BADR CHAKIR AL-SAYYAB
( 1926 - 1964)
( 1926 - 1964)
Représentant de l'avant- garde dans son pays (l'Iraq), il n`ignore pas que la transformation de la société n`est qu`un mirage si les hommes qui la composent ne font pas d'abord l'effort de s'interroger sur les mensonges du réel: la poésie est la' pour ça, crible par excellence des formes du monde sensible. Il la pratique avec une saine rudesse, décapant les mots de la rouille accumulée au long des siècles. Ses principaux recueils : Ounchoûdat al-matar (La Chanson de la pluie); Awrâq zâbilat (Feuilles fanées); Al-M-a`bad. al-ghariq (Le Temple englouti).
La chambre a sa porte close, le silence est profond,
les rideaux tirés de ma fenêtre tombent jusqu'au sol.
Il se peut que la rue prête l'oreille pour m'écouter,
pour me guetter derrière la fenêtre.
Et mes habits, tels ceux d'un épouvantail planté en plein
champ sont noirs.
La porte close leur a donné une âme.
Elle a enfoui en eux des lambeaux de sentiments;
elle va les réveiller de cette mort
qui les tient, et les voilà prêts à me chuchoter à l'oreille,
dans le silence profond:
Il ne reste plus un seul ami, pour venir te visiter
dans la nuit terne, et la chambre a sa porte close."
J'ai revêtu mes habits comme en un rêve
et je me suis faufilé dans la nuit :
viendra certainement à ma rencontre ma mère
dans cette terre des morts, là-bas,par ses enfants
abandonnée.
Et elle me dira: " Où cours-tu ainsi
en cette nuit aveugle sans même un ami?
Tu as faim? Veux-tu goûter avec moi
les caroubes du champ des morts?
L'eau, tu l'aspireras à brèves gorgées
du sein de la terre.
Ne vois-tu pas dans quel état sont tes habits? Prends donc
ce bout de drap arraché à mon linceul!
C'est une étoffe que le temps même ne saurait user.
C'est `Azrîl, l'Ange de la Mort, qui l'a tissée,
et viendrait-elle à se fatiguer qu'il la raccommoderait!
Allons, viens-t'en chez moi dormir:
j'ai préparé une place dans ce litprofond
pour toi, qui m'es plus cher encore que le désir,
ce désir que les morts conservent du soleil
et de l'onde paresseuse...
ce désir qui attend l'heure où le chant du coq viendra sonner
à tous les horizons
au Jour de la Résurrection! "
Alors je m'en irai par les chemins du rêve
alors je marcherai vers l'ultime rencontre
et celle qui viendra sera encore ma mère!
Bader Chakir Al-Sayyab
J'ai lu , aimé je partage
M.G...