Je veux qu'on puisse couper la langue à un avocat qui s'en servirait contre le gouvernement.” Napoléon Ier, extrait d'une lettre adressée à M. Cambacérès Trèves, 7 octobre 1804
Le 9 juillet 2013, l’Assemblée populaire nationale adopte la loi portant nouveau statut de l’avocat. Il aura fallu plus de douze années de gestation ponctuées d’atermoiements et d’hésitations, de concertations et de négociations, de doutes et de suspicions, de compromissions et de reniements... pour que ce texte puisse enfin voir le jour.
Délesté de ses grandes ambitions qu’inspirent les principes d'indépendance de la profession et les valeurs universelles des droits de la défense, ce texte s’est contenté de reproduire la perception du pouvoir quant au rôle et place de l’avocat dans la représentation du corps social, d’une part, et sa participation au déroulement du procès pénal, d’autre part.
En effet, ce texte reste marqué par cette vision restrictive des droits de la défense dont l’exercice est organisé beaucoup plus à assurer le fonctionnement de l’appareil judiciaire qu’à renforcer les prérogatives de ce droit fondamental dont l’expansion est à même de garantir une réelle protection des droits du justiciable et de promouvoir l’avocat au rang de partenaire privilégié du processus judiciaire. De leur côté, les représentants de l’Union nationale des barreaux d'Algérie (UNBA), puisant dans les réserves de leurs réflexes corporatistes, ont pu, sous l'impulsion du bâtonnier Silini Abdemadjid, résister le temps d'un mandat aux effets dominants de cette perception restrictive des droits de la défense
Les changements intervenus à la tête de l'Union ne manquèrent pas de fragiliser sérieusement cette résistance et précipiter la reddition des barreaux aux thèses limitatives du pouvoir.
Plus grave, la représentation de la profession a dû céder sur le plus important des droits constitutifs de la défense à savoir le droit à l’expression. Désormais, l’avocat n’a plus le droit à la parole en dehors du prétoire.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certains barreaux, au prix d’un vil troc, se sont convertis en défenseurs de ce texte dès lors que ce dernier leur a assuré la possibilité de postuler pour plusieurs mandats. Alors que d'autres, naguère farouches opposants à ce projet, ont failli baisser l'étendard de la résistance. Mis en minorité en raison de l’adversité des compagnons, ils n’ont pu supporter le poids du combat solitaire qui exige comme seuls soutiens la conviction inébranlable et l'endurance solide. De ce tumulte nourri par la désunion et les contradictions, la compromission et l’accommodement, se sont élevées des dithyrambes à l'endroit du ministre de la Justice proclamé comme l'homme providentiel qui a préservé l'indépendance de la profession et garanti les droits de la défense.
La décrépitude de la représentation institutionnelle de la profession aura été l’un des faits marquants présidant à l’avènement du nouveau statut de l'avocat.
1/ Pas moins de sept avant-projets de texte ont jalonné cette longue période de maturation, sans y apporter une quelconque évolution significative dans la perception de la chancellerie à l’égard des droits de la défense. Les quelques aménagements introduits dans ces projets sont d'ordre organisationnel ou fonctionnel tels que la création d’une école de formation des avocats, les réaménagements du Capa ou la restructurLa succession de ces projets s’explique en grande partie par le fait que le pouvoir, faute de vision d’ouverture, n’est pas arrivé à trouver la juste mesure des réponses définitives à donner à l’accumulation des obstacles et blocages qui caractérisent le fonctionnement de l'appareil judiciaire confronté à la double contradiction des enjeux résultant à la fois des effets de l'instrumentalisation de ses rouages et des nécessites de rendre justice en toute équité. Elle s'explique aussi par les difficultés à trouver les solutions les plus aptes à concilier le minimum de garanties de défense dans le cadre d’un procès pénal livré à la domination du ministère public.
Cette façon de procéder illustre à l’évidence l'absence d’une démarche prospective à même de constituer à la fois, la plate-forme philosophique du projet de statut et le cadre référentiel de règlement des conflits présents ou à venir.
1-1/ Datant de l'année 2001, le premier projet, sous le couvert de la prétendue nécessité de promouvoir les conditions d'exercice de la profession et son adaptation aux évolutions et exigences du droit processuel tout particulièrement, avait en fait pour objectif la prise en charge de deux préoccupations :
1-2/ la première consistait, alors, à dépouiller la corporation de ses moyens de pression notamment le boycott des audiences. N'ayant jamais supporté l'existence d'une telle prérogative qu'elle estime incompatible avec les exigences de fonctionnement de l’appareil judiciaire assimilé à un service public, la chancellerie a tenté d'avancer des propositions alternatives telles que l’idée d'un service minimum assimilant le boycott à un droit de grève et les avocats à des travailleurs ;
1-3/ la deuxième préoccupation, en relation avec la première, avait pour objectif de soumettre les délibérations des Conseils de l'ordre et les résolutions des assemblées générales au contrôle du ministre de la Justice.
