Au-delà du 60e parallèle nord, rien n’est plus comme ailleurs. Le temps, le climat, les saisons et les gens sont différents. En été, le soleil ne se couche pratiquement pas sur le Groenland, terre de l’extrême, rattachée pour l’instant au lointain royaume du Danemark. Pour les rares jeûneurs du Ramadhan qui y vivent, il faut revoir tous les calculs.
Trop de Danois, s’emporte Pavia, le regard fixé sur le détroit de Davis, couloir marin de 500 kilomètres de large, qui relie, à l’ouest, le Groenland au Canada.
Juillet, un vent glacial fait claquer le drapeau du Kalaallit Nunaat, le Groenland, rattaché au Royaume du Danemark depuis le XVIIIe siècle.
64°11’ Nord, Nuuk en est la capitale, agglomération déposée sur un fjord méandres au milieu d’un monde totalement minéral où il n’y a pas un seul arbre. Au nord de la ville, le vieux port de Qanaaniviit. Là où au marché traditionnel de Kalaaliareq, on découpe encore les gros poissons à la hache, parfois les baleines quand on en attrape. Là où trône aussi sur un mont de granit aussi vieux que la Terre la statue de Hans Egede, le missionnaire norvégo-danois venu à Nuuk évangéliser les Vikings en 1720. Il ne les a pas trouvés. Premiers envahisseurs du Groenland au Xe siècle, les durs Vikings ont tous disparu à cause du froid, des maladies et de la faim, refusant d’apprendre les techniques de pêche des Inuits, la population locale. Cette dernière étant encore vivante, Hans Egede les a christianisés.
7h. Le regard toujours fixé sur le Nunavut, province autonome canadienne où vivent ses cousins inuits d’Amérique du Nord, Pavia, avec sa bonne tête d’Asiatique bronzé, plisse ses yeux déjà bridés :
- En 5 heures avec un bateau rapide, on peut y être.
- Et en kayak ?
C’est avec le kayak (mot local : qayaq en réalité, avec les «q» qui se prononcent en «qaf» comme en arabe ou en tamazight) que les Inuits ont pu survivre, pêchant et naviguant, faisant s’autodétruire le Viking, qui ne désigne plus qu’aujourd’hui que le nom d’une bière. D’ici, du vieux port, avec un peu de chance on peut voir les baleines passer le détroit bordant Nuuk, qui signiifie «presqu’île» en inuktitut, la langue inuite. Les baleines boréales de l’espère arctique peuvent vivre plusieurs siècles et les plus vieilles d’entre elles ont peut-être pu voir Hans Egede poser le pied ici en 1721. Le froid conserve et la température vient encore de chuter. Au large, un iceberg s’est formé avec une extraordinaire rapidité.
- Trop de Danois, répète encore Pavia, une bière danoise à la main, indiquant que non, Pavia ne fera pas le Ramadhan. Les Inuits, pas tous, boivent très tôt, pour ne pas dire tout le temps, un peu comme les Indiens d’Amérique, déchus par la fin de leur système. C’est le mois de Ramadhan au bord du cercle arctique, qui semble être la limite septentrionale de l’islam. Assis sur un banc face à la mer, cet Inuk sévère (Inuk est le singulier de Inuits), déteste Nuuk :
- Pas de travail pour nous ici, et pour avoir un logement social, il faut attendre 20 ans, explique-t-il.
Sur le port, mouettes blanches et corbeaux noirs ne se disputent pourtant pas, la mer y est très poissonneuse, ce qui a d’ailleurs poussé le Groenland à quitter l’Union européenne pour cause de quotas de pêche. Pavia n’aime pas Nuuk, lui préférant les villages 100% Inuits. Il a un problème avec les Blancs et vit à Qaqortoq, au sud du Groenland. Qaqortoq d’ailleurs, ville mondialement imprononçable, désigne la couleur blanche en inuktitut. Mais celle de la glace, pas celle des hommes.
La théorie des Bloks
Un adolescent d’une douzaine d’années marche nonchalamment avec un fusil de chasse sur l’épaule et une casquette US sur la tête. Une autre, Inuite, est teinte en blonde et fait son jogging matinal au pied du Sermitiaq, la montagne fétiche de Nuuk, dressée au nord-est avec ses angles très aigus. Le soleil est voilé derrière les nuages mais déjà debout depuis 2 heures du matin. 22 heures de soleil par jour sur ce continent extrême, le Ramadhan semble bien compromis. Nous sommes au new Nuuk, la nouvelle ville, reconnaissable à ses barres de béton de logements sociaux contrastant avec les petites maisons en bois de type scandinave. Si le centre de la ville est tout petit, la surface de la municipalité l’incluant, Sermersooq, en fait la plus vaste ville du monde avec ses 490 km2 pour 15 000 habitants. Une immense terre désolée pour des Inuits mondialisés, serrés dans leurs barres de béton. Sur l’une d’entre elles, une affiche dessinée ironise : NYC, Nuuk York City.
