à l’affaire du voile, à nos débats sur le communautarisme, sur l’islam et le judaïsme, sur la laïcité et le féminisme, ne cèdent jamais au pamphlet. C’est la réflexion ardente et pétrie d’Histoire d’une « juive de France » qui n’a jamais « nié son appartenance de groupe, mais qui abhorre tout nationalisme », et l’« entre soi étouffant » du communautarisme. À lui seul, le titre de ce petit livre est un défi. Car, comme chacun sait, la République ne connaît pas de « minorités ». Une et indivisible, elle ne saurait distinguer entre ses ouailles citoyennes. C’est, du moins, ce que nous enseigne le dogme. Et c’est peut-être là que gît le problème, quand la réalité désobéit. L’immense mérite d’Esther Benbassa est d’inverser la logique du débat public. Derrière l’affaire du voile, n’y aurait-il pas surtout notre propre difficulté à penser la nation dans un univers mondialisé ? Et si le problème résidait moins dans les états d’âme de « 1 256 » jeunes filles qui utilisent le foulard comme « marqueur identitaire » que dans la difficulté de la République à voir la réalité du monde ?
L’auteur nous rappelle que les crispations d’aujourd’hui ne sont pas sans précédent. Les juifs ont eu eux aussi à connaître, sous la Révolution notamment, les affres du déni d’identité. « La France se regarderait-elle dans ses minorités issues des deux monothéismes concurrents du christianisme ? », demande Esther Benbassa. Nos minorités seraient-elles finalement le miroir un peu aveuglant de nos interrogations ? Le propos est pertinent parce qu’il échappe à la pensée binaire. Tous les problèmes ne sont pas chez l’« Autre », aujourd’hui musulman, hier juif. Ils sont d’abord dans notre crise d’identité nationale. Mais l’« Autre » n’est pas quitte pour autant. Esther Benbassa interroge cette « communauté invoquée » avec les Palestiniens, ce « nationalisme à longue distance », tout comme le « communautarisme transnational » des juifs qui se sentent liés à Israël. Un communautarisme qui confine parfois au sécessionnisme (« Les juifs n’ont pas besoin de la France », affirmait il y a peu Serge Klarsfeld). Elle interroge ce « communautarisme » dont le « isme » fait frémir, mais se méfie surtout de ce « mot simple pour une réalité complexe ». Tout comme le voile a des « significations multiples », le communautarisme apparaît comme un concept gigogne. N’y a-t-il rien entre le « multiculturalisme » à l’anglo-saxonne et les identités composites que forge et cultive un monde moderne traversé de migrations ? N’y a-t-il pas un mot pour admettre la réalité sans pour autant s’y soumettre ? Esther Benbassa cite Robespierre à propos des juifs : « On leur impute encore des vices [...] mais à qui pouvons-nous les imputer si ce n’est à nos propres injustices ? » Serions-nous devenus plus républicains que Robespierre ? Esther Benbassa nous offre à point nommé le livre qu’il fallait.
La République face à ses minorités, Esther Benbassa, Mille et Une Nuits, 154 p., 10 euros.
jeudi 1er avril 2004