Par Benjamin Masse-Stamberger (L'Express) - publié le 10/07/2013
Le label tricolore: voilà le nouveau sésame pour séduire le chaland en quête de terroir et d'authenticité. Nombre d'industriels en font un argument de vente, quitte, parfois, à s'arranger avec la réalité. Fausses pistes, vraies tromperies... Petit tour d'horizon.
Armor-Lux: Montebourg savait-il tout? Citée en exemple par le ministre du Redressement productif, la marque de textiles fait fabriquer une partie de sa production au Maghreb et en Asie.
Chemise blanche immaculée, jean brut ajusté, télécommande en main et micro-oreille sur le crâne, le patron de Micromega grimpe sur la scène. En cette soirée de la fin de juin, il vient présenter son dernier-né : le MyDac, un petit instrument qui permet de convertir les fichiers musicaux numériques en plages lisibles sur des chaînes hi-fi, tout en conservant la haute qualité sonore de l'enregistrement. "Nous avons créé une passerelle entre le monde numérique et celui de l'audio", annonce-t-il fièrement, allant et venant sur l'estrade devant un public conquis.
La scène se déroule non pas à Palo Alto, Mountain View, ou tout autre lieu mythique de la Silicon Valley, mais à Bercy, où Didier Hamdi - notre M. "Micromega" - participe, avec trois autres entrepreneurs, à la quatrième édition des Objets de la nouvelle France industrielle, un événement dédié à ceux qui inventent et produisent dans l'Hexagone. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, parrain de la manifestation, conclut, lyrique, la soirée : "Vous êtes les hérauts de la France qui innove et invente la troisième révolution industrielle."
Pas de doute, après avoir été ringardisés durant des décennies, les fantassins du made in France sont aujourd'hui tendance. La marinière, symbole fashion... ou, pardon, à la mode ? Les consommateurs, en tout cas, réclament désormais massivement du "fabriqué en France", synonyme d'authenticité, de qualité et surtout, en ces temps de crise, d'emplois et de réindustrialisation. Et les entreprises se mettent au diapason, rivalisant de signes cocardiers et de fanions. Sans toujours être prêtes à assurer, derrière, une véritable production locale. Au risque de malentendus et de petits arrangements avec la réalité. Voire de mensonges.
La Chine, antichambre secrète du label bleu-blanc-rouge
Acheter français ? Pas si facile, comme l'illustre l'expérience malheureuse de Sophie (1). Un jour, cette sexagénaire repère le site Alittlemarket, spécialisé dans l'artisanat local, et décide d'y acheter une lampe en bois. "Rien n'indiquait clairement sa provenance, se souvient-elle, et j'ai donc supposé naturellement que c'était une fabrication française." Erreur. Au bout de deux mois, l'objet n'est toujours pas arrivé, et elle envoie un e-mail vengeur au fabricant, qui prend son temps avant de lui répondre... en anglais ! Quelques semaines plus tard encore, le colis arrive enfin, mais il est tamponné made in Rapla, en Estonie ! Et il est en morceaux... On ne l'y reprendra plus.
France Espadrille: seul le nom est 100 % français!
Flickr / http://www.flickr.com/photos/jeanlouis_zimmermann/
Le nom n'engage à rien. Les célèbres sandales en toile et à la semelle de corde sont pour la plupart fabriquées au Bangladesh.
Comme elle, ils sont nombreux à avoir essuyé les plâtres du renouveau national. Le magazine 60 Millions de consommateurs rapporte ainsi la mésaventure de cette mère de famille qui a acheté sur Internet, pour Noël, un jouet Meccano Easy Construction, orné, dans la publicité, d'un drapeau bleu-blanc-rouge. Mais, sur la boîte, il est bien indiqué made in China. L'empire du Milieu est souvent l'antichambre secrète du made in France.
Parfois, des produits floqués du précieux label tricolore sortent même tout chauds des sweatshops du delta des Perles. "Certains vont jusqu'à copier le logo de certification qui garantit le respect de normes de qualité... alors même qu'ils ne les respectent pas du tout !" soupire Edouard de Jenlis, patron du fabricant d'électroménager Magimix, qui, lui, fait sortir la grande majorité de ses robots et blenders de son usine de Montceau-les-Mines, en Bourgogne.