Ce contrôle place la corporation sous la tutelle de la chancellerie en soumettant les décisions des barreaux au filtre du scanner de l’administration centrale. Cette dernière peut alors introduire des recours en annulation devant le juge compétent afin de geler toute mesure susceptible de gêner la marche du système judiciaire.
1-4/ L’élaboration du deuxième projet de texte est confiée à une commission présidée par Djàmêl Bouzertini, magistrat connu pour son expérience et sa sagesse.
Cette commission travaillant sur deux projets de texte ; l’un de la chancellerie, l’autre de l'Union des barreaux, était sur le point de réaliser un consensus total autour de la mouture finale s'il n’y avait pas eu cette épineuse question de l'incident d'audience que le ministère de la Justice voulait inclure dans le corps même du statut de l’avocat à l’effet de conférer à ce manquement un caractère particulier inhérent à l'exercice de la profession.
Les divergences que cette question a suscitées consommèrent plusieurs autres moutures qui passèrent de la sanction immédiate de suspension de l'avocat à la mise en place d'un dispositif de conciliation selon lequel le président de la juridiction et le délégué du barreau concerné sont chargés de résoudre cet incident.
En cas d’échec de cette conciliation, l’affaire est portée au niveau du président de la cour et du bâtonnier concerné. Le dossier est transmis à la commission mixte par le ministre en cas de second échec de conciliation.
La mouture finale adoptée est un amas de contresens. Appréciez... “en cas de survenance d'un incident grave à la police de l'audience ; cette dernière est arrêtée impérativement par le juge. L'incident est alors porté à la connaissance des responsables cités plus haut afin qu’une solution soit trouvée au manquement de l'avocat aux règles déontologiques”.
Comment se fait-il que le magistrat qui constate l’incident et renvoie son auteur aux fins de sanctions disciplinaires se trouve impliqué dans un processus de conciliation aux termes duquel il doit donner des justifications à son acte au même titre que l'avocat objet de l’incident.
Le 9 juillet 2013, l’Assemblée populaire nationale adopte la loi portant nouveau statut de l’avocat. Il aura fallu plus de douze années de gestation ponctuées d’atermoiements et d’hésitations, de concertations et de négociations, de doutes et de suspicions, de compromissions et de reniements... pour que ce texte puisse enfin voir le jour.
Délesté de ses grandes ambitions qu’inspirent les principes d'indépendance de la profession et les valeurs universelles des droits de la défense, ce texte s’est contenté de reproduire la perception du pouvoir quant au rôle et place de l’avocat dans la représentation du corps social, d’une part, et sa participation au déroulement du procès pénal, d’autre part.
En effet, ce texte reste marqué par cette vision restrictive des droits de la défense dont l’exercice est organisé beaucoup plus à assurer le fonctionnement de l’appareil judiciaire qu’à renforcer les prérogatives de ce droit fondamental dont l’expansion est à même de garantir une réelle protection des droits du justiciable et de promouvoir l’avocat au rang de partenaire privilégié du processus judiciaire. De leur côté, les représentants de l’Union nationale des barreaux d'Algérie (UNBA), puisant dans les réserves de leurs réflexes corporatistes, ont pu, sous l'impulsion du bâtonnier Silini Abdemadjid, résister le temps d'un mandat aux effets dominants de cette perception restrictive des droits de la défense
Les changements intervenus à la tête de l'Union ne manquèrent pas de fragiliser sérieusement cette résistance et précipiter la reddition des barreaux aux thèses limitatives du pouvoir.
Plus grave, la représentation de la profession a dû céder sur le plus important des droits constitutifs de la défense à savoir le droit à l’expression. Désormais, l’avocat n’a plus le droit à la parole en dehors du prétoire.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certains barreaux, au prix d’un vil troc, se sont convertis en défenseurs de ce texte dès lors que ce dernier leur a assuré la possibilité de postuler pour plusieurs mandats. Alors que d'autres, naguère farouches opposants à ce projet, ont failli baisser l'étendard de la résistance. Mis en minorité en raison de l’adversité des compagnons, ils n’ont pu supporter le poids du combat solitaire qui exige comme seuls soutiens la conviction inébranlable et l'endurance solide. De ce tumulte nourri par la désunion et les contradictions, la compromission et l’accommodement, se sont élevées des dithyrambes à l'endroit du ministre de la Justice proclamé comme l'homme providentiel qui a préservé l'indépendance de la profession et garanti les droits de la défense.
