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Editeurs et libraires en Algérie par Pierre Daum, août 2013

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  • Editeurs et libraires en Algérie par Pierre Daum, août 2013

    En Algérie, la chaîne du livre a subi de profonds bouleversements. Avant 1985, le secteur était entièrement dominé par l’Etat. Seules deux structures avaient le droit d’éditer (et de censurer) un manuscrit : l’Entreprise nationale du livre (ENAL (1)) et l’Office des publications universitaires (OPU). L’ENAL disposait aussi du seul réseau de librairies à travers le pays, fort de quatre-vingt-quinze établissements, soit deux par wilaya (préfecture).

    Une année avant les premières fissures d’octobre 1988, les émeutes populaires qui marquèrent le début du pluralisme politique et idéologique, deux francs-tireurs osèrent briser le monopole public : M. Ahmed Bouneb (éditions Laphomic, arrêtées cinq ans plus tard) et M. Abderrahmane Bouchène (éditions Bouchène, exilées en France en 1996). En 1988, l’ouverture démocratique du pays provoque un premier bouleversement, avec la création de plusieurs maisons d’édition ainsi que de nombreux journaux.

    Les premiers récits hors censure d’anciens hauts dirigeants du Front de libération nationale (FLN) et de l’Armée de libération nationale (ALN) commencent alors à être publiés. L’année suivante, M. Smail Ameziane, fils d’un typographe, lance les éditions Casbah, aujourd’hui l’entreprise de publication la plus puissante du pays. D’autres suivent : Chihab, Dahlab, Dar Al-Hikma, Dar Al-Kitab, etc. Des vingt-cinq maisons créées lors de cette première vague, seules six ont survécu à la décennie noire des années 1990, au cours de laquelle la violence étatique répondant à la violence islamiste fit entre cent cinquante mille et deux cent mille morts civils.

    Depuis dix ans, on assiste à un nouveau phénomène : la multiplication vertigineuse des maisons d’édition (entre trois cents et quatre cents actuellement), certaines minuscules et éphémères, d’autres plus solides. Parmi elles, quelques belles réussites apportent un nouveau souffle au secteur : Barzakh, Apic, Media Plus, etc. La raison de ce nombre exponentiel ? « L’Etat, via les ministères de la culture et des Moudjahidine, subventionne sur des crédits exceptionnels des dizaines de maisons d’édition », explique M. Kamel Cherit, fondateur des éditions Alger-Livres. Chaque grand événement culturel (2003, année de l’Algérie en France ; 2007, Alger capitale de la culture arabe ; 2009, festival panafricain ; 2011, Tlemcen capitale de la culture islamique ; 2012, cinquantenaire de l’indépendance, etc.) provoque l’ouverture d’un nouveau guichet, auquel peut s’adresser n’importe quel éditeur, certains se créant uniquement pour l’occasion.

    L’aide s’effectue sous forme d’achat d’exemplaires au prix public. Selon M. Mustapha Madi, responsable éditorial chez Casbah, « pour le cinquantenaire de l’indépendance, le ministère des moudjahidine [anciens combattants] a aidé six cent vingt titres, dont 90 % en arabe, en achetant à chaque fois mille exemplaires ». Même politique au ministère de la culture, mais avec davantage de livres en français, et l’achat de deux mille exemplaires par titre. Autre aide importante de l’Etat : l’organisation de plusieurs salons qui dynamisent considérablement le secteur, dont le très important Salon international du livre d’Alger (SILA), en automne.

    Côté librairies, la situation est moins réjouissante. En 1997, les quatre-vingt-quinze librairies de l’ENAL ont été privatisées, souvent cédées à leurs salariés. Un grand nombre, surtout dans les moyennes et petites villes, n’ont pas résisté. Aujourd’hui, le pays compte moins d’une trentaine de vraies librairies généralistes : une bonne dizaine à Alger, une demi-douzaine à Tizi-Ouzou, deux à Constantine, Oran et Bejaïa, quelques-unes ici ou là...