Et que dire de Rose de Paris ? Lors des Salons tenus à l'international par Ubifrance - l'organisme public chargé d'aider les entreprises publiques -, cette société était régulièrement représentée. En réalité, il s'agissait d'une firme chinoise, disposant d'une simple domiciliation dans le XIe arrondissement de la capitale. Suffisant, à ses yeux, pour bénéficier du prestige de la fabrication française. Le made in France à la sauce cantonaise a cependant ses limites, dans le secteur du luxe notamment. "Certains joailliers de la place Vendôme ont tenté de sous-traiter des parties un peu complexes de leur production à des fabricants chinois, mais, comme ceux-ci n'avaient pas le savoir-faire, ils se sont eux-mêmes tournés vers des fonderies françaises !" rapporte un expert.
Beaucoup de marques n'en cèdent pas moins à la tentation du "Frenchwashing", à grand renfort de cocoricos et de recettes marketing, quand bien même, en coulisses, les chaînes de production empruntent des chemins plus tortueux. Ainsi, la société de maroquinerie Laurige Duron, d'origine niortaise, s'affiche fièrement sur son site comme une "création France". Et ce, alors qu'une partie de ses sacs à main sort d'ateliers thaïlandais.
De même, Cristal de Paris, localisée dans la commune mosellane de Montbronn, claironne sur son site être détentrice du "savoir-faire made in France", sans mentionner qu'une majorité de ses coupes, verres et vases - aux noms parfois aussi peu exotiques que "Dijon", "Mâcon", ou encore "Fernand" - est fabriquée en Asie et en Europe de l'Est. Lors d'une foire commerciale consacrée aux produits français, qui se tenait à New York, la marque représentait même en majesté la cristallerie tricolore. Son concurrent direct et voisin, Cristallerie de Montbronn, a fini par déposer une plainte auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Mais celle-ci s'est perdue dans les sables de l'administration. "Nous sommes obligés de vendre nos verres 30 % plus cher, car ils sont faits localement, soupire Alain Ferstler, directeur de la Cristallerie de Montbronn. Mais le consommateur ne voit pas la différence, car, dans les deux cas, les produits sont étiquetés made in France."
Le label tricolore: voilà le nouveau sésame pour séduire le chaland en quête de terroir et d'authenticité. Nombre d'industriels en font un argument de vente, quitte, parfois, à s'arranger avec la réalité. Fausses pistes, vraies tromperies... Petit tour d'horizon.
Armor-Lux: Montebourg savait-il tout? Citée en exemple par le ministre du Redressement productif, la marque de textiles fait fabriquer une partie de sa production au Maghreb et en Asie.
Chemise blanche immaculée, jean brut ajusté, télécommande en main et micro-oreille sur le crâne, le patron de Micromega grimpe sur la scène. En cette soirée de la fin de juin, il vient présenter son dernier-né : le MyDac, un petit instrument qui permet de convertir les fichiers musicaux numériques en plages lisibles sur des chaînes hi-fi, tout en conservant la haute qualité sonore de l'enregistrement. "Nous avons créé une passerelle entre le monde numérique et celui de l'audio", annonce-t-il fièrement, allant et venant sur l'estrade devant un public conquis.
La scène se déroule non pas à Palo Alto, Mountain View, ou tout autre lieu mythique de la Silicon Valley, mais à Bercy, où Didier Hamdi - notre M. "Micromega" - participe, avec trois autres entrepreneurs, à la quatrième édition des Objets de la nouvelle France industrielle, un événement dédié à ceux qui inventent et produisent dans l'Hexagone. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, parrain de la manifestation, conclut, lyrique, la soirée : "Vous êtes les hérauts de la France qui innove et invente la troisième révolution industrielle."
Pas de doute, après avoir été ringardisés durant des décennies, les fantassins du made in France sont aujourd'hui tendance. La marinière, symbole fashion... ou, pardon, à la mode ? Les consommateurs, en tout cas, réclament désormais massivement du "fabriqué en France", synonyme d'authenticité, de qualité et surtout, en ces temps de crise, d'emplois et de réindustrialisation. Et les entreprises se mettent au diapason, rivalisant de signes cocardiers et de fanions. Sans toujours être prêtes à assurer, derrière, une véritable production locale. Au risque de malentendus et de petits arrangements avec la réalité. Voire de mensonges.
