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Les Frères déçoivent

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  • Les Frères déçoivent

    On peut soutenir, sans risque majeur d’être démenti, que la vérité sort de la bouche des syndicats libres. Elle est même prémonitoire. Ainsi en est-il de l’évolution récente de la position de la Confédération syndicale internationale (CSI) concernant la situation en Égypte. Une évolution doublement édifiante : elle exprime des inquiétudes sur «les preuves troublantes de détention et de torture d’enfants des rues par les autorités égyptiennes» et, surtout, les atteintes répétées des Frères musulmans à la libre activité syndicale, à la liberté de la presse et à la condition féminine, tout en refusant d’applaudir l’avènement d’un pouvoir militaire.

    Le 1er juillet 2013, l’organisation syndicale imputait aux «politiques sociales et économiques extrêmement partisanes du président égyptien Mohamed Morsi… l’origine de l’immense vague de mécontentement populaire en Égypte, où plus de 20 millions de personnes sont descendues dans les rues pour exiger son remplacement».

    Après avoir rappelé que «seize personnes ont été tuées durant les manifestations et plusieurs centaines ont été blessées», elle fixe du doigt le premier responsable de ce dérapage : «Le bilan de Morsi en matière de négation des droits des travailleurs/euses, l’incapacité à enrayer la pauvreté et l’exclusion sociale qui s’aggrave et le favoritisme capitaliste de copinage à l’égard des partisans au sein de sa base d’appui des Frères».
    «L’Égypte a non seulement perdu deux années depuis le renversement de l’ancien dictateur Moubarak, mais la majeure partie de la population est également désormais confrontée à des niveaux sans précédent de pauvreté et d’exclusion et la promesse d’une transition démocratique et de garantie des droits humains n’est pas tenue», appuyait la secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow. Cette dernière anticipe toutefois les choses en prédisant que «son remplacement est facilement compréhensible».

    Dans un nouveau rapport spécial intitulé «Une révolution trahie», Equal Times – une publication de la CSI – revient sur la condamnation en juin 2013 de 43 militant(e)s d’ONG en Égypte et sur le sort, moins médiatisé, «des travailleurs/euses sous le régime du président Mohamed Morsi».
    Les deux années sont réduites à quatre «mauvais souvenirs», ose-t-on espérer pour ce pays ami.
    Premier point noir de l’ère Morsi : la répression des syndicats libres, le maintien du monopole syndical de l’ETUF (Fédération des syndicats égyptiens –, contrôlée par l’État) et l’extension des licenciements abusifs (quelque 650 travailleurs/euses l’ont été en raison de leurs activités syndicales).
    Second point noir : les associations de défense des droits humains accusent les forces de sécurité égyptiennes d’arrêter sans raison de nombreux enfants et, dans certains cas, de les torturer et de les maltraiter.

    Le 3 février dernier, Omar Salah, un vendeur de patates douces âgé de 12 ans, a été tué «accidentellement» d’une balle dans la poitrine par un soldat.
    Mahmoud Adel, un autre adolescent de 14 ans atteint d’un cancer des os, a été arrêté à Alexandrie alors qu’il s’amusait à sauter par-dessus des flaques d’eau, et détenu pendant neuf jours durant lesquels il n’a pas eu ses séances vitales de chimiothérapie.
    Les autorités ont malgré tout refusé de le libérer. Se donnant en spectacle de très mauvais goût, le procureur a poussé le ridicule jusqu’à l’accuser d’avoir «utilisé une force exagérée pour empêcher l’application de la loi, offensé des employés de l’État et mis en danger la sécurité de la ville d’Alexandrie.»

    Le ministère égyptien de l’Intérieur s’est par ailleurs rendu coupable de l’arrestation de 383 enfants depuis le 25 janvier, et de leur avoir fait subir «de graves violations des droits humains», comme les violences physiques, le vol de leurs effets personnels et les agressions sexuelles.

    Troisième point noir recensé : la presse.
    Les intimidations et les détentions sont désormais le lot quotidien des journalistes et des photographes égyptiens.
    Abeer Saady, vice-présidente de l’Egyptian Press Syndicate (Syndicat de la presse égyptienne), signale que des journalistes sont pris pour cible lorsqu’ils/elles réalisent des reportages sur les manifestations et les affrontements.


    Il y a eu quatre fois plus d’actions en justice pour «insulte au président» pendant les 200 premiers jours au pouvoir de Morsi qu’au cours des 30 années passées sous la férule de Moubarak,
    selon l’avocat spécialiste des droits de l’Homme Gamal Eid, interviewé par Al-Ahram, le plus grand site d’information en langue anglaise appartenant à l’État.

    Non seulement le nombre d’actions en justice a augmenté, mais ces actions sont désormais directement intentées par la présidence, ce qui montre que le régime de Morsi n’accepte pas la moindre critique.
    Quatrième point noir au tableau : la femme, en butte à une hausse des agressions physiques et sexuelles sur fond d’anarchie généralisée (une augmentation de 300% du nombre d'homicides et une multiplication par 12 vols à main armée sont enregistrées depuis «la révolution de 2011»).
    La «mère des civilisations» donne ainsi au monde l’image récurrente et peu enviable d’une société machiste où la femme peine à être tolérée et respectée dans l’espace public. Le harcèlement sexuel n’est pas un phénomène nouveau en Égypte : une étude réalisée en 2008 par le Centre égyptien des droits de la femme révèle que 83% des Égyptiennes et 98% des femmes étrangères en visite en Égypte ont été molestées dans la rue. L’étude indique par ailleurs que presque la moitié des Égyptiennes interrogées subissent ce type de harcèlement quotidiennement.

    Mais le harcèlement – et, plus inquiétant encore, la violence – s’est largement répandu au cours de ces dernières années.

    Certains estiment que la recrudescence des agressions trouve son origine dans le manque de volonté politique et sociale de chercher à résoudre le problème, tandis que d’autres pensent que ces attaques ne doivent rien au hasard et qu’elles sont perpétrées par des groupes islamistes spécialement entraînés.
    Après avoir brossé le tableau noir de l’ère Morsi, la CSI invite les militaires égyptiens à «rester en dehors de la politique». Dans une prise de position, datée du 4 juillet, elle estime qu’ils «doivent désormais rester en dehors de la politique et contribuer à un retour rapide à la démocratie, dans le cadre d’une Constitution qui garantisse le respect des droits de chacun».

    Pour Sharan Burrow, «douze mois de régime autocratique et partisan, suivis de la destitution du président Morsi par l’armée, ont porté un grave coup à la démocratie. L’Égypte dispose aujourd’hui d’une deuxième chance pour construire une démocratie qui respecte les droits et les intérêts de tous les hommes et femmes tout en leur garantissant la justice sociale.
    Les militaires doivent rester à l’écart et permettre aux civils de déterminer leur avenir (…) En Égypte, les divisions sont plus profondes que jamais et les citoyens ont besoin de voir se mettre en place rapidement un dialogue ouvert et sincère permettant d’établir un système vraiment démocratique, qui rassemble au lieu de diviser».

    La sagesse incarnée.

    Ammar Belhimer Le Soir
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