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Samy Souihli, militant de gauche, réagit à l’assassinat du député Brahmi

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  • Samy Souihli, militant de gauche, réagit à l’assassinat du député Brahmi

    : « Moteur des mouvements populaires et sociaux, la gauche a de tout temps été ciblée »

    Écrit par Mehdia Belkadi




    Docteur Sami Souihli, secrétaire général du Syndicat tunisien des médecins, pharmaciens et dentistes de la santé publique, militant de gauche, revient dans cet entretien sur le climat politique, socioéconomique et sécuritaire qui a vu l’assassinat, jeudi, d’un 3e opposant en quelques mois seulement. Pour le syndicaliste, c’est une preuve de plus de l’échec des islamistes au pouvoir.



    Reporters : Quelle signification peut avoir l’assassinat du député opposant de gauche Mohamed Brahimi, qui semble être un assassinat politique ciblé, le deuxième en six mois ?

    Samy Souhli : Effectivement, il s’agit bien d’un assassinat politique. Il intervient dans un climat où la coalition au pouvoir, dirigée par les islamistes, est en mauvaise posture. Il est marqué par la lenteur est l’inaction politique et par une précarité sociale. La population est déjà exaspérée de la mauvaise gestion à tous les niveaux. Ce nouvel assassinat est pour elle la goutte qui fait déborder le vase.

    Seriez-vous en train d’imputer la responsabilité de ce qui vient de se passer au pouvoir actuel ?

    Oui, la responsabilité de l’insécurité, notamment celle que vivent les militants opposants, revient au pouvoir actuel. Avant Chokri Belaid il y a six mois, un autre militant avait été tué dans sa région au Sud. Mohamed Brahmi est donc la troisième victime. Pendant ce temps, la société n’a de cesse appelé les autorités à faire le nécessaire pour garantir la sécurité et à ce que toutes les opinions puissent s’exprimer. Mais nous assistons à l’échec de ce pouvoir.

    Cette fois-ci aussi, tous les regards se sont tournés vers les islamistes qui auraient commandité l’assassinat de Brahmi. Certains y ont vu une manœuvre visant à prendre le dessus dans le bras de fer avec l’opposition, principalement de gauche, qui a l’intention de lancer un mouvement Tamarrod à l’égyptienne, sans une intervention de l’armée cette fois-ci. Est-ce plausible ?

    Outre la responsabilité du climat actuel, beaucoup accusent les islamistes d’implication directe dans les assassinats ciblés. Il est vrai qu’on peut faire de la spéculation, penser que ce n’est pas un hasard que cet assassinat ait lieu maintenant ou y trouver un lien avec la transition imposée au Qatar, bailleur de fonds des islamistes, ou encore ce qui se passe en Egypte, où les islamistes ont été chassés du pouvoir. Chacun y va de sa lecture et quel que soit son degré de véracité, la réalité est que les Tunisiens sont en train de réagir à leur manière. Le mécontentement est là. Que les islamistes aient commandité l’assassinat ou pas, la population est déçue. Maintenant, je ne pense pas qu’on puisse réellement faire le parallèle avec l’Egypte. Une éventuelle éviction du pouvoir actuel se fera très probablement par le biais de l’Union générale des travailleurs tunisiens. Le mouvement social en Tunisie est beaucoup plus organisé. Il est beaucoup plus facile de pousser les gens à investir la rue. L’on n’a pas besoin d’une pétition de millions de signatures. Aussi, l’armée tunisienne n’est ni l’armée égyptienne ni l’armée algérienne ou turque. Elle n’a pas la prétention d’avoir le pouvoir et personne ne le lui attribue. Son rôle est secondaire, elle est même marginalisée. Par conséquent, je dirais que Tamarrod en Tunisie a pu inquiéter les islamistes au pouvoir – un des leurs a même tenu des propos menaçant de meurtre des membres du mouvement –, mais delà à dire qu’ils seraient passés au crime, je pense que c’est aller vite en besogne. Ils savent bien que les Tunisiens ne laisseraient jamais passer cela et les islamistes devront le payer très cher.

    Justement, les Tunisiens sont dans la rue et l’UGTT avec d’autres forces ont décidé du gel du dialogue national. Le Front populaire appelle à chasser le pouvoir. Jusqu’où cela peut-il aller ?

    L’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), l’ordre national des avocats de Tunisie, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme ont décidé de suspendre le dialogue national en attendant les décisions que prendra chaque partie (leur rôle avait été déterminent pendant la révolution de janvier, NDLR). Pour l’heure, elles ont appelé à une grève générale seulement. Elles restent prudentes et n’adoptent pas encore une position radicale, mais préfèrent attendre encore la réaction du gouvernement. L’on en saura un peu plus lundi. Le Front populaire (rejoint par le Parti des travailleurs ensuite, NDLR) a appelé à la désobéissance civile jusqu’à la chute de la coalition au pouvoir et la dissolution de la Constituante. Mais pour l’heure, il est encore tôt pour juger de l’ampleur de la mobilisation et de son impact.

