L'Etat militaire et policier fait un retour fracassant en Egypte. Ce pays qui, après soixante ans de dictature, avait brièvement pris la voie de la transition démocratique, vient de voir ce processus s'inverser avec le coup d'Etat commis le 3 juillet contre le premier président élu de l'histoire égyptienne. Cette prise du pouvoir a alors été justifiée par les manifestations monstres que connaissait le pays, mais aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que les chiffres revendiqués par l'armée et ses partisans étaient largement surévalués.
Parmi ceux qui appellent de leurs vœux un retour à l'ère qui a précédé la révolution du 25 janvier 2011 et la chute d'Hosni Moubarak [le 11 février 2011], il n'y a pas que le haut commandement militaire, le ministère de l'Intérieur, les services de sécurité et la police. Il y aussi, et c'est un point crucial, la justice et les médias d'Etat. Ces différentes coteries ont activement œuvré, en coordination, pour entraver le bon fonctionnement de l'Etat.
A cela s'est ajoutée une pernicieuse campagne de calomnie et de diabolisation du parti au pouvoir, les Frères musulmans. Les campagnes de propagande les dénonçant ont toujours fait partie du paysage sous les dictatures égyptiennes, de Nasser à Moubarak, soucieuses d'affaiblir cette organisation qui était la principale menace pesant sur le régime. Mais l'opposition laïque et progressiste, qui s'est révélée incapable de séduire une frange assez large de l'électorat, a préféré ruer dans les brancards plutôt que de s'impliquer vraiment dans le processus politique, d'accepter les résultats et de faire campagne en vue des prochaines élections.
Une élection peut du jour au lendemain perdre toute validité
L'armée et cette opposition à Morsi étaient donc vouées à former une alliance de circonstance, avec au moins l'assentiment tacite des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, pour renverser par des moyens anticonstitutionnels le gouvernement élu. La rue serait donc la solution, puisque le processus électoral n'avait débouché sur le résultat désiré. Cela s'est fait grâce à une campagne millimétrée qui, si elle a bien bénéficié d'un authentique soutien populaire, a été orchestrée par le ministère de l'Intérieur et l'armée.
Après le massacre de mercredi 14 août (dont le bilan ne cesse de s'alourdir, atteignant sans doute plus de 1 000 morts), la lutte de pouvoir qui se joue aujourd'hui oppose deux camps. D'un côté, l'ancien régime et ses alliés progressistes, un petit noyau de révolutionnaires opposés aux Frères musulmans et aux partis salafistes qui manœuvrent pour trouver leur place sur l'échiquier. De l'autre, les Frères musulmans et leurs partisans, parmi lesquels figurent des progressistes légitimistes refusant d'endosser l'idée qu'une élection peut du jour au lendemain perdre toute validité. Pour certains, toute l'ironie de la situation réside dans le fait que c'est le camp islamiste qui défend la légitimité des urnes et un régime civil.
Durant l'année que le gouvernement élu a passée au pouvoir, certains ont affirmé que les urnes ne suffisaient pas et que Morsi n'était pas assez rassembleur, mais il n'en reste pas moins que l'isoloir est un élément essentiel du processus démocratique. Sur le plan politique, ce qui a fait défaut à l'Egypte pendant cette expérience de démocratie, c'est une opposition respectueuse des principes électoraux. Au lieu de cela, l'opposition qui s'est rassemblée sous la tutelle du Front du salut national a décidé de soutenir un coup d'Etat militaire.
Le retour systématique de l'Etat policier et militaire
Les médias contrôlés par l'Etat disent à l'opinion publique que les sit-in qui s'étaient installés sur les places du pays ont été détournés par des terroristes qui n'ont d'autre but que de détruire les institutions de l'Etat. On raconte à l'Occident que le programme approuvé par le général Al-Sissi prévoit d'accorder un nombre limité de ministères aux Frères Musulmans. Outre le fait qu'il s'agit d'une violation criante de la volonté exprimée par le vote, la grande majorité des partisans des Frères Musulmans est déterminée à s'opposer pacifiquement au putsch et leurs dirigeants rejettent catégoriquement la violence.
Ce que l'Egypte a connu depuis le coup d'Etat, c'est le retour systématique de l'Etat policier et militaire, le recours aux arrestations arbitraires, la mainmise sur les médias et la dispersion des manifestants par les armes à feu. Comme dans toutes les dictatures, les institutions égyptiennes sont corrompues et elles redoutent le changement. L'appareil de sécurité se venge de ces deux années passées à vivre sous la menace d'un nouvel ordre qui risquait un jour de lui demander des comptes. Depuis le début du putsch, il a le sentiment d'avoir repris le contrôle et est prêt à frapper sans merci quiconque le défie, toutes idéologies confondues.
Le vernis civil de ce régime n'est pas une garantie contre les violations des droits de l'homme. Au contraire, il les favorise. Les Egyptiens sont aujourd'hui divisés entre ceux qui rêvent de sécurité et de stabilité économique, et ceux qui savent que même si le prix à payer est élevé, le pays se trouve à un carrefour entre la dictature militaire et la possibilité de l'avènement d'une société civile.