9h. Les innombrables chantiers de construction ont déjà débuté. La ville s’étend rapidement, les contremaîtres sont Danois, les ouvriers inuits. Et le Ramadhan ? Il est là, grand et blanc, presque carré, cheveux très blonds avec des yeux vert clair. Il est Danois et, depuis quelques années, est musulman, converti grâce à sa femme Drissia, une Berbère marocaine venue ici il y a 6 ans à la recherche d’un travail.
- J’ai rencontré mon mari quand je travaillais à l’office du tourisme, explique-t-elle dans son nouveau bureau institutionnel de Greenland.com, là où le gouvernement tente de développer le tourisme. Son mari voulait connaître la ville et le Groenland, lointaine possession danoise :
- Il était professeur de droit à Copenhague (Danemark) et s’intéressait déjà à l’islam.
Drissia, sortie de ses montagnes de Tizi Ougli dans le Rif, n’a eu qu’à le pousser. Mariés sans enfant, ils jeûnent ensemble. Oui, mais combien ?
- Ici à Nuuk, ce n’est pas possible de jeûner 22 heures. Alors on s’aligne sur la France. Pourquoi la France ? En contact internet régulier avec un fqih de Copenhague (Danemark), le couple apprend qu’il peut s’aligner sur l’heure d’un pays plus clément, une fatwa déconseillant de jeûner plus de 18 heures. De fait, le soleil ne sert plus à rien et la France, où ont émigré les parents de Drissia, est un pays clément, même Bouteflika le sait.
- Le f’tour ? 21h15. S’hor ? 4 heures du matin. On met le réveil, avec mon mari, on mange et on se rendort.
Une Marocaine, près de 4000 Danois et 1000 Islandais vivent au Groenland. Il y a pourtant beaucoup de couples mixtes à Nuuk même si le brassage social ne se voit pas trop. De fait, les sentiments d’indépendance sont partagés et le système danois y est peut-être pour quelque chose, la reine-mère Margrethe II du Danemark assurant 50% du budget du Groenland. Ce qui compromet sérieusement les rêves de détachement de la banquise. Pavia, l’Inuit de Qaqortoq, n’est évidemment pas de cet avis.
11h. Le soleil semble immobile au milieu du ciel. Marché central, sur le grand boulevard Aqqusinersuaq. Les Inuits vendent bijoux, poissons, viande de phoque, vêtements d’occasion, bois de cerf sculptés et ivoire de morse, une Xbox d’occasion et même une guitare électrique. Des souvenirs aussi bien sûr, comme ces T-shirts marqués «Greenland, the coolest place in the world», jeu de mots en anglais entre «froid» et «cool».
Quelques touristes traînent, auxquels Anaaq, une Inuite farouche militante indépendantiste, tente de vendre du haschich marocain. Non, elle ne sait pas où est le Maroc.
- Mais comment est-il arrivé ici ?
- Par le Danemark, je suppose...
Si elle ne connaît pas le Maroc ni le Maghreb, Anaaq, la quarantaine, est fière de Aleqa Hammond, première femme Première ministre du Groenland, qu’elle dit connaître personnellement et pour laquelle est a voté en mars dernier. Elle est formelle :
- Le prochain vote sera celui de l’indépendance.
Au marché aux poissons, Pia préfère la viande. Issue d’un couple mixte, de père inuit et de mère danoise retournée depuis à Copenhague, elle est née ici, il y a 35 ans et n’a jamais quitté cette terre hostile. Mais avec ses 1,80 m et sa forte corpulence, elle revendique la culture danoise et pense que le Groenland ne sera pas indépendant avant 50 ans :
- Les politiciens disent n’importe quoi.
Elle doit savoir de quoi elle parle, son père était policier et a fini politicien pro-indépendance. Tout comme le frère de Pia, policier et politicien aussi :
- Il vit comme un Inuit, explique-t-elle comme pour s’en démarquer. Il ne mange que du poisson.
Pia comprend pourtant l’inuit même si elle ne le parle pas et elle a donné un prénom inuit à son fils. Mais entre les deux cultures, elle préfère la danoise et dans sa petite maison au sud de Nuuk, elle ferme sa porte à clé, de crainte des voleurs.
