A sa sortie de la réunion qu’il a eue lundi dernier avec le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abbassi, le président du parti islamiste au pouvoir, Rached Ghannouchi, a affirmé : « Ennahdha a fait beaucoup de concessions », avant de se reprendre et rectifier : « Ennahdha a fait beaucoup de sacrifices pour le peuple tunisien. »
Il n’a pas précisé le genre de « sacrifices » consentis « dans l’intérêt du peuple tunisien », mais tout le monde sait que le principal « sacrifice » que Ghannouchi a en tête, c’est la renonciation de son parti à l’inclusion de la charia dans le projet du texte constitutionnel.
En fait, il y a ici une confusion dans le sens même du mot « sacrifice ». Le sacrifice est un acte fondamentalement volontaire. Il est intimement lié à l’idée de la liberté, à l’idée du choix. Cela veut dire que si l’on veut sacrifier quelque chose, c’est parce qu’on veut bien le faire, parce qu’on est convaincu de le faire et, aussi, parce qu’on a parfaitement la latitude de ne pas le faire.
La renonciation de la part des islamistes au pouvoir en Tunisie d’inclure la charia dans le texte constitutionnel ne rentre pas dans ce cadre et ne saurait, par conséquent, prendre l’aspect d’un « sacrifice ». Si Ennahdha et ses partisans ont dû renoncer à leur rêve le plus cher, c’est parce qu’ils n’ont pas pu faire autrement, c’est parce qu’ils ont été forcés de faire face à l’extraordinaire levée de boucliers de la part de la quasi-totalité de la société civile, des partis politiques et de tous les syndicats du pays, l’UGTT en tête. En un mot, ce n’était pas une renonciation volontaire, mais forcée.
Pour revenir à la déclaration de Ghannouchi à sa sortie de l’UGTT, et si l’on veut coller à la réalité, il faudra inverser l’ordre des mots contenus dans la déclaration du chef islamiste et dire plutôt que « le peuple tunisien a fait beaucoup de sacrifices pour Ennahdha ».
En effet, le peuple tunisien a fait preuve d’une extraordinaire patience à l’égard des islamistes qui ont fait main basse sur les structures étatiques, avec pour résultat une dégradation terrifiante et à tous les niveaux des conditions de vie de l’écrasante majorité des Tunisiens.
Il serait fastidieux de rappeler ici les innombrables échecs collectionnés par les gouvernements Jebali et Larayedh. Mais rappelons seulement que le mélange d’incompétence, de complaisance, d’indifférence, d’arrogance et de népotisme familial et partisan, traits communs à ces deux gouvernements, ont amené le pays au bord de l’effondrement économique et dans un état d’insécurité sans précédent dans l’histoire moderne de la Tunisie, et dont les deux principales caractéristiques sont les assassinats politiques et l’amplification du phénomène terroriste.
Franchement, c’est beaucoup pour un peuple qui a fait une révolution pour la liberté, la dignité et l’emploi, à laquelle les détenteurs actuels du pouvoir n’ont participé ni de près ni de loin, et qui se retrouve aujourd’hui avec un nombre de chômeurs qui dépasse le million, une attaque quotidienne à sa dignité, à son armée et à ses forces de sécurité par des terroristes dont les cellules, dormantes ou actives, ont eu tout loisir de se disséminer dans le pays et, pour couronner le tout, des manœuvres et des stratagèmes manigancés par le parti au pouvoir tendant à reproduire une dictature religieuse, forcément pire que la précédente. Sans parler de l’Assemblée Constituante qui, d’autorité chargée par le peuple de lui rédiger une Constitution, s’est transformée en une Chambre d’enregistrement des décisions d’Ennahdha et de son président.
En dépit de ces résultats catastrophiques de près de deux ans d’exercice du pouvoir par les islamistes, le peuple tunisien fait toujours preuve de patience et de tolérance avec Ennahdha. Sous d’autres cieux et dans d’autres contrées, pour beaucoup moins que cela, les peuples se seraient révoltés et auraient chassé du pouvoir ceux qui, par leur politique, ont rendu leur vie infernale.