Il est encore temps de prendre le parti des défenseurs de la démocratie en Egypte, et de faire pression sur l'armée en la privant de l'aide des Etats-Unis, et en veillant à ce qu'elle soit tenue responsable de tout crime contre l'humanité.
Courrier International
The Guardian | Maha Azzam
17 août 2013
Parmi ceux qui appellent de leurs vœux un retour à l'ère qui a précédé la révolution du 25 janvier 2011 et la chute d'Hosni Moubarak [le 11 février 2011], il n'y a pas que le haut commandement militaire, le ministère de l'Intérieur, les services de sécurité et la police. Il y aussi, et c'est un point crucial, la justice et les médias d'Etat. Ces différentes coteries ont activement œuvré, en coordination, pour entraver le bon fonctionnement de l'Etat.
A cela s'est ajoutée une pernicieuse campagne de calomnie et de diabolisation du parti au pouvoir, les Frères musulmans. Les campagnes de propagande les dénonçant ont toujours fait partie du paysage sous les dictatures égyptiennes, de Nasser à Moubarak, soucieuses d'affaiblir cette organisation qui était la principale menace pesant sur le régime. Mais l'opposition laïque et progressiste, qui s'est révélée incapable de séduire une frange assez large de l'électorat, a préféré ruer dans les brancards plutôt que de s'impliquer vraiment dans le processus politique, d'accepter les résultats et de faire campagne en vue des prochaines élections.
Une élection peut du jour au lendemain perdre toute validité
L'armée et cette opposition à Morsi étaient donc vouées à former une alliance de circonstance, avec au moins l'assentiment tacite des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, pour renverser par des moyens anticonstitutionnels le gouvernement élu. La rue serait donc la solution, puisque le processus électoral n'avait débouché sur le résultat désiré. Cela s'est fait grâce à une campagne millimétrée qui, si elle a bien bénéficié d'un authentique soutien populaire, a été orchestrée par le ministère de l'Intérieur et l'armée.
Après le massacre de mercredi 14 août (dont le bilan ne cesse de s'alourdir, atteignant sans doute plus de 1 000 morts), la lutte de pouvoir qui se joue aujourd'hui oppose deux camps. D'un côté, l'ancien régime et ses alliés progressistes, un petit noyau de révolutionnaires opposés aux Frères musulmans et aux partis salafistes qui manœuvrent pour trouver leur place sur l'échiquier. De l'autre, les Frères musulmans et leurs partisans, parmi lesquels figurent des progressistes légitimistes refusant d'endosser l'idée qu'une élection peut du jour au lendemain perdre toute validité. Pour certains, toute l'ironie de la situation réside dans le fait que c'est le camp islamiste qui défend la légitimité des urnes et un régime civil.
Durant l'année que le gouvernement élu a passée au pouvoir, certains ont affirmé que les urnes ne suffisaient pas et que Morsi n'était pas assez rassembleur, mais il n'en reste pas moins que l'isoloir est un élément essentiel du processus démocratique. Sur le plan politique, ce qui a fait défaut à l'Egypte pendant cette expérience de démocratie, c'est une opposition respectueuse des principes électoraux. Au lieu de cela, l'opposition qui s'est rassemblée sous la tutelle du Front du salut national a décidé de soutenir un coup d'Etat militaire.
Le retour systématique de l'Etat policier et militaire
Les médias contrôlés par l'Etat disent à l'opinion publique que les sit-in qui s'étaient installés sur les places du pays ont été détournés par des terroristes qui n'ont d'autre but que de détruire les institutions de l'Etat. On raconte à l'Occident que le programme approuvé par le général Al-Sissi prévoit d'accorder un nombre limité de ministères aux Frères Musulmans. Outre le fait qu'il s'agit d'une violation criante de la volonté exprimée par le vote, la grande majorité des partisans des Frères Musulmans est déterminée à s'opposer pacifiquement au putsch et leurs dirigeants rejettent catégoriquement la violence.
Ce que l'Egypte a connu depuis le coup d'Etat, c'est le retour systématique de l'Etat policier et militaire, le recours aux arrestations arbitraires, la mainmise sur les médias et la dispersion des manifestants par les armes à feu. Comme dans toutes les dictatures, les institutions égyptiennes sont corrompues et elles redoutent le changement. L'appareil de sécurité se venge de ces deux années passées à vivre sous la menace d'un nouvel ordre qui risquait un jour de lui demander des comptes. Depuis le début du putsch, il a le sentiment d'avoir repris le contrôle et est prêt à frapper sans merci quiconque le défie, toutes idéologies confondues.
Le vernis civil de ce régime n'est pas une garantie contre les violations des droits de l'homme. Au contraire, il les favorise. Les Egyptiens sont aujourd'hui divisés entre ceux qui rêvent de sécurité et de stabilité économique, et ceux qui savent que même si le prix à payer est élevé, le pays se trouve à un carrefour entre la dictature militaire et la possibilité de l'avènement d'une société civile.
Il est encore temps de prendre le parti des défenseurs de la démocratie en Egypte, et de faire pression sur l'armée en la privant de l'aide des Etats-Unis, et en veillant à ce qu'elle soit tenue responsable de tout crime contre l'humanité.
Courrier International
The Guardian | Maha Azzam
17 août 2013
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