Comme si la tension était trop forte, partisans du régime et opposants aux Frères musulmans n'ont pas pu attendre dimanche 30 juin, date à laquelle est prévu un rassemblement géant contre Mohamed Morsi, pour entamer les hostilités.
Vendredi, des dizaines de manifestations spontanées pro et anti-Morsi ont éclaté dans différents gouvernorats du pays, se soldant par 3 morts dont un citoyen américain et des centaines de blessés. Partout dans le pays, les locaux du Parti de la liberté et de la justice, la vitrine politique des Frères musulmans, ont été attaqués par les manifestants, notamment à Alexandrie. Bien que les deux camps multiplient les appels au calme, le tour violent pris par les événements augure mal de l'issue des manifestations de dimanche.
Si elle reflète le mécontentement populaire face au marasme économique, la mobilisation anti-Morsi est d'abord le fait d'une poignée de révolutionnaires de gauche qui, lassés par l'incapacité de l'opposition à s'organiser, se sont lancés à la fin du mois d'avril dans une entreprise improbable.
Baptisée Tamarrud ("Rébellion"), l'idée est aussi simple qu'audacieuse. Il s'agit de réunir 15 millions de signatures en faveur de la destitution de Mohamed Morsi et d'envoyer le dossier à la Haute Cour constitutionnelle afin de prouver que ses opposants sont plus nombreux que ses partisans. Au premier tour de l'élection présidentielle, en mai 2012, le candidat des Frères avait remporté 13,5 millions de suffrages.
LE SUCCÈS SYMBOLIQUE DE L'OPÉRATION EST INDÉNIABLE
Sans le moindre budget mais avec l'appui de "dizaines de milliers de militants", ces mutins ont créé des comités dans toutes les provinces du pays, qui organisent la collecte des signatures. Sur un papier d'une demi-feuille A4, les signataires sont invités à indiquer leur nom, leur numéro de carte d'identité et leur lieu de résidence. Toutes les pétitions sont envoyées au Caire, où un "comité central" d'une vingtaine de membres comptabilise les signatures après avoir vérifié leur validité.
Galvanisés par la dégradation de leur quotidien, les Egyptiens se sont précipités sur les pétitions. En deux mois, les "rebelles" assurent avoir réuni plus de 21 millions de signatures. Si ce chiffre est invérifiable, le succès symbolique de l'opération est indéniable, à tel point que dans son allocution fleuve de mercredi, le président a ordonné à ses ministres de recruter de jeunes conseillers. "Depuis le discours de Morsi, on a 90 % des Egyptiens derrière nous", s'enflamment les rebelles de Tamarrud.
Au 174 de la rue Bab El Louq, à deux pas de la place Tahrir au Caire, être un "rebelle" n'est pourtant pas une partie de plaisir. Les pannes d'électricité bloquent l'ascenseur de manière récurrente. Il faut alors transporter jusqu'au cinquième étage, dans une chaleur suffocante, les montagnes de pétitions qui arrivent de tout le pays. Quatre jeunes filles sont affalées dans l'entrée de ce petit appartement qui sert de QG à la campagne, suant à grosse goutte sous leurs hijabs. D'un geste de la main, elles balaient la critique souvent adressée aux "rebelles" de mépriser les électeurs des Frères musulmans. " La plupart d'entre nous ici avons voté pour Morsi au second tour de l'élection présidentielle, voire au premier", dit l'une d'elles.
UN DISCOURS PLUS PURISTE QUE JAMAIS
Religieux, croyants, athées, les jeunes qui se bousculent entre les piles de cartons n'ont pas peur, en appelant à la destitution du président, de créer un précédent, susceptible de menacer tout pouvoir dans le futur, quel que soit son bord politique. Exaltés par le succès de leur entreprise, les révolutionnaires tiennent un discours plus puriste que jamais : "Nous nous assurerons que nul ne prenne la tête du pays si ce n'est pour se conformer à nos demandes", déclarent-ils dans un tract qui revendique "des salaires justes, de l'emploi, une redistribution des richesses, la garantie des libertés fondamentales, la dignité et le patriotisme".