La décrépitude de la représentation institutionnelle de la profession aura été l’un des faits marquants présidant à l’avènement du nouveau statut de l'avocat.
1/ Pas moins de sept avant-projets de texte ont jalonné cette longue période de maturation, sans y apporter une quelconque évolution significative dans la perception de la chancellerie à l’égard des droits de la défense. Les quelques aménagements introduits dans ces projets sont d'ordre organisationnel ou fonctionnel tels que la création d’une école de formation des avocats, les réaménagements du Capa ou la restructurLa succession de ces projets s’explique en grande partie par le fait que le pouvoir, faute de vision d’ouverture, n’est pas arrivé à trouver la juste mesure des réponses définitives à donner à l’accumulation des obstacles et blocages qui caractérisent le fonctionnement de l'appareil judiciaire confronté à la double contradiction des enjeux résultant à la fois des effets de l'instrumentalisation de ses rouages et des nécessites de rendre justice en toute équité. Elle s'explique aussi par les difficultés à trouver les solutions les plus aptes à concilier le minimum de garanties de défense dans le cadre d’un procès pénal livré à la domination du ministère public.
Cette façon de procéder illustre à l’évidence l'absence d’une démarche prospective à même de constituer à la fois, la plate-forme philosophique du projet de statut et le cadre référentiel de règlement des conflits présents ou à venir.
1-1/ Datant de l'année 2001, le premier projet, sous le couvert de la prétendue nécessité de promouvoir les conditions d'exercice de la profession et son adaptation aux évolutions et exigences du droit processuel tout particulièrement, avait en fait pour objectif la prise en charge de deux préoccupations :
1-2/ la première consistait, alors, à dépouiller la corporation de ses moyens de pression notamment le boycott des audiences. N'ayant jamais supporté l'existence d'une telle prérogative qu'elle estime incompatible avec les exigences de fonctionnement de l’appareil judiciaire assimilé à un service public, la chancellerie a tenté d'avancer des propositions alternatives telles que l’idée d'un service minimum assimilant le boycott à un droit de grève et les avocats à des travailleurs ;
1-3/ la deuxième préoccupation, en relation avec la première, avait pour objectif de soumettre les délibérations des Conseils de l'ordre et les résolutions des assemblées générales au contrôle du ministre de la Justice.
Ce contrôle place la corporation sous la tutelle de la chancellerie en soumettant les décisions des barreaux au filtre du scanner de l’administration centrale. Cette dernière peut alors introduire des recours en annulation devant le juge compétent afin de geler toute mesure susceptible de gêner la marche du système judiciaire.
1-4/ L’élaboration du deuxième projet de texte est confiée à une commission présidée par Djàmêl Bouzertini, magistrat connu pour son expérience et sa sagesse.
Cette commission travaillant sur deux projets de texte ; l’un de la chancellerie, l’autre de l'Union des barreaux, était sur le point de réaliser un consensus total autour de la mouture finale s'il n’y avait pas eu cette épineuse question de l'incident d'audience que le ministère de la Justice voulait inclure dans le corps même du statut de l’avocat à l’effet de conférer à ce manquement un caractère particulier inhérent à l'exercice de la profession.
Les divergences que cette question a suscitées consommèrent plusieurs autres moutures qui passèrent de la sanction immédiate de suspension de l'avocat à la mise en place d'un dispositif de conciliation selon lequel le président de la juridiction et le délégué du barreau concerné sont chargés de résoudre cet incident.
En cas d’échec de cette conciliation, l’affaire est portée au niveau du président de la cour et du bâtonnier concerné. Le dossier est transmis à la commission mixte par le ministre en cas de second échec de conciliation.
La mouture finale adoptée est un amas de contresens. Appréciez... “en cas de survenance d'un incident grave à la police de l'audience ; cette dernière est arrêtée impérativement par le juge. L'incident est alors porté à la connaissance des responsables cités plus haut afin qu’une solution soit trouvée au manquement de l'avocat aux règles déontologiques”.
Comment se fait-il que le magistrat qui constate l’incident et renvoie son auteur aux fins de sanctions disciplinaires se trouve impliqué dans un processus de conciliation aux termes duquel il doit donner des justifications à son acte au même titre que l'avocat objet de l’incident.
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