La Chine, antichambre secrète du label bleu-blanc-rouge
Acheter français ? Pas si facile, comme l'illustre l'expérience malheureuse de Sophie (1). Un jour, cette sexagénaire repère le site Alittlemarket, spécialisé dans l'artisanat local, et décide d'y acheter une lampe en bois. "Rien n'indiquait clairement sa provenance, se souvient-elle, et j'ai donc supposé naturellement que c'était une fabrication française." Erreur. Au bout de deux mois, l'objet n'est toujours pas arrivé, et elle envoie un e-mail vengeur au fabricant, qui prend son temps avant de lui répondre... en anglais ! Quelques semaines plus tard encore, le colis arrive enfin, mais il est tamponné made in Rapla, en Estonie ! Et il est en morceaux... On ne l'y reprendra plus.
France Espadrille: seul le nom est 100 % français!
Flickr / http://www.flickr.com/photos/jeanlouis_zimmermann/
Le nom n'engage à rien. Les célèbres sandales en toile et à la semelle de corde sont pour la plupart fabriquées au Bangladesh.
Comme elle, ils sont nombreux à avoir essuyé les plâtres du renouveau national. Le magazine 60 Millions de consommateurs rapporte ainsi la mésaventure de cette mère de famille qui a acheté sur Internet, pour Noël, un jouet Meccano Easy Construction, orné, dans la publicité, d'un drapeau bleu-blanc-rouge. Mais, sur la boîte, il est bien indiqué made in China. L'empire du Milieu est souvent l'antichambre secrète du made in France.
Parfois, des produits floqués du précieux label tricolore sortent même tout chauds des sweatshops du delta des Perles. "Certains vont jusqu'à copier le logo de certification qui garantit le respect de normes de qualité... alors même qu'ils ne les respectent pas du tout !" soupire Edouard de Jenlis, patron du fabricant d'électroménager Magimix, qui, lui, fait sortir la grande majorité de ses robots et blenders de son usine de Montceau-les-Mines, en Bourgogne.
Et que dire de Rose de Paris ? Lors des Salons tenus à l'international par Ubifrance - l'organisme public chargé d'aider les entreprises publiques -, cette société était régulièrement représentée. En réalité, il s'agissait d'une firme chinoise, disposant d'une simple domiciliation dans le XIe arrondissement de la capitale. Suffisant, à ses yeux, pour bénéficier du prestige de la fabrication française. Le made in France à la sauce cantonaise a cependant ses limites, dans le secteur du luxe notamment. "Certains joailliers de la place Vendôme ont tenté de sous-traiter des parties un peu complexes de leur production à des fabricants chinois, mais, comme ceux-ci n'avaient pas le savoir-faire, ils se sont eux-mêmes tournés vers des fonderies françaises !" rapporte un expert.
Beaucoup de marques n'en cèdent pas moins à la tentation du "Frenchwashing", à grand renfort de cocoricos et de recettes marketing, quand bien même, en coulisses, les chaînes de production empruntent des chemins plus tortueux. Ainsi, la société de maroquinerie Laurige Duron, d'origine niortaise, s'affiche fièrement sur son site comme une "création France". Et ce, alors qu'une partie de ses sacs à main sort d'ateliers thaïlandais.
De même, Cristal de Paris, localisée dans la commune mosellane de Montbronn, claironne sur son site être détentrice du "savoir-faire made in France", sans mentionner qu'une majorité de ses coupes, verres et vases - aux noms parfois aussi peu exotiques que "Dijon", "Mâcon", ou encore "Fernand" - est fabriquée en Asie et en Europe de l'Est. Lors d'une foire commerciale consacrée aux produits français, qui se tenait à New York, la marque représentait même en majesté la cristallerie tricolore. Son concurrent direct et voisin, Cristallerie de Montbronn, a fini par déposer une plainte auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Mais celle-ci s'est perdue dans les sables de l'administration. "Nous sommes obligés de vendre nos verres 30 % plus cher, car ils sont faits localement, soupire Alain Ferstler, directeur de la Cristallerie de Montbronn. Mais le consommateur ne voit pas la différence, car, dans les deux cas, les produits sont étiquetés made in France."
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