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Le Ksar de Tafilelt Tajdite (Beni Isguen) : Le respect de la nature, de l’architecture et des traditions

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  • Le Ksar de Tafilelt Tajdite (Beni Isguen) : Le respect de la nature, de l’architecture et des traditions

    Le respect de la nature, de l’architecture et des traditions

    C’est un homme aussi affable que courtois, habillé de la traditionnelle tenue des Beni M’zab, qui débarque de sa petite voiture pour venir à notre rencontre.


    Ghardaïa.
    De notre envoyé spécial


    Quand on croise le docteur Ahmed Nouh, pharmacien de son état, à Beni Isguen, on le prendrait aisément pour l’un de ces innombrables petits commerçants qui peuplent la vallée du M’zab. Erreur. Cet homme est un promoteur immobilier d’un nouveau genre, à l’origine d’un ksar flambant neuf surgit au milieu du désert. Un Beni Isguen bis baptisé Tafilelt Tajdite (la nouvelle Tafilelt) qui se dresse fièrement sur une colline de roche calcinée. «Vous voyez cette oasis de verdure qui s’étale sous nos yeux ?», interroge Ahmed Nouh. «Si nous n’avions pas réalisé cet ensemble, toute cette vallée aurait été bétonnée par les nouvelles constructions.»

    Même les oiseaux sont venus habiter ici

    Ce n’est pas le seul avantage de ce nouveau ksar de plus de 1050 maisons bâties sur près de 25 ha. Le coût de revient global du logement est d’un tiers plus bas que la moyenne nationale. Cerise sur le gâteau, pas un denier de l’Etat n’a été versé dans ce projet qui a fait appel à la contribution des institutions sociales traditionnelles mozabites. Selon les termes mêmes de son concepteur, ksar Tafilelt Tajdite se veut une «expérience humaine très particulière par ses approches sociales urbanistiques et écologiques». Le défi que s’est lancé cet homme est le suivant : comment construire social, local, pas cher, écologique et authentique en plein désert ? Le résultat, sur le terrain, est sans conteste l’un des plus beaux projets immobiliers d’Algérie. L’un des plus originaux aussi.
    La première chose qui frappe le visiteur qui rentre par le grand portail en bois de Tafilelt Tajdite (encore une originalité) est la propreté des lieux. Pas un mégot, pas un papier, pas une bouteille en plastique ne jonchent les rues pavées du ksar qui respire le calme et la tranquillité. Le silence n’est troublé que par le chant des oiseaux. «Vous voyez ces meurtrières dans les murs ?», demande encore Ahmed Nouh. «En réalité, ce n’est pas seulement par souci esthétique ou par respect de l’architecture locale. Elles servent de nids aux oiseaux. Quatre espèces d’oiseaux qui étaient en voie d’extinction dans la vallée du M’zab ont déjà colonisé ces niches», dit-il. Quant à la propreté des quartiers, en plus du civisme bien connu des Mozabites, elle est assurée par les familles à tour de rôle. «L’architecture est de style ksourien : des ruelles étroites qui s’entrecoupent pour casser les vents dominants et les vents de sable. Mais ce n’est pas aussi étroit que jadis : il faut que la voiture puisse rentrer», explique Ahmed Nouh.

    Il faut 80 ans de travail pour acheter un logement

    L’idée de construire un ksar sur le modèle des ancêtres a été lancée en mars 1997. «Il n’y avait rien ici. C’était un dépotoir», affirme Ahmed Nouh. Il fallait trouver des solutions rationnelles au problème de logement des jeunes couples. Notre pharmacien a démarré du constat simple qu’il était et qu’il demeure toujours impossible pour un jeune couple qui travaille d’acheter un terrain et de construire. «Il faut économiser pendant 80 ans à un couple moyen, sans se nourrir ni se soigner pour pouvoir acheter un F4 à Alger. Ce blocage nous donne des émeutes. Il fallait une solution rationnelle. Notamment ici, au Sahara», assure-t-il. Il fallait donc permettre aux jeunes couples d’accéder au logement en toute dignité, sachant bien qu’un ksar en milieu saharien d’une capacité de 15 000 habitants a atteint ses limites. Il ne doit plus s’agrandir. «Il fallait sortir des terrains à plusieurs millions de centimes le mètre carré», annonce Ahmed Nouh. Amidoul, la coopérative que notre promoteur a lancée pour concrétiser ce projet, a acheté un terrain auprès des Domaines, «presque au dinar symbolique». Une formule en autofinancement, loin des prêts bancaires sans intérêt a été trouvée.
    Certaines fortunes de bonne volonté ont alors apporté un capital d’origine à titre de prêt sans intérêt. Lorsque le couple était accepté par la commission sociale de la coopérative, il était tenu de verser un capital initial de 150 000 DA. Après, chaque fois qu’il avait un peu d’argent de côté, il venait le mettre dans le compte de la coopérative Amidoul. Les logements étaient distribués au fur et à mesure qu’ils étaient terminés. Au tirage au sort public et en toute transparence. «Nous n’avons jamais eu le moindre problème à la distribution des logements», sourit Ahmed Nouh en évoquant les innombrables émeutes qui éclatent à toute distribution de logements.

