LE PLUS. Face à l'indignation d'une large partie de la société marocaine, le roi Mohammed VI a retiré la grâce qui avait été accordée à l'Espagnol Daniel Galvan Fina, condamné à 30 ans de prison pour pédophilie. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette crise ? Le décryptage de Jean-Pierre Massias, professeur de droit et consultant auprès du Conseil de l'Europe.
Le retrait par le roi Mohammed VI de la grâce qu'il avait précédemment accordée au pédophile espagnol Daniel Galvan Fina qui était détenu au Maroc et l'arrestation de celui-ci par la police espagnole viennent de mettre un terme à une crise dont il faut désormais tirer un certain nombre d’enseignements.
Les circonstances de l'affaire sont désormais bien connues. Le multirécidiviste sexuel qui avait été condamné par la justice marocaine à 30 ans de prison faisait partie d'une liste de 48 prisonniers espagnols graciés dans la foulée de la visite du roi Juan Carlos à la mi-juillet au Maroc.
Une grâce signe de l'amitié entre les deux souverains
Cette grâce collective, intervenue à la demande de Juan Carlos, était le signe d'une amitié personnelle entre les souverains espagnol et marocain, doublée d'un partenariat politique et économique qui s'est considérablement consolidé au cours des dernières années entre les deux royaumes voisins.
Toutefois, l’annonce de la libération du pédophile espagnol avait enflammé les réseaux sociaux et fait descendre dans la rue de nombreux protestataires. Aussi, le roi Mohammed VI prenant la mesure de l’erreur qui venait d’être commisea-t-il décidé de retirer la grâce après que le Palais royal a clairement dit que le souverain marocain n'avait pas été informé de la gravité des "crimes abjects" pour lesquels le pédophile espagnol a été condamné.
Ayant profité de la grâce pour quitter le Maroc, Daniel Galvan Fina a été finalement arrêté par la police espagnole et devra purger désormais sa peine de prison en Espagne.
Paradoxalement, alors même que cette affaire intervient dans un contexte qui a vu de nombreux gouvernements issus du Printemps arabe faire l’objet de contestations radicales, et aurait pu déstabiliser l’État, elle apparaît finalement comme l'indicateur non seulement de la vigueur des aspirations de la société marocaine mais aussi de la réalité de la démocratisation engagée et – surtout ? – du rôle fondamental du monarque dans la conduite de cette mutation démocratique.
Un bon indicateur de la vitalité démocratique du pays
L’annonce de la grâce royale a donc suscité une vague très importante de protestations témoignant d’abord de l’indignation de la société marocaine face à la pédophilie mais aussi – et surtout – de sa capacité à se mobiliser en dehors même des formations politiques.
Cette mobilisation est donc la preuve de l’étonnante vitalité de la société civile au Maroc et de l’ancrage social d’un impressionnant réseau d’organisations et d’associations qui ont foisonné au cours de la dernière décennie dans le pays. Parmi ces innombrables ONG, figure "Touche pas à mon enfant", l’Association marocaine de protection de l’enfance qui estime à plus de 26.000 les enfants violés annuellement dans le pays (ce phénomène se développant au cours des dernières années, particulièrement dans les villes à grande fréquentation touristique).
Les réseaux sociaux ont été déterminants dans la mise sous pression du Palais et constituent à ce titre – comme dans d’autres sociétés – de véritables "lanceurs d’alerte" dans le Maroc post-Printemps arabe. Par ailleurs, cet activisme a fortement contrasté avec le silence observé par les acteurs et les partis politiques.
La crise des grâces royales est donc bien le symbole d’une mutation socio-politique. Il s’agit de la substitution d’un espace politique partisan qui, pour l’instant – à l’image du Parti de la justice et du développement (PJD) – semble avoir du mal à pleinement trouver sa place dans la société vers un espace social plus dynamique et réactif. Cette évolution, qui aurait pu avoir des conséquences destructrices quant au régime politique en place au Maroc, est donc paradoxalement la marque des politiques libératrices impulsées depuis l’accession au pouvoir du roi.