Chérif Abdelmoneim, dit "le salafi", a été emprisonné et torturé à trois reprises depuis la révolution. "On a cru sincèrement que ça pourrait marcher, que les Frères allaient construire quelque chose, soupire le jeune homme, mais c'est l'inverse, ils détruisent. On vit dans un pays où la santé, l'éducation, l'économie, tout est détruit. Les gens ont faim, ils n'ont pas de vie, on ne peut pas se permettre d'attendre. Les Frères n'ont gagné les législatives qu'en jouant sur la religion et en distribuant des subsides."
La feuille de route qu'ils imaginent dans l'hypothèse d'un après-Morsi est pour le moins impressionniste. Elle consiste à remplacer le gouvernement par un cabinet de technocrates, désigné par consensus entre tous les partis, qui serait chargé de rédiger une nouvelle Constitution et d'organiser des élections.
DES MANIFESTANTS ANTI-MORSI EN APPELLENT À L'ARMÉE
Un scénario improbable et brouillon au vu des divergences qui minent les partis de gauche, mais qui n'entame pas les convictions des "rebelles" : "Est-ce que la Révolution française a été conditionnée à l'existence d'un système politique alternatif ?", questionne l'économiste Wael Gamal, chroniqueur au journal indépendant Al-Chorouk. "Les premières élections après la Révolution russe ont été remportées par des "réformistes" avant que n'advienne une autre révolution."
Par-delà l'idéalisme des révolutionnaires, la tension est palpable sur la place Tahrir, où des milliers de manifestants anti-Morsi en appellent déjà à l'armée. Les "rebelles" seraient-ils déjà dépassés par leur propre succès ou piégés par les ambiguïtés de leur mouvement, facilement récupérable par les partisans de l'ancien régime ? Leurs professions de foi pacifiques, accompagnées désormais de conseils pour fabriquer un gilet pare-balles à base de canettes de Pepsi, risque de ne pas suffire à limiter les dégâts. L'armée égyptienne a déployé des chars dans les rues du Caire mercredi, prête à intervenir si le pays bascule dans le chaos.
Source: LE MONDE
Vendredi, des dizaines de manifestations spontanées pro et anti-Morsi ont éclaté dans différents gouvernorats du pays, se soldant par 3 morts dont un citoyen américain et des centaines de blessés. Partout dans le pays, les locaux du Parti de la liberté et de la justice, la vitrine politique des Frères musulmans, ont été attaqués par les manifestants, notamment à Alexandrie. Bien que les deux camps multiplient les appels au calme, le tour violent pris par les événements augure mal de l'issue des manifestations de dimanche.
Si elle reflète le mécontentement populaire face au marasme économique, la mobilisation anti-Morsi est d'abord le fait d'une poignée de révolutionnaires de gauche qui, lassés par l'incapacité de l'opposition à s'organiser, se sont lancés à la fin du mois d'avril dans une entreprise improbable.
Baptisée Tamarrud ("Rébellion"), l'idée est aussi simple qu'audacieuse. Il s'agit de réunir 15 millions de signatures en faveur de la destitution de Mohamed Morsi et d'envoyer le dossier à la Haute Cour constitutionnelle afin de prouver que ses opposants sont plus nombreux que ses partisans. Au premier tour de l'élection présidentielle, en mai 2012, le candidat des Frères avait remporté 13,5 millions de suffrages.
LE SUCCÈS SYMBOLIQUE DE L'OPÉRATION EST INDÉNIABLE
Sans le moindre budget mais avec l'appui de "dizaines de milliers de militants", ces mutins ont créé des comités dans toutes les provinces du pays, qui organisent la collecte des signatures. Sur un papier d'une demi-feuille A4, les signataires sont invités à indiquer leur nom, leur numéro de carte d'identité et leur lieu de résidence. Toutes les pétitions sont envoyées au Caire, où un "comité central" d'une vingtaine de membres comptabilise les signatures après avoir vérifié leur validité.