- Les Inuits ?
- Alcooliques et fainéants.
Trop de Danois, s’emporte Pavia, le regard fixé sur le détroit de Davis, couloir marin de 500 kilomètres de large, qui relie, à l’ouest, le Groenland au Canada.
Juillet, un vent glacial fait claquer le drapeau du Kalaallit Nunaat, le Groenland, rattaché au Royaume du Danemark depuis le XVIIIe siècle.
64°11’ Nord, Nuuk en est la capitale, agglomération déposée sur un fjord méandres au milieu d’un monde totalement minéral où il n’y a pas un seul arbre. Au nord de la ville, le vieux port de Qanaaniviit. Là où au marché traditionnel de Kalaaliareq, on découpe encore les gros poissons à la hache, parfois les baleines quand on en attrape. Là où trône aussi sur un mont de granit aussi vieux que la Terre la statue de Hans Egede, le missionnaire norvégo-danois venu à Nuuk évangéliser les Vikings en 1720. Il ne les a pas trouvés. Premiers envahisseurs du Groenland au Xe siècle, les durs Vikings ont tous disparu à cause du froid, des maladies et de la faim, refusant d’apprendre les techniques de pêche des Inuits, la population locale. Cette dernière étant encore vivante, Hans Egede les a christianisés.
7h. Le regard toujours fixé sur le Nunavut, province autonome canadienne où vivent ses cousins inuits d’Amérique du Nord, Pavia, avec sa bonne tête d’Asiatique bronzé, plisse ses yeux déjà bridés :
- En 5 heures avec un bateau rapide, on peut y être.
- Et en kayak ?
C’est avec le kayak (mot local : qayaq en réalité, avec les «q» qui se prononcent en «qaf» comme en arabe ou en tamazight) que les Inuits ont pu survivre, pêchant et naviguant, faisant s’autodétruire le Viking, qui ne désigne plus qu’aujourd’hui que le nom d’une bière. D’ici, du vieux port, avec un peu de chance on peut voir les baleines passer le détroit bordant Nuuk, qui signiifie «presqu’île» en inuktitut, la langue inuite. Les baleines boréales de l’espère arctique peuvent vivre plusieurs siècles et les plus vieilles d’entre elles ont peut-être pu voir Hans Egede poser le pied ici en 1721. Le froid conserve et la température vient encore de chuter. Au large, un iceberg s’est formé avec une extraordinaire rapidité.
- Trop de Danois, répète encore Pavia, une bière danoise à la main, indiquant que non, Pavia ne fera pas le Ramadhan. Les Inuits, pas tous, boivent très tôt, pour ne pas dire tout le temps, un peu comme les Indiens d’Amérique, déchus par la fin de leur système. C’est le mois de Ramadhan au bord du cercle arctique, qui semble être la limite septentrionale de l’islam. Assis sur un banc face à la mer, cet Inuk sévère (Inuk est le singulier de Inuits), déteste Nuuk :
- Pas de travail pour nous ici, et pour avoir un logement social, il faut attendre 20 ans, explique-t-il.
Sur le port, mouettes blanches et corbeaux noirs ne se disputent pourtant pas, la mer y est très poissonneuse, ce qui a d’ailleurs poussé le Groenland à quitter l’Union européenne pour cause de quotas de pêche. Pavia n’aime pas Nuuk, lui préférant les villages 100% Inuits. Il a un problème avec les Blancs et vit à Qaqortoq, au sud du Groenland. Qaqortoq d’ailleurs, ville mondialement imprononçable, désigne la couleur blanche en inuktitut. Mais celle de la glace, pas celle des hommes.
La théorie des Bloks
Un adolescent d’une douzaine d’années marche nonchalamment avec un fusil de chasse sur l’épaule et une casquette US sur la tête. Une autre, Inuite, est teinte en blonde et fait son jogging matinal au pied du Sermitiaq, la montagne fétiche de Nuuk, dressée au nord-est avec ses angles très aigus. Le soleil est voilé derrière les nuages mais déjà debout depuis 2 heures du matin. 22 heures de soleil par jour sur ce continent extrême, le Ramadhan semble bien compromis. Nous sommes au new Nuuk, la nouvelle ville, reconnaissable à ses barres de béton de logements sociaux contrastant avec les petites maisons en bois de type scandinave. Si le centre de la ville est tout petit, la surface de la municipalité l’incluant, Sermersooq, en fait la plus vaste ville du monde avec ses 490 km2 pour 15 000 habitants. Une immense terre désolée pour des Inuits mondialisés, serrés dans leurs barres de béton. Sur l’une d’entre elles, une affiche dessinée ironise : NYC, Nuuk York City.