Une rupture dans les usages de la monarchie marocaine
Ce type de contestation sociale, au-delà de son contenu, est très souvent un marqueur de la réalité de la démocratisation et bon nombre de pouvoirs post-autoritaires, faute de n’avoir pas écouté les protestations sociales, se sont retrouvés chassés du pouvoir. Ce ne fut pas le cas ici, cette crise révélant une rupture fondamentale avec les pratiques héritées du passé et sans équivalent depuis l’indépendance du royaume.
C’est à l’aune de ces données qu’il faut juger la décision d’annulation de la grâce royale : elle constitue un fait exceptionnel et une rupture sans précédent dans les usages de la monarchie marocaine. En effet, jamais le Palais royal n'a retiré sa grâce à l’un des centaines de prisonniers graciés chaque année à l’occasion des diverses fêtes religieuses ou nationales. Cette mutation tient d’abord dans la communication et le discours du roi.
En effet, le Palais a diffusé deux communiqués, le premier reconnaissant une "regrettable erreur" et annonçant la mise en place d’une commission d’enquête chargée de déterminer les responsables de cette faute. Par la suite, un second communiqué a annoncé l’annulation de la grâce accordée au pédophile espagnol.
La volonté du monarque de répondre à la demande sociale ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette seule annulation et a débouché à la fois sur des directives visant à renvoyer en prison Daniel Galvan Fina (le souverain marocain a confié aux canaux officiels marocains la coordination avec leurs homologues espagnols pour se saisir de l’affaire, ce qui a débouché sur son arrestation très rapide ) et à tirer – au-delà des questions liées à la politique internationale et aux relations avec l’Espagne – un bilan des dysfonctionnements qui sont à l’origine de cette affaire.
Mohammed VI a enfin demandé au ministre de la Justice de lui proposer des mesures destinées à "sécuriser" dorénavant les conditions d’octroi de la grâce royale. Dans cette perspective, c'est bien une révision de l'ensemble du système des grâces qui a été impulsée afin que de telles erreurs ne se produisent plus à l'avenir.
Cette volonté devait d’ailleurs se traduire très rapidement dans les faits puisque dès le lundi 5 août un communiqué du Cabinet royal relevait que l’"enquête a ainsi permis de localiser la défaillance au niveau de la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion et de retenir son entière responsabilité", et entraîner par conséquence "la révocation du délégué général à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion".
Prenant pleinement en considération l’intensité de la crise et la profondeur des questions qu’elle révèle, la réponse royale s’est inscrite dans une perspective tout autant structurelle que conjoncturelle.
Le retrait par le roi Mohammed VI de la grâce qu'il avait précédemment accordée au pédophile espagnol Daniel Galvan Fina qui était détenu au Maroc et l'arrestation de celui-ci par la police espagnole viennent de mettre un terme à une crise dont il faut désormais tirer un certain nombre d’enseignements.
Les circonstances de l'affaire sont désormais bien connues. Le multirécidiviste sexuel qui avait été condamné par la justice marocaine à 30 ans de prison faisait partie d'une liste de 48 prisonniers espagnols graciés dans la foulée de la visite du roi Juan Carlos à la mi-juillet au Maroc.
Une grâce signe de l'amitié entre les deux souverains
Cette grâce collective, intervenue à la demande de Juan Carlos, était le signe d'une amitié personnelle entre les souverains espagnol et marocain, doublée d'un partenariat politique et économique qui s'est considérablement consolidé au cours des dernières années entre les deux royaumes voisins.
Toutefois, l’annonce de la libération du pédophile espagnol avait enflammé les réseaux sociaux et fait descendre dans la rue de nombreux protestataires. Aussi, le roi Mohammed VI prenant la mesure de l’erreur qui venait d’être commisea-t-il décidé de retirer la grâce après que le Palais royal a clairement dit que le souverain marocain n'avait pas été informé de la gravité des "crimes abjects" pour lesquels le pédophile espagnol a été condamné.
Ayant profité de la grâce pour quitter le Maroc, Daniel Galvan Fina a été finalement arrêté par la police espagnole et devra purger désormais sa peine de prison en Espagne.
Paradoxalement, alors même que cette affaire intervient dans un contexte qui a vu de nombreux gouvernements issus du Printemps arabe faire l’objet de contestations radicales, et aurait pu déstabiliser l’État, elle apparaît finalement comme l'indicateur non seulement de la vigueur des aspirations de la société marocaine mais aussi de la réalité de la démocratisation engagée et – surtout ? – du rôle fondamental du monarque dans la conduite de cette mutation démocratique.