Galvanisés par la dégradation de leur quotidien, les Egyptiens se sont précipités sur les pétitions. En deux mois, les "rebelles" assurent avoir réuni plus de 21 millions de signatures. Si ce chiffre est invérifiable, le succès symbolique de l'opération est indéniable, à tel point que dans son allocution fleuve de mercredi, le président a ordonné à ses ministres de recruter de jeunes conseillers. "Depuis le discours de Morsi, on a 90 % des Egyptiens derrière nous", s'enflamment les rebelles de Tamarrud.
Au 174 de la rue Bab El Louq, à deux pas de la place Tahrir au Caire, être un "rebelle" n'est pourtant pas une partie de plaisir. Les pannes d'électricité bloquent l'ascenseur de manière récurrente. Il faut alors transporter jusqu'au cinquième étage, dans une chaleur suffocante, les montagnes de pétitions qui arrivent de tout le pays. Quatre jeunes filles sont affalées dans l'entrée de ce petit appartement qui sert de QG à la campagne, suant à grosse goutte sous leurs hijabs. D'un geste de la main, elles balaient la critique souvent adressée aux "rebelles" de mépriser les électeurs des Frères musulmans. " La plupart d'entre nous ici avons voté pour Morsi au second tour de l'élection présidentielle, voire au premier", dit l'une d'elles.
UN DISCOURS PLUS PURISTE QUE JAMAIS
Religieux, croyants, athées, les jeunes qui se bousculent entre les piles de cartons n'ont pas peur, en appelant à la destitution du président, de créer un précédent, susceptible de menacer tout pouvoir dans le futur, quel que soit son bord politique. Exaltés par le succès de leur entreprise, les révolutionnaires tiennent un discours plus puriste que jamais : "Nous nous assurerons que nul ne prenne la tête du pays si ce n'est pour se conformer à nos demandes", déclarent-ils dans un tract qui revendique "des salaires justes, de l'emploi, une redistribution des richesses, la garantie des libertés fondamentales, la dignité et le patriotisme".
Chérif Abdelmoneim, dit "le salafi", a été emprisonné et torturé à trois reprises depuis la révolution. "On a cru sincèrement que ça pourrait marcher, que les Frères allaient construire quelque chose, soupire le jeune homme, mais c'est l'inverse, ils détruisent. On vit dans un pays où la santé, l'éducation, l'économie, tout est détruit. Les gens ont faim, ils n'ont pas de vie, on ne peut pas se permettre d'attendre. Les Frères n'ont gagné les législatives qu'en jouant sur la religion et en distribuant des subsides."
La feuille de route qu'ils imaginent dans l'hypothèse d'un après-Morsi est pour le moins impressionniste. Elle consiste à remplacer le gouvernement par un cabinet de technocrates, désigné par consensus entre tous les partis, qui serait chargé de rédiger une nouvelle Constitution et d'organiser des élections.
DES MANIFESTANTS ANTI-MORSI EN APPELLENT À L'ARMÉE
Un scénario improbable et brouillon au vu des divergences qui minent les partis de gauche, mais qui n'entame pas les convictions des "rebelles" : "Est-ce que la Révolution française a été conditionnée à l'existence d'un système politique alternatif ?", questionne l'économiste Wael Gamal, chroniqueur au journal indépendant Al-Chorouk. "Les premières élections après la Révolution russe ont été remportées par des "réformistes" avant que n'advienne une autre révolution."
Par-delà l'idéalisme des révolutionnaires, la tension est palpable sur la place Tahrir, où des milliers de manifestants anti-Morsi en appellent déjà à l'armée. Les "rebelles" seraient-ils déjà dépassés par leur propre succès ou piégés par les ambiguïtés de leur mouvement, facilement récupérable par les partisans de l'ancien régime ? Leurs professions de foi pacifiques, accompagnées désormais de conseils pour fabriquer un gilet pare-balles à base de canettes de Pepsi, risque de ne pas suffire à limiter les dégâts. L'armée égyptienne a déployé des chars dans les rues du Caire mercredi, prête à intervenir si le pays bascule dans le chaos.
Source: LE MONDE
Commentaire