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Je suis heureux de rencontrer une telle assemblée de patriotes en cette nuit bénie du Ramadan, cette « Nuit du Destin » [Laylat al-Qadr : nuit de l’avènement de la prophétie], qui nous conforte dans notre volonté de rester unis autour du bien, de l’amour de la patrie, et du pacte sans cesse réaffirmé pour sa défense avec encore plus de détermination malgré tous les défis et quels que soient les dangers.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour honorer la mémoire de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour que la nation gagne en dignité, pour que la parole soit celle de la vérité, pour que notre solidarité entoure leurs familles qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus précieux alors qu’ils empruntaient le chemin de la gloire et de la fierté, sans oublier tous ceux qui sont désormais dans le besoin et affrontent avec foi et ténacité les fardeaux qui s’accumulent jour après jour.
Nous sommes réunis pour leur témoigner notre solidarité en leur assurant que la patrie n’abandonne pas ses enfants dans les épreuves et les difficultés mais, au contraire, elle les soutient tant sur le plan moral que sur le plan financier. Nous ne sommes pas là pour célébrer une fête, d’une part parce que la tristesse et la désolation n’ont épargné aucune maison et aucune âme de ce pays, d’autre part parce que le mois de Ramadan n’est pas nécessairement propice à la fête comme le voudraient certains rituels.
C’est un mois de recueillement et d’adoration destiné à se purifier l’âme des impuretés accumulées toute l’année, un mois consacré à s’éduquer et à revoir ses comportements pour les corriger ou les récupérer, un mois pour restaurer son humanité et en témoigner en s’occupant des autres, de ceux qui ont faim et de ceux qui endurent toutes sortes de souffrances partout en Syrie.
Oui le mois de Ramadan est un mois de compassion, mais c’est aussi un mois de pardon, de dialogue, de sacrifice et de Jihad au sens propre de ce terme ; celui qui dicte de travailler, d’aimer, de se construire, de se réaliser, et que je résumerai en disant que c’est le mois de la régénération du corps et de l’esprit. Pour la société, comme pour l’individu, il est impossible de régénérer l’un sans régénérer l’autre, l’équilibre de la société résultant de la force de chacun et inversement. Ce qui fait que si nous voulons réformer la société, nous devons encourager le dialogue entre tous ses éléments et toutes ses tendances. Mais pour que ce dialogue soit utile et fructueux, pour qu’il ait du sens et de l’essence, il faut qu’il soit franc et transparent.
Oui nous avons besoin de la franchise et de la sincérité enseignées et consacrées par toutes les religions célestes, notamment dans les circonstances que nous traversons. Parler de ce qui se passe dans le pays, de ses causes et des solutions proposées, ne peut se faire qu’en dialoguant franchement loin de toutes fausses courtoisies ; lesquelles, en l’occurrence, reviendraient pour la société à faire la politique de l’autruche, car si la société faisait le choix d’enfouir sa tête dans le sable cela reviendrait à enterrer la patrie.
C’est pourquoi je continuerai à vous parler en toute franchise, d’autant plus que les circonstances font que la tâche est maintenant plus facile qu’il y a deux ans et quelques mois. À l’époque l’agression était si incroyable et la désinformation si énorme que beaucoup de Syriens ont été dupés et sont tombés dans le piège de l’incompréhension de ce qui se passait. Que nous racontent-ils encore ? Chaque chose qui nous arrive est reprochée à l’étranger ? Aujourd’hui, c’est tout le contraire. C’est eux qui nous disent qu’il y a conspiration, et c’est nous qui leur rappelons qu’il y a aussi des raisons internes à cela.
Nous devons voir les choses de nos deux yeux pour en imprimer une vision à trois dimensions. Nous pouvons beaucoup discuter des choses liées à la crise que nous traversons ; mais moi, je pars toujours des questions posées par l’homme de la rue directement en ma présence ou par l’intermédiaire de personnes qui me les rapportent. Je pense que nous pouvons résumer toutes les questions en une seule : « Quand est-ce que la crise prendra fin ? ». C’est une question qui se pose depuis le début, voire depuis les premières heures de cette crise en Syrie. Nous ne pourrons y répondre tant que nous ne serons pas capables de préciser qui devra y mettre fin en premier, puis comment… et ce n’est qu’ensuite que se posera la question du quand.
Abordons ce sujet selon une séquence logique. Celui qui mettra fin à la crise c’est nous les Syriens, personne d’autre que les enfants de cette patrie par eux-mêmes et de leurs propres mains. Il est vrai que les facteurs externes sont fort puissants et influents. Aujourd’hui, nous le savons tous. Mais aussi important que soit le rôle de l’étranger, il n’est que catalyse ou obstruction. Il peut allonger ou raccourcir la durée de la crise mais, comme nous l’avons souvent dit et répété, il s’appuie sur nos propres faiblesses.
Si nous nous adressions à des étrangers, nous leur parlerions de tous ces terroristes qui débarquent en Syrie, des dizaines de nationalités étrangères qu’ils portent, du rôle joué par les États arabes, régionaux ou occidentaux. Mais il se trouve que nous nous adressons aux fils d’une seule et même société.
