Ce qui vient de se passer en Égypte aura la même importance que la révolution des officiers libres en 1952. Nasser à la tête des officiers libres avait destitué Farouk, un roi effacé qui regardait l’Angleterre occuper son pays. 2013, le général Al Sissi, un Nassérien, renvoie à ses études un président qui, aussitôt élu, n’avait qu’une idée en tête : trahir les idéaux du peuple qui venait de chasser Moubarak.
Les étudiants attardés de sciences politiques vont disserter sur la légitimité du président victime d’un coup d’Etat. Ils oublient simplement que le peuple, par le vote ou par la rue, est l’unique source de la souveraineté, donc de la légitimité. Ils oublient que ce président (Morsi) n’a pas respecté les institutions du pays en commençant par bricoler et trafiquer la Constitution. Trêve de plaisanterie, car nous avons affaire à une révolution qui est par définition une rupture violente avec l’ordre établi, rendant caduques les règles de la légalité et de la légitimité. Maintenant que Égypte entre dans la deuxième étape du processus révolutionnaire, il est plus intéressant d’interroger l’histoire et même l’anthropologie pour comprendre l’actualité qui se déroule sous nos yeux. Les événements nécessitent qu’on aille fouiller dans les lointaines racines de ce vieux pays pour cerner l’identité de cette nation et les acteurs en présence, l’armée, le mouvement national patriotique et les Frères musulmans. L’Égypte, un pays héritier d’une grande civilisation qui s’est frotté à d’autres grandes civilisations, Grèce et Rome antiques, civilisation musulmane, Empire ottoman et Europe capitaliste. Ces rencontres ont laissé des traces. Le film de 1969, La Momie de Shadi Abdessalem, est une œuvre qui peint d’une façon magistrale les fondations sur lesquelles reposent les piliers formant les branches multiples de la carte d’identité de ce grand pays. Un pays gorgé de légendes, de Moïse à Cléopâtre en passant par César et Alexandre le Grand qui ont construit leurs propres légendes sur le sol égyptien. Un pays qui osa nationaliser le canal de Suez en chassant l’Angleterre, maîtresse d’un empire où le soleil ne se couchait jamais. L’acteur de la révolution actuelle est un peuple héritier de ce passé à la fois lumineux et douloureux. Pour l’avoir oublié, les Frères musulmans paient cette faute et iront certainement d’échecs en désillusions.
Le déni par les islamistes des réalités politiques et historiques ne fera qu’agrandir le fossé entre eux et la majeure partie de la société. Et que dit l’histoire de cette Égypte ? Un apport à la civilisation (déjà cité) de ce pays durant l’époque des Pharaons. Un pays qui a une capitale aux mille mosquées et qui fut le lieu de départ de Salah Eddine pour libérer Jérusalem des croisés. Un pays qui bénéficia des Lumières de la révolution française lors du séjour de Napoléon venu en Égypte pour en découdre avec les Anglais (voir le film de Chahine Adieu Bonaparte). Une nation où la présence de christianisme n’est pas une greffe étrangère au pays (cette religion du terroir s’est plutôt exportée vers l’Occident). S’ils prenaient la peine de saisir cette histoire-là, ces islamistes comprendraient aussi que la Nahda (la renaissance) a été une expérience politique et culturelle où musulmans et chrétiens d’Orient ont conjugué leurs talents pour à la fois faire accéder le monde arabe à la modernité et bouter hors de la région le colonialisme qui avait des prétentions en nourrissant des convoitises sur la région depuis les croisades. C’est cette Nahda qui a forgé une nouvelle conscience dans le monde arabe. Des officiers, à leur tête Nasser, ont mis fin dans leur pays à la fois à la monarchie et à l’impérialisme anglais. On comprend mieux, à la lumière de l’histoire, le rôle joué par l’armée dans le processus anticolonial en Égypte, dans le monde arabe et en Afrique. Le président Nasser (parmi les fondateurs de la conférence de Bandung de 1955) a du reste théorisé la place de l’Égypte au carrefour des 3 continents. Héritière donc d’une histoire depuis les Pharaons et acteur principal de la modernité avec Nasser, l’armée égyptienne est un élément essentiel du corps