    Et, pour chaque livre publié, combien d’exemplaires vendus ? M. Tahar Dahmar, ancien comptable à l’ENAL, a repris l’une des librairies étatiques de Tizi Ouzou : « Trois mille exemplaires, c’est déjà un succès. La plupart des livres tirent à mille ou mille cinq cents, qui sont parfois difficiles à écouler. » Avec vingt-cinq mille exemplaires vendus, les Mémoires du président Chadli Bendjedid, vendues 1 000 dinars (10 euros), font figure d’extraordinaire succès. Fait étonnant : les essais historiques se vendent mieux que la littérature. « C’est vrai que nous vendons beaucoup de livres d’histoire — plus que de romans, confirme M. Dahmar. Mais ce qui nous fait vraiment vivre, c’est le parascolaire. Là-dessus, les parents ne regardent pas à la dépense. Et les manuels scolaires sont d’une telle pauvreté ! »

    Pierre Daum
    Journaliste.
    (1) L’ENAL a succédé en 1983 à la Société nationale de l’édition et de la diffusion (SNED), elle-même issue de la nationalisation, après l’indépendance, des sociétés françaises, dont Hachette.

    Succès de librairie pour les Mémoires de maquisards
    La guerre d’Algérie par ceux qui l’ont faite
    Pendant des décennies, la guerre d’Algérie fut le monopole des historiens — et des témoins — français. Désormais se multiplient les récits de moudjahidins et de « djounoud » (soldats) qui ont résisté durant huit ans au colonialisme. Ces documents, avec leurs limites, ont commencé à évoquer certains sujets délicats interdits par l’histoire officielle en Algérie.
    par Pierre Daum, août 2013 APERÇU
    Au centre-ville d’Alger, l’avenue Victor-Hugo a conservé son nom de l’époque coloniale. Large artère plantée de palmiers en contrebas de la rue Didouche-Mourad (ex-Michelet), elle abrite l’un des lieux de culture les plus agréables de la capitale : la librairie Kalimat (« les mots », en arabe). Un couple entre, la soixantaine, reçu avec un large sourire par Amel.

    « Alors, vous avez quoi de nouveau cette semaine ?

    Les Mémoires d’un capitaine de la wilaya I [préfecture des Aurès], un livre sur Abane Ramdane et le témoignage d’un ancien officier des services secrets de l’ALN [Armée de libération nationale] pendant la guerre.

    — D’accord, on prend tout !

    Avez-vous déjà lu le livre de Pierre et Claudine Chaulet, ce couple de pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance ?, demande la jeune vendeuse.

    Non, justement, la dernière fois vous étiez en rupture de stock. Si vous l’avez, c’est formidable ! »

    La patronne de Kalimat, Mme Fatiha Soal, commente : « Des clients comme cela, nous en avons des dizaines par jour. Ils veulent lire tout ce qui se publie sur l’histoire de l’Algérie, pendant la guerre, mais aussi juste après, à l’époque de [Ahmed] Ben Bella et de [Houari] Boumediène. Et, comme il sort chaque semaine de nouveaux livres sur ces sujets, c’est sans fin ! »

    Ces dernières années, un impressionnant phénomène est apparu en Algérie : la publication des Mémoires de centaines d’anciens maquisards. « Les grandes figures du mouvement de libération ont souvent déjà publié leurs souvenirs. précise l’historien Mohammed Harbi, qui, lui-même ancien membre du Front de libération nationale (FLN) de France, prépare le second tome de l’histoire de sa vie et de ses engagements. Mais ce qui est nouveau, et proprement phénoménal, c’est la publication de récits par des cadres intermédiaires, voire par de simples djounoud [soldats]. »

    De quoi parlent ces livres ? Essentiellement de faits de guerre, de ces milliers de microévénements qui constituèrent le quotidien des maquisards (...)
    Dernière modification par nacer-eddine06, 27 juillet 2013, 09h02.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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