9h. Les innombrables chantiers de construction ont déjà débuté. La ville s’étend rapidement, les contremaîtres sont Danois, les ouvriers inuits. Et le Ramadhan ? Il est là, grand et blanc, presque carré, cheveux très blonds avec des yeux vert clair. Il est Danois et, depuis quelques années, est musulman, converti grâce à sa femme Drissia, une Berbère marocaine venue ici il y a 6 ans à la recherche d’un travail.
- J’ai rencontré mon mari quand je travaillais à l’office du tourisme, explique-t-elle dans son nouveau bureau institutionnel de Greenland.com, là où le gouvernement tente de développer le tourisme. Son mari voulait connaître la ville et le Groenland, lointaine possession danoise :
- Il était professeur de droit à Copenhague (Danemark) et s’intéressait déjà à l’islam.
Drissia, sortie de ses montagnes de Tizi Ougli dans le Rif, n’a eu qu’à le pousser. Mariés sans enfant, ils jeûnent ensemble. Oui, mais combien ?
- Ici à Nuuk, ce n’est pas possible de jeûner 22 heures. Alors on s’aligne sur la France. Pourquoi la France ? En contact internet régulier avec un fqih de Copenhague (Danemark), le couple apprend qu’il peut s’aligner sur l’heure d’un pays plus clément, une fatwa déconseillant de jeûner plus de 18 heures. De fait, le soleil ne sert plus à rien et la France, où ont émigré les parents de Drissia, est un pays clément, même Bouteflika le sait.
- Le f’tour ? 21h15. S’hor ? 4 heures du matin. On met le réveil, avec mon mari, on mange et on se rendort.
Une Marocaine, près de 4000 Danois et 1000 Islandais vivent au Groenland. Il y a pourtant beaucoup de couples mixtes à Nuuk même si le brassage social ne se voit pas trop. De fait, les sentiments d’indépendance sont partagés et le système danois y est peut-être pour quelque chose, la reine-mère Margrethe II du Danemark assurant 50% du budget du Groenland. Ce qui compromet sérieusement les rêves de détachement de la banquise. Pavia, l’Inuit de Qaqortoq, n’est évidemment pas de cet avis.
11h. Le soleil semble immobile au milieu du ciel. Marché central, sur le grand boulevard Aqqusinersuaq. Les Inuits vendent bijoux, poissons, viande de phoque, vêtements d’occasion, bois de cerf sculptés et ivoire de morse, une Xbox d’occasion et même une guitare électrique. Des souvenirs aussi bien sûr, comme ces T-shirts marqués «Greenland, the coolest place in the world», jeu de mots en anglais entre «froid» et «cool».
Quelques touristes traînent, auxquels Anaaq, une Inuite farouche militante indépendantiste, tente de vendre du haschich marocain. Non, elle ne sait pas où est le Maroc.
- Mais comment est-il arrivé ici ?
- Par le Danemark, je suppose...
Si elle ne connaît pas le Maroc ni le Maghreb, Anaaq, la quarantaine, est fière de Aleqa Hammond, première femme Première ministre du Groenland, qu’elle dit connaître personnellement et pour laquelle est a voté en mars dernier. Elle est formelle :
- Le prochain vote sera celui de l’indépendance.
Au marché aux poissons, Pia préfère la viande. Issue d’un couple mixte, de père inuit et de mère danoise retournée depuis à Copenhague, elle est née ici, il y a 35 ans et n’a jamais quitté cette terre hostile. Mais avec ses 1,80 m et sa forte corpulence, elle revendique la culture danoise et pense que le Groenland ne sera pas indépendant avant 50 ans :
- Les politiciens disent n’importe quoi.
Elle doit savoir de quoi elle parle, son père était policier et a fini politicien pro-indépendance. Tout comme le frère de Pia, policier et politicien aussi :
- Il vit comme un Inuit, explique-t-elle comme pour s’en démarquer. Il ne mange que du poisson.
Pia comprend pourtant l’inuit même si elle ne le parle pas et elle a donné un prénom inuit à son fils. Mais entre les deux cultures, elle préfère la danoise et dans sa petite maison au sud de Nuuk, elle ferme sa porte à clé, de crainte des voleurs.
- Les Inuits ?
- Alcooliques et fainéants.
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