social, un acteur politique et économique de premier plan. Cette institution a été et est encore au centre du pouvoir pour à la fois préserver ses propres intérêts économiques et ses privilèges et garantir l’unité du pays. Pour toutes ces raisons, elle comprend mieux l’importance de la notion moderne de l’Etat-nation alors que les islamistes campent toujours sur la notion de la Ouma. Car une des erreurs des islamistes en Égypte comme ailleurs (Syrie) c’est d’avoir sous-estimé dans les pays ex-colonisés l’appartenance à la nation, une enfant de l’histoire commune d’un pays et de ses habitants. Ces islamistes n’ont pas compris qu’un Egyptien a plus d’affinités avec ses compatriotes fussent-ils chrétiens ou athées qu’avec un musulman de Chine, d’Indonésie ou même du fameux et agité Qatar. Et ce, pour une raison simple : produire et échanger des richesses, s’aimer et se reproduire ; bref, vivre et mourir sur une même terre crée des liens de solidarité plus forts qu’une simple affinité culturelle ou religieuse avec un ailleurs souvent fantasmé. Pour arriver au pouvoir, les islamistes ont bénéficié du soutien d’une bonne partie de la population délaissée et appauvrie par la politique libérale (infitah) au lendemain de la mort de Nasser. Mais une fois au pouvoir, ils exposent leur incompétence et se rendent compte qu’on ne gère pas une économie d’un pays de 85 millions d’habitants comme une association de bienfaisance qui distribue facilement à ses ouailles des biens financés par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ils sont aussi bien obligés de tenir compte de la diversité de la société égyptienne. Vouloir imposer un mode de vie public et privé obéissant à des lois et règles d’un supposé âge d’or à un pays dont certains habitants sont chrétiens ou non croyants relève d’une myopie politique qui frise l’imbécillité. Si on ajoute les femmes (nombreuses dans les manifestations actuelles) qui vont faire les frais de leur vision archaïque de la vie, une chose inadmissible car ce n’est ni plus ni moins qu’un retour à l’âge de pierre alors que l’islam a précisément sorti la Péninsule arabique du désert de sable et de rocailles pour la faire voyager en Andalousie.
Les étudiants attardés de sciences politiques vont disserter sur la légitimité du président victime d’un coup d’Etat. Ils oublient simplement que le peuple, par le vote ou par la rue, est l’unique source de la souveraineté, donc de la légitimité. Ils oublient que ce président (Morsi) n’a pas respecté les institutions du pays en commençant par bricoler et trafiquer la Constitution. Trêve de plaisanterie, car nous avons affaire à une révolution qui est par définition une rupture violente avec l’ordre établi, rendant caduques les règles de la légalité et de la légitimité. Maintenant que Égypte entre dans la deuxième étape du processus révolutionnaire, il est plus intéressant d’interroger l’histoire et même l’anthropologie pour comprendre l’actualité qui se déroule sous nos yeux. Les événements nécessitent qu’on aille fouiller dans les lointaines racines de ce vieux pays pour cerner l’identité de cette nation et les acteurs en présence, l’armée, le mouvement national patriotique et les Frères musulmans. L’Égypte, un pays héritier d’une grande civilisation qui s’est frotté à d’autres grandes civilisations, Grèce et Rome antiques, civilisation musulmane, Empire ottoman et Europe capitaliste. Ces rencontres ont laissé des traces. Le film de 1969, La Momie de Shadi Abdessalem, est une œuvre qui peint d’une façon magistrale les fondations sur lesquelles reposent les piliers formant les branches multiples de la carte d’identité de ce grand pays. Un pays gorgé de légendes, de Moïse à Cléopâtre en passant par César et Alexandre le Grand qui ont construit leurs propres légendes sur le sol égyptien. Un pays qui osa nationaliser le canal de Suez en chassant l’Angleterre, maîtresse d’un empire où le soleil ne se couchait jamais. L’acteur de la révolution actuelle est un peuple héritier de ce passé à la fois lumineux et douloureux. Pour l’avoir oublié, les Frères musulmans paient cette faute et iront certainement d’échecs en désillusions.