    Un ksar, ni un ghetto ni une cité de riches

    «Un ksar ce n’est pas une cité ghetto comme Bachedjarrah ni une cité pour les riches comme Hydra. Il faut qu’il y ait un mixage des classes sociales», souligne Ahmed Nouh. Et pour atteindre cet objectif, notre pharmacien et son équipe ont planché sur quatre types de maisons qui peuvent convenir à diverses catégories sociales. Un peu plus de 70% des maisons sont donc de type moyen, car le projet cible surtout la classe moyenne nationale. Près de 18% sont de type petites pouvant convenir, par exemple, à une veuve avec enfants. Le reste est constitué de grandes maisons pour professions libérales aisées ou cadres supérieurs. Toutes les maisons sont de type saharien avec rez-de-chaussée, étage et terrasse.

    Il faut préparer l’après-pétrole

    Ce brassage social est bien étudié de façon à garder une certaine harmonie et une cohésion sociale. «La femme du médecin aura peut-être besoin de la veuve qui est sa voisine pour de menus travaux ou pour garder ses enfants», explique Ahmed Nouh qui se fait un point d’honneur à mettre en pratique les valeurs ancestrales d’entraide et de solidarité. «Nous avons une commission sociale qui veille au respect des traditions. Il faut que l’acquéreur n’ait pas de maison au préalable en toute propriété. S’il en a une, on ne lui donne pas ici. Il faut qu’il soit marié et qu’il n’ait pas déjà bénéficié de l’aide de l’Etat», dénonce encore Ahmed Nouh. Pour qu’il n’y ait pas de malentendus et que tout un chacun puisse savoir sur quoi il s’engage, il y a un cahier des charges strictement défini et notarié que tout propriétaire se doit de respecter à la lettre. Le reste est affaire d’organisation et de bon sens. L’acquéreur paie par tranches. Depuis janvier dernier, on est passé à la phase de la réalisation du ksar. Il s’agit de mettre en place une ceinture de verdure tout autour de la cité. «Nous sommes en train de ramener de la terre végétale tout en désensablant le barrage de Beni Isguen», affirme Ahmed Nouh décidément bien rationnel. Il faudra ensuite mettre en place des micro-unités de traitement des eaux usées.
    L’eau est précieuse et retraitée, elle peut servir à l’agriculture ou à l’arrosage des jardins. On passera ensuite au tri sélectif des déchets afin de lancer un centre de compostage pour produire du terreau et du compost pour les jardins. En plus d’un zoo recréant la faune saharienne, les familles habitant Tafilelt Tajdite auront la possibilité de détenir des actions au sein de la société qui gère les chèvres, les lapins, les poules et les moutons qu’elles peuvent nourrir elles-mêmes avec les restes de la cuisine ou l’herbe du jardin. Ainsi ces habitants pourraient avoir à leur disposition des œufs frais, du lait, du miel ou de la viande.
    «Rien ne se perd. Nous nous sommes déjà projetés dans l’après-pétrole», dit Ahmed Nouh. La preuve est que notre homme travaille déjà sur le prototype d’une maison solaire entièrement autonome en matière d’énergie. Sur le toit d’une terrasse, il nous fait visiter les installations de panneaux solaires que des ouvriers sont en train de monter. Pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que de développement durable. Il s’agit de bâtir la cité modèle du XXIe siècle basée sur le respect de la nature et des traditions. «Nous n’avons pas détruit un seul palmier. Nos ancêtres ont toujours construit sur des terrains incultes pour laisser les terres riches à l’agriculture. Il faut préparer l’après-pétrole. Nous avons perdu la notion du travail. Si nos ancêtres revenaient à la vie, ils nous qualifieraient de génération criminelle», affirme-t-il en ajoutant que la rationalité est un atout essentiel dans un milieu aussi hostile que le désert. «Le Mozabite n’est pas avare, il est rationnel. Là où il doit mettre 1,50 DA, il ne met pas 2 DA», souligne avec malice notre pharmacien.
    Tous les nationaux et tous les étrangers qui ont visité Tafilelt Tajdite sont repartis ébahis par l’originalité du projet. Le grand avantage du nouveau ksar est qu’il peut très bien servir de modèle à travers toutes les régions d’Algérie, du nord au sud, en s’adaptant simplement au cachet local. Construire un village kabyle, une mechta chaouie ou un ksar sahraoui modernes, mais respectueux des valeurs ancestrales est une idée qui vaut la peine d’être creusée. «Les spécificités algériennes sont une richesse à préserver. C’est comme un bouquet de fleurs. Si vous n’avez que des fleurs de la même espèce et de la même couleur, ce serait monotone», dit encore notre pharmacien philosophe. En définitive, ce ne serait pas seulement un projet immobilier, mais un véritable projet de société à même de réconcilier l’Algérien avec une partie de son identité mutilée.
    Dans le même temps, on en finirait avec ces affreuses cités ghetto, sans personnalité et sans humanité, où l’on s’acharne à parquer les Algériens depuis l’indépendance.

    Djamel Alilat EL WATAN
    dz(0000/1111)dz
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