Par conséquent, lorsque nous mettons tous les facteurs externes de côté et que nous constatons qu’il y a aussi parmi les Syriens, un terroriste, un voleur, un mercenaire qui tue pour l’argent, un extrémiste, pouvons-nous dire qu’il s’agit d’une importation étrangère ? Non. C’est une fabrication de notre société. Nous devons être clairs sur ce point.
C’est l’une de nos failles. Si ces individus n’avaient pas existé, les étrangers ne seraient pas entrés en Syrie.
D’autres spécimens existent. Je n’en citerai rapidement que quelques exemples sans m’attarder sur les multiples détails de « la grisaille nationale »… J’ai déjà évoqué la « grisaille politique » lorsque j’ai dit que si tout citoyen a le droit de choisir la nuance qui lui convient dans le large spectre des options politiques, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la patrie où il n’y a que deux choix possibles : blanc avec la patrie ou noir contre la patrie ! Au début de la crise celui qui était dépourvu d’une conscience nationale suffisante a pu opter pour le gris ou la grisaille nationale devenue, en pratique, le giron du chaos et de la terreur. Ses multiples « incubateurs » ont alors lâché les monstres dans l’arène. Aujourd’hui, nombre de ceux qui ont adopté cette option ont compris leur erreur. Ils se sont ravisés pour revenir dans le droit chemin. Ils sont revenus dans le giron de la patrie, mais trop tard !
Les monstres avaient creusé leurs antres, s’étaient multipliés et n’avaient plus besoin de « couveuses ». Très vite, ils ont lancé d’autres monstres et ont même importés quantité d’autres de par delà les frontières de la patrie.
Je répète et j’insiste, ceux-là qui se sont égarés n’ont pas intentionnellement fait fonction d’incubateurs. Ils le sont devenus par ignorance. Certes, l’État fait partie intégrante de la société, mais il n’en demeure pas moins que la société dispose d’un plus large espace. Disant cela, je ne charge pas la société pour nier la responsabilité de l’État. Non. Je veux dire qu’en tant que membres d’une même famille, la famille syrienne, nous sommes responsables à des degrés divers et selon la position que nous occupons.
Sur ce point précis, je dis que l’Histoire démontre que pas une superpuissance n’a été capable de vaincre un petit État resté solidaire. Je le dis, parce que devant l’ampleur de l’agression extérieure, certains en sont arrivés à baisser les bras et à s’en remettre à Dieu. Autrement dit, ils s’en sont remis au principe de la délégation et non au principe de l’action, oubliant que c’est lorsque nous faisons notre devoir que Dieu est de notre côté et que la victoire est à nous. C’est pourquoi si nous avons suffisamment conscience de ce point précis et que nous nous tenons ensemble, le blanc contre le noir, je suis persuadé sans aucune hésitation ou exagération que nous serons en mesure de sortir facilement de cette crise, malgré et à cause du sang versé et du prix cruel que nous avons payé.
C’est en toute simplicité et avec le pragmatisme qui convient que je vous répète que nous n’exclurons aucun moyen susceptible de nous sortir de cette crise qui nous affecte tous et qui risque d’encore plus détruire notre pays. C’est absolument ainsi que nous nous comportons depuis le début et c’est ainsi que nous continuerons.
Il y a ceux qui ont dit que le problème venait de la Loi, nous avons modifié les lois ! Il y a ceux qui ont dit que le problème venait d’un article de la Constitution, nous avons modifié toute la Constitution et ceci après consultation référendaire ! Il y a ceux qui ont fait de mauvaises propositions par manque de compétences ou ignorance, et ceux qui les ont posées par hypocrisie ou mauvaise foi… Malgré cela nous en avons tenu compte partant du principe que l’État ne doit pas négliger une solution proposée par un Syrien convaincu qu’elle pourrait améliorer la situation.
Puis, il y a toutes les solutions qui sont venues de l’étranger. Nous les avons traitées de la même manière, sans cependant perdre de vue la souveraineté de la Syrie définitivement non négociable. Cette restriction étant précisée, nous avons clairement annoncé que nous ne refuserons aucune initiative et nous avons commencé par accepter « l’Initiative arabe ». Nul parmi vous n’ignore les intentions cachées des principaux États concernés qui ont exigé l’envoi d’une mission d’observateurs avec laquelle nous avons coopéré et qui s’est soldée par un échec.
Suite à cette première Initiative qui n’a pas réussi à condamner la Syrie dans les termes prémédités par les États arabes en question, M. Kofi Annan est venu, accompagné des observateurs onusiens. Là aussi, nous avons coopéré et cette deuxième initiative a abouti un à nouvel échec toujours fomenté par des États de la Ligue arabe. Ensuite, nous sommes passés à « l’Initiative de Genève » et à M. Lakhdar Brahimi. De nouveau, nous avons coopéré et annoncé que nous nous rendrions à Genève en sachant parfaitement avec qui nous aurions à négocier. On dit qu’une personne ne représente qu’elle-même, mais ces gens là n’en sont même pas capables et ne représentent que les États qui les ont créés, qui les payent, et qui leur dictent ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire.
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