Le déni par les islamistes des réalités politiques et historiques ne fera qu’agrandir le fossé entre eux et la majeure partie de la société. Et que dit l’histoire de cette Égypte ? Un apport à la civilisation (déjà cité) de ce pays durant l’époque des Pharaons. Un pays qui a une capitale aux mille mosquées et qui fut le lieu de départ de Salah Eddine pour libérer Jérusalem des croisés. Un pays qui bénéficia des Lumières de la révolution française lors du séjour de Napoléon venu en Égypte pour en découdre avec les Anglais (voir le film de Chahine Adieu Bonaparte). Une nation où la présence de christianisme n’est pas une greffe étrangère au pays (cette religion du terroir s’est plutôt exportée vers l’Occident). S’ils prenaient la peine de saisir cette histoire-là, ces islamistes comprendraient aussi que la Nahda (la renaissance) a été une expérience politique et culturelle où musulmans et chrétiens d’Orient ont conjugué leurs talents pour à la fois faire accéder le monde arabe à la modernité et bouter hors de la région le colonialisme qui avait des prétentions en nourrissant des convoitises sur la région depuis les croisades. C’est cette Nahda qui a forgé une nouvelle conscience dans le monde arabe. Des officiers, à leur tête Nasser, ont mis fin dans leur pays à la fois à la monarchie et à l’impérialisme anglais. On comprend mieux, à la lumière de l’histoire, le rôle joué par l’armée dans le processus anticolonial en Égypte, dans le monde arabe et en Afrique. Le président Nasser (parmi les fondateurs de la conférence de Bandung de 1955) a du reste théorisé la place de l’Égypte au carrefour des 3 continents. Héritière donc d’une histoire depuis les Pharaons et acteur principal de la modernité avec Nasser, l’armée égyptienne est un élément essentiel du corps social, un acteur politique et économique de premier plan. Cette institution a été et est encore au centre du pouvoir pour à la fois préserver ses propres intérêts économiques et ses privilèges et garantir l’unité du pays. Pour toutes ces raisons, elle comprend mieux l’importance de la notion moderne de l’Etat-nation alors que les islamistes campent toujours sur la notion de la Ouma. Car une des erreurs des islamistes en Égypte comme ailleurs (Syrie) c’est d’avoir sous-estimé dans les pays ex-colonisés l’appartenance à la nation, une enfant de l’histoire commune d’un pays et de ses habitants. Ces islamistes n’ont pas compris qu’un Egyptien a plus d’affinités avec ses compatriotes fussent-ils chrétiens ou athées qu’avec un musulman de Chine, d’Indonésie ou même du fameux et agité Qatar. Et ce, pour une raison simple : produire et échanger des richesses, s’aimer et se reproduire ; bref, vivre et mourir sur une même terre crée des liens de solidarité plus forts qu’une simple affinité culturelle ou religieuse avec un ailleurs souvent fantasmé. Pour arriver au pouvoir, les islamistes ont bénéficié du soutien d’une bonne partie de la population délaissée et appauvrie par la politique libérale (infitah) au lendemain de la mort de Nasser. Mais une fois au pouvoir, ils exposent leur incompétence et se rendent compte qu’on ne gère pas une économie d’un pays de 85 millions d’habitants comme une association de bienfaisance qui distribue facilement à ses ouailles des biens financés par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ils sont aussi bien obligés de tenir compte de la diversité de la société égyptienne. Vouloir imposer un mode de vie public et privé obéissant à des lois et règles d’un supposé âge d’or à un pays dont certains habitants sont chrétiens ou non croyants relève d’une myopie politique qui frise l’imbécillité. Si on ajoute les femmes (nombreuses dans les manifestations actuelles) qui vont faire les frais de leur vision archaïque de la vie, une chose inadmissible car ce n’est ni plus ni moins qu’un retour à l’âge de pierre alors que l’islam a précisément sorti la Péninsule arabique du désert de sable et de rocailles pour la faire voyager en Andalousie.
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