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William Sportisse, dirigeant du PADS (Parti algérien pour la démocratie et le socialisme), héritier du Parti communiste algérien interviewé par Jean-Paul Piérot pour l'Humanité repris par solidarite internationale pcf
Votre enfance se déroule dans une famille juive de Constantine. Vous décrivez les liens entre les milieux populaires juifs et musulmans dans cette Algérie coloniale. Les antagonismes de classes sont-ils plus forts que les différences religieuses ?
William Sportisse. Dans certaines entreprises de Constantine, notamment dans l’ébénisterie, il y avait une majorité d’ouvriers juifs. J’ai connu ces ouvriers dans la période de la montée du fascisme. Ils se sentaient proches des ouvriers arabes. Tout ce contexte, marqué par un racisme particulièrement fort dans le Constantinois, m’a entraîné dans les luttes contre le fascisme et contre le système colonial. La grosse colonisation terrienne a toujours voulu exercer sur la minorité européenne une influence idéologique et politique pour la séparer des Algériens exploités et opprimés par le colonialisme. Son objectif était aussi de neutraliser la population juive, faute de pouvoir la ramener de son côté. Au sein des minorités juive et européenne, il y avait une opposition entre ceux qui avaient intérêt à se mettre du côté de la colonisation et ceux qui n’avaient aucun intérêt à la défendre et qui comprenaient de mieux en mieux qu’il leur fallait s’unir aux travailleurs algériens. La majorité des juifs de Constantine étaient d’origine autochtone judéo-berbère ou étaient les descendants de ceux qui avaient quitté l’Espagne pendant l’Inquisition. Peu nombreux étaient les juifs venus de France.
Quels sont les éléments déclencheurs de votre engagement communiste qui va déterminer toute votre vie ?
William Sportisse. Pour nous, le problème ne se posait pas en termes de judaïté ou non, mais en termes de classe. Nous étions communistes et la chose essentielle qui se posait, c’était d’en finir avec le système colonial et de lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme. Mon grand frère Lucien a été l’élément moteur de notre prise de conscience. Il était instituteur et il a mené des luttes qui lui ont valu la répression coloniale. Après avoir été révoqué de l’enseignement en 1934, il fut rétabli dans sa profession par le Front populaire, mais muté en France. Engagé dans la Résistance, il sera assassiné par la Gestapo à Lyon, en 1944.
Comment se forge le mouvement qui va conduire à la guerre de libération à partir du 1er novembre 1954 ?
William Sportisse. Sous des formes diverses, le mouvement d’émancipation en réalité n’a jamais cessé. Au début de la colonisation, après l’échec des révoltes armées, le peuple a cherché d’autres moyens de lutte. Le mouvement de libération moderne a commencé après la révolution soviétique d’Octobre 1917 et la naissance des premières organisations révolutionnaires, notamment l’Étoile nord-africaine. Puis ont été créées les premières organisations communistes affiliées au PCF. Jusqu’en 1936, il n’était en effet pas possible de créer un parti communiste algérien, car les Algériens n’avaient pas le droit de s’organiser en raison du Code de l’indigénat et du décret Régnier.
L’indépendance des colonies avait été posée dès 1920 comme principe par l’Internationale communiste, dont l’une des conditions d’adhésion pour tout parti communiste était la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
L’objectif de l’indépendance a pourtant été relégué au second plan pendant toute une période, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale… William Sportisse. Avec la montée du fascisme, les communistes ont édulcoré leur mot d’ordre. Ils parlaient de liberté, condamnaient le système colonial, mais la revendication de l’indépendance avait disparu du discours. À l’époque, la grosse colonisation terrienne était prête à se séparer de la France et à créer un État ségrégationniste, comme l’Afrique du Sud, et même à s’allier avec Hitler et Mussolini. En conséquence, devant cette perspective, le PCA a édulcoré le mot d’ordre d’indépendance. Mais ce n’était pas juste. Il aurait dû le maintenir tout en se différenciant des séparatistes colonialistes et lier l’indépendance à la lutte contre le fascisme. De son côté, le mouvement nationaliste algérien a sous-estimé l’importance de la lutte contre le fascisme. En 1946, le PCA fera son autocritique sur toute cette période.
Dès les premières années d’après-1945, la possibilité de devoir mener une lutte armée prend corps dans le peuple algérien. Comment cela se manifeste-t-il ?
William Sportisse. Après 1945, je deviens responsable de la Jeunesse communiste dans le Constantinois, puis dirigeant, dès sa création, de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne. Au sein de l’organisation, on trouvait surtout des jeunes d’origine juive et musulmane, et peu d’Européens, contrairement à Alger et à Oran, où les jeunes d’origine européenne étaient plus nombreux. Le 1er Mai 1945, il y a eu une manifestation à Alger, puis il y eut le 8 mai et le massacre de Sétif.