Un bon indicateur de la vitalité démocratique du pays
L’annonce de la grâce royale a donc suscité une vague très importante de protestations témoignant d’abord de l’indignation de la société marocaine face à la pédophilie mais aussi – et surtout – de sa capacité à se mobiliser en dehors même des formations politiques.
Cette mobilisation est donc la preuve de l’étonnante vitalité de la société civile au Maroc et de l’ancrage social d’un impressionnant réseau d’organisations et d’associations qui ont foisonné au cours de la dernière décennie dans le pays. Parmi ces innombrables ONG, figure "Touche pas à mon enfant", l’Association marocaine de protection de l’enfance qui estime à plus de 26.000 les enfants violés annuellement dans le pays (ce phénomène se développant au cours des dernières années, particulièrement dans les villes à grande fréquentation touristique).
Les réseaux sociaux ont été déterminants dans la mise sous pression du Palais et constituent à ce titre – comme dans d’autres sociétés – de véritables "lanceurs d’alerte" dans le Maroc post-Printemps arabe. Par ailleurs, cet activisme a fortement contrasté avec le silence observé par les acteurs et les partis politiques.
La crise des grâces royales est donc bien le symbole d’une mutation socio-politique. Il s’agit de la substitution d’un espace politique partisan qui, pour l’instant – à l’image du Parti de la justice et du développement (PJD) – semble avoir du mal à pleinement trouver sa place dans la société vers un espace social plus dynamique et réactif. Cette évolution, qui aurait pu avoir des conséquences destructrices quant au régime politique en place au Maroc, est donc paradoxalement la marque des politiques libératrices impulsées depuis l’accession au pouvoir du roi.
Une rupture dans les usages de la monarchie marocaine
Ce type de contestation sociale, au-delà de son contenu, est très souvent un marqueur de la réalité de la démocratisation et bon nombre de pouvoirs post-autoritaires, faute de n’avoir pas écouté les protestations sociales, se sont retrouvés chassés du pouvoir. Ce ne fut pas le cas ici, cette crise révélant une rupture fondamentale avec les pratiques héritées du passé et sans équivalent depuis l’indépendance du royaume.
C’est à l’aune de ces données qu’il faut juger la décision d’annulation de la grâce royale : elle constitue un fait exceptionnel et une rupture sans précédent dans les usages de la monarchie marocaine. En effet, jamais le Palais royal n'a retiré sa grâce à l’un des centaines de prisonniers graciés chaque année à l’occasion des diverses fêtes religieuses ou nationales. Cette mutation tient d’abord dans la communication et le discours du roi.
En effet, le Palais a diffusé deux communiqués, le premier reconnaissant une "regrettable erreur" et annonçant la mise en place d’une commission d’enquête chargée de déterminer les responsables de cette faute. Par la suite, un second communiqué a annoncé l’annulation de la grâce accordée au pédophile espagnol.
La volonté du monarque de répondre à la demande sociale ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette seule annulation et a débouché à la fois sur des directives visant à renvoyer en prison Daniel Galvan Fina (le souverain marocain a confié aux canaux officiels marocains la coordination avec leurs homologues espagnols pour se saisir de l’affaire, ce qui a débouché sur son arrestation très rapide ) et à tirer – au-delà des questions liées à la politique internationale et aux relations avec l’Espagne – un bilan des dysfonctionnements qui sont à l’origine de cette affaire.
Mohammed VI a enfin demandé au ministre de la Justice de lui proposer des mesures destinées à "sécuriser" dorénavant les conditions d’octroi de la grâce royale. Dans cette perspective, c'est bien une révision de l'ensemble du système des grâces qui a été impulsée afin que de telles erreurs ne se produisent plus à l'avenir.
Cette volonté devait d’ailleurs se traduire très rapidement dans les faits puisque dès le lundi 5 août un communiqué du Cabinet royal relevait que l’"enquête a ainsi permis de localiser la défaillance au niveau de la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion et de retenir son entière responsabilité", et entraîner par conséquence "la révocation du délégué général à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion".
Prenant pleinement en considération l’intensité de la crise et la profondeur des questions qu’elle révèle, la réponse royale s’est inscrite dans une perspective tout autant structurelle que conjoncturelle.
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