    Avec ce deuxième assassinat d’un militant de gauche, peut-on établir que la gauche est visée ? Et pourquoi le serait-elle?

    La gauche a de tout temps été ciblée. Elle a toujours été le moteur des mouvements populaires et sociaux importants. Présente au sein de l’UGTA déjà, elle a porté les revendications sociales des travailleurs. Aussi, depuis l’arrivée de la coalition au pouvoir, la gauche a été très active en tant que force d’opposition, pas seulement pour porter des revendications socioéconomiques, mais également pour refuser le projet culturel qu’on tente de nous imposer. Ce courant est toujours le premier à prendre les décisions les plus radicales en faveur des droits des citoyens. Effectivement, l’on est en droit de dire que la gauche est ciblée d’autant que les récents choix économiques du pouvoir actuel sont de type ultralibéral aux répercussions négatives sur les citoyens qui commencent à les contester.

    L’assassinat de Chokri Belaid avait suscité une grande mobilisation des forces politiques, progressistes et de gauche, qui s’étaient engagées dans la construction d’un front uni capable de fournir une alternative crédible et peser dans l’accélération de la transition. Ne pensez-vous pas que celles-ci ont échoué et que cet échec perpétue ce climat de précarité, qui a conduit à ce deuxième assassinat ?

    La mobilisation suite à l’assassinat de Chokri Belaid a poussé la gauche à unir ses rangs ce qui est déjà un exploit ! La gauche a désormais un même représentant au Parlement. Il est vrai qu’aujourd’hui, le Front populaire est en train de travailler pour l’élaboration et la concrétisation d’un projet de société à même de répondre aux aspirations des citoyens, surtout ceux des régions et des milieux qu’il est censé représenter. D’ailleurs, son travail se répercute sur les intentions de vote qu’obtient la gauche dans les sondages. Elles avoisinent les 11 %. Les citoyens sont ainsi plus satisfaits du travail de la gauche, mais il faudra faire beaucoup plus. A vrai dire, pour être franc, ce qui nous manque maintenant, c’est un projet. Aucun des courants politiques n’a de projet pour la Tunisie, seul le FMI à un projet pour nous, basé sur une politique de capitaux spéculative et appauvrissante. D’ailleurs, la réaction à cette situation doit se faire à un niveau régional. Les peuples de la région se révoltent contre cette situation, même en Turquie.

    Ces peuples seraient-ils en train de « se réapproprier » leur révolution pour certains et contester le choix de l’islamisme et de l’ultralibéralisme ?

    Là aussi, j’éviterai une comparaison entre la Tunisie et l’Egypte en raison du rôle de l’armée. Cette dernière n’a jamais réellement quitté le pouvoir et est déterminée à ne pas le quitter. Néanmoins, la similitude réside dans le choix des islamistes et la déception qu’il a engendrée chez la population. Si l’on regarde l’histoire, toute élection qui suit une révolution voit la victoire des forces réactionnaires. Les islamistes bénéficiaient de beaucoup plus de moyens que les autres forces. Ennahda fait partie de l’international islamiste et dispose donc d’un réseau mondial et du soutien de bailleurs de fonds comme le Qatar et les Etats-Unis. On ne peut pas les comparer à la gauche qui peine à payer le loyer de son siège à la fin du mois. Maintenant, il y a cette démobilisation qui est flagrante chez la population. Si l’on a cherché à connaître le projet des islamistes au début, nous avons pu voir maintenant qu’ils sont au pouvoir que leur projet remettait en question l’entité de l’Etat tunisien et les principes de la révolution. Leur projet étant clair maintenant, les citoyens n’en veulent plus. Et ils les chasseront.

    Quelle peut être à présent ? l’évolution des évènements Pensez-vous qu’il y aura une nouvelle décantation dans
    la société tunisienne, à même de donner un coup d’accélérateur pour sortir de cette période de transition
    ou craignez-vous l’escalade ?


    Les deux scénarios sont plausibles. Mais le premier me semble plus probable. L’arrivée des islamistes au pouvoir s’est faite dans un contexte précis. Leur score de 40 % a été obtenu lors d’élections auxquelles la moitié des électeurs inscrits n’a pas voté. On estime leur valeur réelle aujourd’hui à pas plus de 9 %. Je pense qu’on ira vers un passage politique où les différences forces tenteront de rééquilibrer le paysage politique, même si ce passage risque d’être entravé par le recours à la violence des partisans des islamistes, qui, bien que contestés, tenteront de garder tout le pouvoir qu’ils ont.

    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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