La grosse colonisation, avec l’aide de l’administration coloniale, a voulu écraser le mouvement de libération nationale. Mais, à partir de là, le mouvement a pris de l’extension. Les communistes s’y sont intégrés. Quand eurent lieu les premières arrestations dans les milieux nationalistes, les communistes ont créé les comités d’amnistie. Le mouvement pour l’amnistie, qui fut très fort en Algérie et fut soutenu en France par tout le mouvement démocratique, a permis la libération de centaines de militants nationalistes. Les luttes de libération nationale qui se développaient dans le monde, et notamment au Vietnam, ont encouragé le mouvement en Algérie. Les dockers qui refusaient de charger le matériel en partance pour l’Indochine témoignent de cette solidarité.
Les Algériens n’auraient-ils pas préféré faire l’économie d’une guerre ?
William Sportisse. Les Algériens ont recherché pendant longtemps une issue pacifique. Mais les gouvernements français se sont pliés aux volontés de la grosse colonisation et ont toujours refusé de discuter. Dès lors, le recours à la lutte armée s’est imposé. Je me souviens être allé dans le sud du Constantinois, chez des paysans, des planteurs de tabac. Dans un discours en langue arabe, j’avais dit qu’il faut utiliser toutes les formes de luttes, y compris « les formes supérieures de lutte », ce que les militants avaient interprété fort justement comme une référence à la lutte armée, pour laquelle, disaient-ils, ils étaient prêts.
J’étais allé dans les Aurès rencontrer les jeunes communistes. Ils m’ont accueilli en rang, chantant des chants patriotiques. Les paysans des Aurès venaient aux meetings armés pour se défendre d’éventuelles provocations de l’administration coloniale. Tout cela se passait dans les années de l’immédiat après-guerre. Dès cette période, il apparaissait que l’administration coloniale et les gouvernements n’étaient pas prêts à céder. Ils ont négocié au Maroc et en Tunisie, mais en Algérie, ils ont fait sept années de guerre.
Quel poids pesait le Parti communiste algérien au moment où débute la guerre d’Algérie ?
William Sportisse. Le PCA, créé en 1936, arrivait en tête aux élections dans certaines villes. Il y a eu des grèves ouvrières et les communistes ont apporté une grande contribution à ces luttes. Beaucoup de militants ouvriers nationalistes ont adhéré au PCA. Le PCA travaillait parmi les ouvriers les plus exploités : les mineurs, les dockers, les liégeurs. En même temps, il travaillait chez les paysans pauvres et les ouvriers agricoles.
Les contradictions entre les communistes et d’autres composantes du mouvement de libération étaient réelles. Ne les avez-vous pas vécues ?
William Sportisse, dirigeant du PADS (Parti algérien pour la démocratie et le socialisme), héritier du Parti communiste algérien interviewé par Jean-Paul Piérot pour l'Humanité repris par solidarite internationale pcf
Votre enfance se déroule dans une famille juive de Constantine. Vous décrivez les liens entre les milieux populaires juifs et musulmans dans cette Algérie coloniale. Les antagonismes de classes sont-ils plus forts que les différences religieuses ?
William Sportisse. Dans certaines entreprises de Constantine, notamment dans l’ébénisterie, il y avait une majorité d’ouvriers juifs. J’ai connu ces ouvriers dans la période de la montée du fascisme. Ils se sentaient proches des ouvriers arabes. Tout ce contexte, marqué par un racisme particulièrement fort dans le Constantinois, m’a entraîné dans les luttes contre le fascisme et contre le système colonial. La grosse colonisation terrienne a toujours voulu exercer sur la minorité européenne une influence idéologique et politique pour la séparer des Algériens exploités et opprimés par le colonialisme. Son objectif était aussi de neutraliser la population juive, faute de pouvoir la ramener de son côté. Au sein des minorités juive et européenne, il y avait une opposition entre ceux qui avaient intérêt à se mettre du côté de la colonisation et ceux qui n’avaient aucun intérêt à la défendre et qui comprenaient de mieux en mieux qu’il leur fallait s’unir aux travailleurs algériens. La majorité des juifs de Constantine étaient d’origine autochtone judéo-berbère ou étaient les descendants de ceux qui avaient quitté l’Espagne pendant l’Inquisition. Peu nombreux étaient les juifs venus de France.
Quels sont les éléments déclencheurs de votre engagement communiste qui va déterminer toute votre vie ?
William Sportisse. Pour nous, le problème ne se posait pas en termes de judaïté ou non, mais en termes de classe. Nous étions communistes et la chose essentielle qui se posait, c’était d’en finir avec le système colonial et de lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme. Mon grand frère Lucien a été l’élément moteur de notre prise de conscience. Il était instituteur et il a mené des luttes qui lui ont valu la répression coloniale. Après avoir été révoqué de l’enseignement en 1934, il fut rétabli dans sa profession par le Front populaire, mais muté en France. Engagé dans la Résistance, il sera assassiné par la Gestapo à Lyon, en 1944.
Comment se forge le mouvement qui va conduire à la guerre de libération à partir du 1er novembre 1954 ?
