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Pologne : L’autoroute bloquée par le choc des civilisations

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  • Pologne : L’autoroute bloquée par le choc des civilisations

    La construction de l’A2 par le groupe Covec devait marquer l’implantation du géant du BTP chinois en Europe. Mais celui-ci a mal évalué les arcanes des marchés publics polonais et a du suspendre les travaux.

    Pas de chance, avec cette autoroute! D’abord, on a repoussé la date de construction, jusqu’à ce que le gouvernement de Jaroslaw Kaczynski [2006-2007] décide de la confier à un investisseur privé, avec une concession de service public. L’appel d’offres a été reconduit plusieurs fois faute d’investisseur, et les banques susceptibles de financer le chantier se sont esquivées.

    Quand, avec le nouveau gouvernement [de Donald Tusk], la situation juridique a été enfin éclaircie, on s’est rendu compte que les délais étaient très serrés pour achever la construction avant l’Euro 2012. On a donc décidé d’effectuer les travaux par tranches et de les répartir entre plusieurs entreprises. C’est là que sont apparus les Chinois.

    Covec [China Overseas Engineering Group] est un grand conglomérat d’Etat en Chine. Avec un chiffre d’affaires annuel de 25 milliards de dollars, c’est la troisième entreprise de BTP au monde. Déjà implanté en Asie et en Afrique, il ne cache pas son intérêt pour l’Europe. C’est pourquoi, après une série d’entretiens intergouvernementaux au cours desquels les Polonais ont fait leur possible pour l’enjôler, Covec a finalement dit oui.

    Joie et indignation

    Pour commencer, il a déposé une offre pour deux tronçons de l’A2. Tous ont été pétrifiés: les uns de joie – la Direction générale des routes nationales et des autoroutes (GDDKiK) –, les autres d’indignation – les concurrents polonais.Les Chinois proposaient un prix deux fois inférieur au budget prévu ! "A ce prix, on ne peut pas construire d’autoroute. C’est du pur dumping. C’est pourquoi nous avons saisi l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs et la Commission européenne", s’indigne Wojciech Malusi, président de la Chambre du transport routier.

    Covec a fait une réponse circonstanciée, expliquant que sa position économique lui permettait de réaliser l’investissement avec ses fonds propres et qu’il pouvait réaliser des économies substantielles sur les équipements et les matières premières. Sans compter les salaires des ouvriers chinois, moins chers que ceux des polonais. Le marché de la construction des routes en Pologne est dominé par les grandes firmes du BTP. La plupart sont arrivées ici en rachetant des entreprises polonaises ou en participant à leur privatisation.

    Elles disposent d’une base logistique, de personnel, de moyens de production. Si nécessaire, elles confient une partie des travaux aux sous-traitants polonais. C’est pourquoi tous ont été surpris de voir les Chinois s’engager dans le projet sans rien de tout cela. Au début, la stratégie de Covec était simple : embaucher des sous-traitants locaux pour tout faire. Mais pour honorer le contrat tout en réalisant de la marge, il fallait économiser sur les sous-traitants. Résultat: personne ne s’est présenté.

    Les Chinois ont compris que toute la branche du BTP s’était liguée contre eux. Ils ont eu un mal fou pour trouver des fournisseurs, que ce soit pour louer du matériel ou pour acheter des matériaux de construction. “Ils baissent les prix, nous piquent du travail, démolissent le marché et on devrait les aider? Jamais de la vie!”, déclare le dirigeant d’une entreprise polonaise, qui préfère garder l’anonymat. Comme lui, tous les constructeurs de routes en Pologne sont persuadés que l’A2 va être une camelote chinoise de la plus belle eau.

    Covec pris au piège

    A la direction des routes et au ministère, l’atmosphère est tendue : on pense que les Chinois doivent se débrouiller, car c’est une question de prestige pour eux. Soit ils réussissent sur l’A2, soit ils abandonnent et dans ce cas, ils ne pourront plus répondre à un appel d’offres public. Le marché de l’UE sur lequel ils comptent leur sera fermé. Covec s’est depuis longtemps rendu compte qu’il était pris au piège faute d’avoir pris en compte plusieurs risques. L’idée d’importer les équipements et les matériaux de construction n’était pas bonne: la Chine est trop loin, les machines n’ont pas de certificat communautaire. La centrale chinoise n’a pas avancé les sommes prévues et Covec a été condamné à attendre le paiement de la GDDKiA [la Direction des routes et autoroutes] pour avancer.

    De plus, les Chinois n’ont pas prévu l’augmentation des prix du carburant. L’année dernière, le prix de l’asphalte a augmenté de 100 %. Sans parler de l’augmentation de la TVA, des impôts, des taxes, du ciment, de l’acier… Pour le moment, les Chinois font contre mauvaise fortune bon cœur. Ils sourient et expliquent qu’ils font leurs débuts sur le marché européen et qu’ils doivent apprendre. Ils n’ont pas l’intention de faire du dumping, la preuve est qu’ils n’ont pas gagné la deuxième ligne du métro de Varsovie, car il y a eu des offres moins chères.

    Ils vont construire l’autoroute à temps et elle sera de bonne qualité, assurent-ils. Pour leurs concurrents, c’est une histoire à dormir debout. Les pertes seront énormes, la qualité douteuse. En un mot, au lieu de la route de l’amitié sino-polonaise, ce sera une catastrophe. D’ailleurs c’est ce qu’ils souhaitent de tout cœur.

    Adam Grzeszak
    Courrier international, n° 1076
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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