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Egypte : "Ils tiraient, ils avançaient, ils tiraient, ils avançaient"

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  • Egypte : "Ils tiraient, ils avançaient, ils tiraient, ils avançaient"

    Le Caire (Egypte), envoyé spécial. L'ambulancier fume une cigarette, adossé à la cahute d'un vendeur de boissons fraîches, à la sortie de l'hôpital de Madinat Nasr, un quartier de l'est du Caire. "L'armée et la police ont tiré sur le peuple sans raison, c'est aussi simple que ça", raconte-t-il sous couvert d'anonymat, à propos de l'attaque par les forces de sécurité égyptiennes, lundi 8 juillet, d'un sit-in islamiste, au cours de laquelle un soldat et une cinquantaine de manifestants ont été tués, selon un bilan encore provisoire.

    "Même les blessés se faisaient matraquer. Le moindre manifestant qui osait dire 'Morsi est mon président', prenait une raclée." Il jette son mégot, et avant de rejoindre son ambulance, lâche, le visage décomposé : "Je vis dans ce pays et j'ai peur pour lui." Au deuxième étage de l'hôpital, Abdel Hafez Saber, un ingénieur agronome de 38 ans, est allongé dans un lit poissé de sang. Il a été touché par balle en trois endroits – les deux cuisses et le bras – avant d'être frappé à la tête, désormais enveloppé d'un gros bandage.

    "L'armée présente ses "condoléances", mais ne tolérera aucune 'menace'"


    Comme des milliers d'autres militants et sympathisants des Frères musulmans, il manifestait devant le club des officiers de la garde républicaine, un bâtiment de Madinat Nasr, où la rumeur veut que Mohamed Morsi, le président islamiste déposé mercredi par l'armée, soit séquestré. Vendredi, un premier accrochage avec le cordon de soldats déployés devant le club avait fait trois morts dans les rangs des pro-Morsi. Mais la foule, bien décidée à maintenir la pression sur l'armée, n'avait pas reculé d'un mètre. Lundi, selon Abdel Hafez Saber, qui est originaire d'Alexandrie, les militaires sont revenus à la charge avec la ferme intention de "nettoyer" le site. Vers 3 h 45 du matin, alors que les manifestants étaient occupés à prier, les forces de sécurité ont attaqué depuis "trois directions à la fois", explique-t-il.

    "DES GRENADES LACRYMOGÈNES, PUIS DE LA GRENAILLE ET DES TIRS À BALLE RÉELLE"


    "Il y a d'abord eu des tirs de grenades lacrymogènes que nous leur avons renvoyées. Puis de la grenaille et des tirs à balle réelle". Ali Hassan, son voisin de chambre, blessé par balle dans le haut de la cuisse, décrit une opération soigneusement planifiée, qui a pris par suprise les manifestants. "On était en train de prier, les enfants dormaient, il n'y avait aucune provocation de notre part, affirme-t-il, à rebours de la version de l'armée qui soutient que des "terrorsites armés" ont tenté de pénétrer de force dans le club de la garde républicaine. "Et puis ils se sont mis à attaquer, poursuit Ali Hassan. Ils tiraient, ils avançaient, ils tiraient, ils avançaient." Selon le chef des urgences de l'hôpital, Seifeddin Abdel Shakour, la localisation des impacts de balles, relevés sur les cadavres, ne trahit aucune consigne de tir spécifique. "On a trouvé des impacts sur toutes les parties du corps, pas seulement dans la tête ou le thorax, dit-il. Cela montre qu'il n'y avait pas d'intention de 'tirer pour tuer'. Mais cela témoigne aussi du fait qu'aucun effort n'a été fait pour épargner des vies humaines". Signe de l'extrême brutalité de l'attaque, un chauffeur d'ambulance a été tué et un brancardier blessé, selon Ahmed Al-Morsi, superviseur à l'organisation égyptienne des ambulanciers. Un imam de l'université Al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite, figure aussi parmi les blessés. Coiffé du traditionnel turban rouge et blanc, il est couché sur un brancard, à l'entrée des urgences, la jambe bandée du pied au genou.

    "Nous formions une chaîne humaine au premier rang, entre les militaires et les manifestants, pour éviter tout dérapage, raconte ce religieux de 31 ans nommé Hatem Farid Mahdi. On coopérait avec les soldats de la garde républicaine, on leur donnait de l'eau. Et puis sans la moindre sommation, ils se sont mis à attaquer." Circulant de chambre en chambre pour relever le nom des blessés, Hassan Shedid, un avocat dépêché par les Frères musulmans, parle de "massacre perpétré contre des manifestants pacifiques".


    UNE COMMISSION D'ENQUÊTE "EN COURS DE FORMATION"

    Vêtu d'un costume vert olive bon marché, ce petit homme assure qu'une commission d'enquête est en cours de formation et que ses conclusions seront transmises au procureur général du Caire. Le président par intérim, Adli Mansour, tout en exprimant sa peine pour les victimes, a appuyé la version de l'armée. Il a évoqué "une tentative d'invasion du QG de la garde républicaine" et exhorté les pro-Morsi à se tenir à l'écart des installations militaires. A la sortie de l'hôpital, une doctoresse interpelle les journalistes étrangers. "Et vos collègues égyptiens, où sont-ils ?", demande-t-elle, en référence à l'absence manifeste de reporteurs locaux, dans les couloirs de l'hôpital. "Est-ce que cela n'en dit pas long sur ce qui se passe dans ce pays ? Est-ce que c'est ça, la fameuse 'relance de la révolution' dont les manifestants de Tahrir ne cessent de parler" ? Lundi matin, la principale chaîne de l'audiovisuel public égyptien ne parlait pas des morts dans les rangs de manifestants islamistes. Elle se contentait d'évoquer le sort de l'officier tué par balle dans les événements de la nuit et de passer en boucle des images, impossibles à authentifier, attestant d'actes de violence de la part des islamistes. On y voyait notamment des officiers de police, extirper des couteaux et quelques balles, de l'intérieur de sacs qui aurait été abandonnés sur le site de la confrontation. La télévision égyptienne montrait aussi des images d'adolescents en train de lancer divers objets, notamment des cuvettes de toilettes, depuis le toit d'un immeuble, sur ce que l'on imagine être les forces de sécurité déployées en-dessous. "Regardez-moi ces terroristes, il faut les flinguer, s'emportait Ashraf Al-Khadem, le propriétaire d'une agence de voyage, qui regardait ces images, dans le lobby d'un hôtel. Quand on se fait agresser, tirer n'est pas un luxe, c'est un droit." Pour l'armée, l'objectif est rempli. Les alentours du club de la garde républicaine ont été dégagés. Un cordon de blindés supplémentaires s'est déployé. Repliés quelques centaines de mètres plus loin, derrière un mur de briques construit à la va-vite, les pro-Morsi se préparent au prochain assaut.

    Benjamin Barthe
    "L'habit ne fait pas le moine", certes... mais... "si tu cherche un moine, cherche-le parmi ceux qui portent l'habit"...
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