William Sportisse. Sous des formes diverses, le mouvement d’émancipation en réalité n’a jamais cessé. Au début de la colonisation, après l’échec des révoltes armées, le peuple a cherché d’autres moyens de lutte. Le mouvement de libération moderne a commencé après la révolution soviétique d’Octobre 1917 et la naissance des premières organisations révolutionnaires, notamment l’Étoile nord-africaine. Puis ont été créées les premières organisations communistes affiliées au PCF. Jusqu’en 1936, il n’était en effet pas possible de créer un parti communiste algérien, car les Algériens n’avaient pas le droit de s’organiser en raison du Code de l’indigénat et du décret Régnier.
L’indépendance des colonies avait été posée dès 1920 comme principe par l’Internationale communiste, dont l’une des conditions d’adhésion pour tout parti communiste était la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
L’objectif de l’indépendance a pourtant été relégué au second plan pendant toute une période, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale… William Sportisse. Avec la montée du fascisme, les communistes ont édulcoré leur mot d’ordre. Ils parlaient de liberté, condamnaient le système colonial, mais la revendication de l’indépendance avait disparu du discours. À l’époque, la grosse colonisation terrienne était prête à se séparer de la France et à créer un État ségrégationniste, comme l’Afrique du Sud, et même à s’allier avec Hitler et Mussolini. En conséquence, devant cette perspective, le PCA a édulcoré le mot d’ordre d’indépendance. Mais ce n’était pas juste. Il aurait dû le maintenir tout en se différenciant des séparatistes colonialistes et lier l’indépendance à la lutte contre le fascisme. De son côté, le mouvement nationaliste algérien a sous-estimé l’importance de la lutte contre le fascisme. En 1946, le PCA fera son autocritique sur toute cette période.
Dès les premières années d’après-1945, la possibilité de devoir mener une lutte armée prend corps dans le peuple algérien. Comment cela se manifeste-t-il ?
William Sportisse. Après 1945, je deviens responsable de la Jeunesse communiste dans le Constantinois, puis dirigeant, dès sa création, de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne. Au sein de l’organisation, on trouvait surtout des jeunes d’origine juive et musulmane, et peu d’Européens, contrairement à Alger et à Oran, où les jeunes d’origine européenne étaient plus nombreux. Le 1er Mai 1945, il y a eu une manifestation à Alger, puis il y eut le 8 mai et le massacre de Sétif.
La grosse colonisation, avec l’aide de l’administration coloniale, a voulu écraser le mouvement de libération nationale. Mais, à partir de là, le mouvement a pris de l’extension. Les communistes s’y sont intégrés. Quand eurent lieu les premières arrestations dans les milieux nationalistes, les communistes ont créé les comités d’amnistie. Le mouvement pour l’amnistie, qui fut très fort en Algérie et fut soutenu en France par tout le mouvement démocratique, a permis la libération de centaines de militants nationalistes. Les luttes de libération nationale qui se développaient dans le monde, et notamment au Vietnam, ont encouragé le mouvement en Algérie. Les dockers qui refusaient de charger le matériel en partance pour l’Indochine témoignent de cette solidarité.
Les Algériens n’auraient-ils pas préféré faire l’économie d’une guerre ?
William Sportisse. Les Algériens ont recherché pendant longtemps une issue pacifique. Mais les gouvernements français se sont pliés aux volontés de la grosse colonisation et ont toujours refusé de discuter. Dès lors, le recours à la lutte armée s’est imposé. Je me souviens être allé dans le sud du Constantinois, chez des paysans, des planteurs de tabac. Dans un discours en langue arabe, j’avais dit qu’il faut utiliser toutes les formes de luttes, y compris « les formes supérieures de lutte », ce que les militants avaient interprété fort justement comme une référence à la lutte armée, pour laquelle, disaient-ils, ils étaient prêts.
J’étais allé dans les Aurès rencontrer les jeunes communistes. Ils m’ont accueilli en rang, chantant des chants patriotiques. Les paysans des Aurès venaient aux meetings armés pour se défendre d’éventuelles provocations de l’administration coloniale. Tout cela se passait dans les années de l’immédiat après-guerre. Dès cette période, il apparaissait que l’administration coloniale et les gouvernements n’étaient pas prêts à céder. Ils ont négocié au Maroc et en Tunisie, mais en Algérie, ils ont fait sept années de guerre.
Quel poids pesait le Parti communiste algérien au moment où débute la guerre d’Algérie ?
William Sportisse. Le PCA, créé en 1936, arrivait en tête aux élections dans certaines villes. Il y a eu des grèves ouvrières et les communistes ont apporté une grande contribution à ces luttes. Beaucoup de militants ouvriers nationalistes ont adhéré au PCA. Le PCA travaillait parmi les ouvriers les plus exploités : les mineurs, les dockers, les liégeurs. En même temps, il travaillait chez les paysans pauvres et les ouvriers agricoles.
Les contradictions entre les communistes et d’autres composantes du mouvement de libération étaient réelles. Ne les avez-vous pas vécues ?
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