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La plupart des automobilistes utilisent leur voiture comme un moyen de violence

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  • La plupart des automobilistes utilisent leur voiture comme un moyen de violence

    Le professeur Boudrifa a pour tâche d’analyser les relations de l’homme avec ses moyens et son environnement, ce qui implique le comportement des usagers algériens de la route. Il passe d’ailleurs son temps à prendre des photos des nombreuses anomalies qui peuplent nos routes : voitures sans feux, routes défoncées et panneaux de signalisation posés de travers, lignes tracées sans respect des normes, voitures stationnées n’importe où, etc. Selon le professeur, c’est cette anarchie, due aux autorités et aux citoyens, qui explique non seulement les trop nombreux accidents de la circulation, mais aussi les embouteillages incessants…



    Quelles sont les principales causes des fréquents embouteillages qui font du quotidien des Algériens un enfer ?


    Hamou Boudrifa. Professeur d’ergonomie au laboratoire de prévention et d’ergonomie, université de Bouzaréah : Le parc automobile a beaucoup augmenté, mais cela n’explique pas tout. Les embouteillages sont souvent dus au mauvais état des routes. La dégradation avancée des routes, les trous et autres nids-de-poule font ralentir une voiture, ce qui fait freiner celle qui est derrière, et ainsi de suite, provoquant un ralentissement plus ou moins important. L’autre problème est le non-respect de la chaussée en tant que propriété publique. L’on voit par exemple des riverains qui posent des caisses et autres bidons devant leurs maisons. Ce qui, en plus d’être interdit, crée des bouchons. Et les entraves sont nombreuses, comme l’invasion des vendeurs ambulants qui empiètent sur la chaussée. De même, les squatteurs des trottoirs obligent les piétons à marcher sur la chaussée. Ceux-ci d’ailleurs traversent n’importe comment, sans aucune règle, et cette anarchie crée de véritables bouchons. De nombreux ralentissements sont dus au non-respect du code de la route en termes d’arrêts et de stationnements devant, par exemple, les marchés, les mosquées, ou encore les stations et arrêts de bus. Mais cela renvoie à l’organisation socioéconomique de la ville, qui est grandement défaillante.

    - Qu’entendez-vous par là ?


    La désorganisation socioéconomique est principalement la désorganisation des commerces et des activités marchandes. L’on trouve par exemple des véhicules stationnés sur un pont, en pleine autoroute. Pourquoi ? Parce qu’ils se sont arrêtés pour boire un café. Donc, la première erreur revient à ceux qui ont accordé un registre du commerce et ont autorisé l’ouverture d’une buvette à cet endroit. Il est inévitable que des commerces ou autres locaux induisent un arrêt de véhicules. Et les embouteillages sont aussi créés par la présence de commerces un peu partout. C’est donc tout un mode de fonctionnement et d’organisation de la vie qui s’imbrique. Il existe aussi un manque de logique dans cette organisation de la vie quotidienne, comme les horaires d’ouverture et de fermeture des magasins et autres services. Ce qui provoque, mais qui est aussi causé, par l’absence d’éclatement de la vie professionnelle et sociale. Tout le monde commence et finit à la même heure, et les infrastructures routières existantes ne peuvent logiquement pas contenir tous les véhicules au même moment.


    Les exemples que vous citez sont-ils vraiment à même de bloquer le trafic pendant plusieurs minutes ?

    Dans l’absolu, non. Toutefois, de nombreux facteurs décuplent l’importance de ces ralentissements. Et le plus important est le comportement des automobilistes ! Les gens ne sont pas disciplinés, ils doublent à tort et à travers par la gauche et la droite, s’engouffre dans le moindre espace, ce qui augmente le blocage. La pression est décuplée lorsque personne ne respecte le tour de l’autre. Et c’est valable pour les barrages et les points de contrôle. Ils sont nécessaires, mais il y a des méthodes pour réduire leur impact sur la fluidité de la circulation. Mais le facteur le plus aggravant est qu’on ne respecte pas la chaîne et l’organisation des files.



    - Comment expliquer ces comportements ? Existe-t-il une psychologie de la route ?


    De nos jours, la plupart des automobilistes utilisent leur voiture comme un moyen de violence. Cette nervosité au volant est due à plusieurs facteurs environnementaux et personnels. L’un de ces motifs est la non-application de la loi, ou son application d’une façon aléatoire et arbitraire. Dans un bouchon, si un seul conducteur double, tout le monde va faire comme lui. Alors que celui-ci doit normalement être sanctionné, il est imité. L’environnement provoque cette agressivité au volant, car tout est agressif.

    Comme les citoyens n’ont aucune confiance dans le système et la justice, donc inconsciemment, ils n’ont aucun espoir que les choses vont s’arranger, qu’une solution va être apportée. Ils sont persuadés que s’ils restent calmes et disciplinés, leur tour ne viendra jamais. De même, il se produit un dédoublement de personnalité, une sorte d’effet de meute, ainsi qu’une personnalisation du véhicule, qui devient soi-même. Il y a aussi une affirmation de soi. Et il n’y a aucun respect de l’autre, d’autant plus que l’on n’accorde plus aucune valeur au temps, qu’il soit le sien ou celui des autres. Ils discutent et s’arrêtent, sans penser aux autres qui attendent derrière. Tous ces comportements participent d’une anarchie générale, qui se manifeste dans tous les domaines, mais qui se voit plus sur les routes.


    - Quels impacts ont ces embouteillages ?

    Il y a une corrélation entre augmentation du nombre de voitures, embouteillages et accidents de la circulation. D’un côté psychologique, le bruit provoque le stress, et l’énervement, qui font naître l’épuisement nerveux et physique, qui pousse à ne pas respecter le code de la route. Les conducteurs font des excès de vitesse pour rattraper le temps perdu, pratiquent une conduite dangereuse, avec un décuplement de l’agressivité. Pour ce qui est de l’impact sur l’économie, il n’a pas été quantifié. Toutefois, l’on constate les retards des employés, les services et administration pénalisés dans leur fonctionnement, les services et autres entreprises qui diminuent leurs activités et réduisent leurs déplacements. De même, les employés ne pensent qu’à sortir plus tôt pour éviter les heures de pointe. Il y a aussi un impact sur la productivité, car après être restés deux heures dans les embouteillages le matin, ils arrivent déjà fatigués au travail.

    De nombreuses pertes d’emploi et de contrat et marché sont signalées. Une désorganisation généralisée est créée par ces difficultés à se déplacer, car rien n’est respecté. Tout le monde est dans l’incapacité d’avoir un emploi du temps, avec plusieurs rendez-vous à respecter. Plus grave, combien de fois des ambulances sont restées bloquées dans la circulation, la bande d’arrêt d’urgence n’étant pas vide, provoquant de nombreux décès.

    Ghania Lassal- El Watan
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