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Ne laissons pas partir l'artiste Zedek Mouloud !

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  • Ne laissons pas partir l'artiste Zedek Mouloud !

    Au-delà des incidents que subirait l’homme, dont les positions, justes ou sujettes à réserve, peuvent toujours être discutables, Zedek Mouloud n'est pas cependant un nom à cataloguer dans la liste de n'importe quel artiste qui annoncerait son retrait de la scène et de la production de la chanson.

    Et donc rester indifférent vis à vis d’une telle annonce. Combien même il parle d’une « décision irrévocable…pour le moment »

    Oh que non ! Zedek Mouloud fait partie de cette quintessence du verbe, celle par l'intermédiaire de laquelle la poésie kabyle chantée trouva sa voie, son chemin, après quelques errements ou errances qui nous imposèrent, il y a une vingtaine d'années, tant de questions sur le devenir de la chanson kabyle.

    Après Simane Azem, Cherif Kheddam, Aït Menguellet, Idir, Matoub Lounès, il n'a pas été facile à la jeunesse kabyle d'écouter attentivement, de ''boire'' les paroles des autres chanteurs avec autant de goût, de délectation et de jubilation, même si la scène kabyle n'a pas manqué, et elle n'a jamais tari, de paroliers et de musiciens de valeur.

    Après le Printemps berbère d'avril 1980, qui a vu émerger les grandes chansons à texte et profondes réflexions de Lounis Aït Menguellet, les compositions fougueuses et entraînantes de Matoub, les hymnes engagés de Ferhat, les fresques de Idir, une nouvelle génération prit, sans grand bruit ni sensation de coupure, le relais; ce fut Ahcène Ahrès, Brahim Tayeb, Si Moh et d'autres noms encore qui ont eu une présence et un destin inégaux

    . Au moment où un certain pessimisme injustifié envahissait la jeunesse kabyle, pour dire que la chanson kabyle a "vécu'', au moment également où, face aux nouvelles réalités sociales et politiques, le public devint exigeant, réclamant des textes qui le réconcilient avec l'authenticité du verbe kabyle tout en s'inscrivant dans la vie d'aujourd'hui, imperceptiblement, une voix (une voie aussi) a cheminé discrètement sur les escarpements de la terre de Kabylie, a glissé habilement entre l'héritage ancien et la nécessité d'aujourd'hui, en recourant à une langue nouvelle.

    Une langue dans toute son acception: mots, formules, expressions, syntaxe, figures de styles, métaphores, allégories,…etc. Zedek Mouloud, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a révolutionné la langue du poème kabyle, comme l'a fait trente ans plus tôt Aït Menguellet.

    Visiblement, presque personne ne s'attendait à un tel travail de fond sur la langue et sur les images poétiques qui l'accompagnent, même si le besoin de renouvellement était ressenti par tout le monde. Le renouvellement ne s'est pas cantonné dans la ''physiologie'' de la langue; il est, avec Zedek, allé plus loin.
    Il a merveilleusement marié ce rafraîchissement linguistique, ce nouvel investissement littéraire, avec les thématiques les plus modernes, les plus "accrocheuses''; celles qui portent sur les réalités les plus concrètes de la jeunesse des années 1990 et 2000.
    Il a merveilleusement évoqué les contraintes des jeunes, le chômage, le commerce informel, l'environnement, avec cette figure de haute voltige de sachets noirs qui voltigent tels des corbeaux…noirs, les villages kabyles dans ce qu'ils ont d'attachant sur le plan physique et humain; il s'est ingénieusement apitoyé sur une bête de somme, l'âne, dont on oublie…bêtement les services et la compagnie.

    Il a chanté l'amour à sa façon; une façon festive et bariolée, rattachée au cadre de la vie en Kabylie. Les éléments les plus prégnants du décor et de la vie sociale kabyle y sont évoqués. "Tout ce que désire la bien-aimée lui sera servi, avant même qu'elle le désire!" Quelle extraordinaire réussite de faire dire à la langue kabyle les sentiments qui se nichent dans les replis les plus insondables de notre être! Des images éblouissantes, exprimées avec des mots simples, et qui vont droit au cœur de notre jeunesse, longtemps happée par les ersatz d'une culture allogène forte de son industrie

    .
    Zedek Mouloud a aussi stigmatisé la cupidité, l'appât du gain et l'hypocrisie régnant au cours de ces dernières années dans nos villes et villages. Dans toutes ses compositions, il a magnifié le verbe, élevé à son pinacle la couleur des expressions, investi dans une esthétique nouvelle et redonné ses lettres de noblesse à la littérature kabyle portée par le poème chanté. C'est celui-là, ce chanteur, ce poète, cet esthète, qui annonce son retrait de la chanson. Pour n’importe quelle raison soit-elle, avons-nous pour autant le droit d'assister, hagards et les bras croisés, à l'extinction de la voix de Zedek Mouloud, celle qui a tracé la voie du renouveau de la chanson kabyle? Ne laissons pas le poète seul; ne le laissons pas partir !

    Amar Naït Messaoud- La dépêche de kabylie
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