La vie du peuple tunisien est devenue infernale depuis les fameuses élections du 23 octobre 2011. Ce peuple, fidèle à ses traits de caractère faits de modération, de tempérance et de tolérance, attend toujours une résolution pacifique à sa crise politique profonde. D’aucuns posent légitimement la question pourquoi le peuple tunisien a-t-il attendu 23 ans pour renverser la dictature de Ben Ali et a mis moins de deux ans pour exiger le départ des islamistes ? La réponse est simple : Ben Ali a donné aux Tunisiens l’une des meilleures économies et l’un des meilleurs niveaux de vie d’Afrique en dépit de la présence de zones déshéritées et de couches exclues, et surtout il leur a donné la sécurité en étouffant dans l’œuf le phénomène du terrorisme. Le pouvoir issu des élections du 23 octobre, non seulement il n’a pas respecté son caractère purement transitoire, mais, par son incompétence dans la gestion des affaires du pays et sa complaisance, voire sa complicité, vis-à-vis du terrorisme, il a très vite fait l’unanimité contre lui et il n’est nullement exagéré de dire que l’écrasante majorité du peuple tunisien exige aujourd’hui le départ des islamistes du pouvoir et leur remplacement par un pouvoir de technocrates qui mettrait un terme à la dégradation économique et sécuritaire dans le pays et préparerait les prochaines élections.
Pour diverses raisons, dont la plus importante est l’inquiétante perspective d’ouverture de dossiers gênants ou accablants pour le pouvoir en place, Ennahdha refuse de lâcher le pouvoir. Elle refuse de reconnaître ses erreurs et le caractère fallacieux du « respect de la légalité » qui ne tient plus depuis le 23 octobre 2012, et surtout depuis le déferlement dans les rues des grandes villes du pays des foules hostiles à l’exercice du pouvoir par les islamistes et qui exigent leur départ immédiat.
Le plus étonnant est cette incapacité congénitale des dirigeants nahdhaouis de se poser cette très simple question : les islamistes peuvent-ils gouverner quand autant de monde, autant de partis, autant d’organisations professionnelles, syndicales et de la société civile exigent leur départ ? Le plus stressant est ce refus obtus de comparer le poids et l’impact des deux manifestations parallèles, au Bardo et à l’Avenue Bourguiba, du 13 août et d’en tirer les conséquences qui s’imposent ! Le plus saisissant est cette incompétence à lire les rapports de force au niveau national, régional et international très défavorable à l’islam politique !
La seule chance de survie politique du courant islamiste en Tunisie réside dans la reconnaissance des erreurs commises et dans la transmission du pouvoir à un gouvernement de compétences neutres et indépendantes, ce qui leur permettrait de préparer leur campagne électorale. Mais Ennahdha peut aussi jouer la carte de la fuite en avant, ce qui pourrait engendrer une violence à grande échelle dans le pays. Quels que soient les dégâts, la Tunisie s’en sortira, mais l’islam politique ne s’en sortira pas. Il sera interdit pour les décennies à venir non pas par l’autorité politique, mais par le peuple lui-même qui ne lui pardonnera pas d’avoir mis le pays à feu et à sang.
l'economiste maghrébin
Il n’a pas précisé le genre de « sacrifices » consentis « dans l’intérêt du peuple tunisien », mais tout le monde sait que le principal « sacrifice » que Ghannouchi a en tête, c’est la renonciation de son parti à l’inclusion de la charia dans le projet du texte constitutionnel.
En fait, il y a ici une confusion dans le sens même du mot « sacrifice ». Le sacrifice est un acte fondamentalement volontaire. Il est intimement lié à l’idée de la liberté, à l’idée du choix. Cela veut dire que si l’on veut sacrifier quelque chose, c’est parce qu’on veut bien le faire, parce qu’on est convaincu de le faire et, aussi, parce qu’on a parfaitement la latitude de ne pas le faire.
La renonciation de la part des islamistes au pouvoir en Tunisie d’inclure la charia dans le texte constitutionnel ne rentre pas dans ce cadre et ne saurait, par conséquent, prendre l’aspect d’un « sacrifice ». Si Ennahdha et ses partisans ont dû renoncer à leur rêve le plus cher, c’est parce qu’ils n’ont pas pu faire autrement, c’est parce qu’ils ont été forcés de faire face à l’extraordinaire levée de boucliers de la part de la quasi-totalité de la société civile, des partis politiques et de tous les syndicats du pays, l’UGTT en tête. En un mot, ce n’était pas une renonciation volontaire, mais forcée.
Pour revenir à la déclaration de Ghannouchi à sa sortie de l’UGTT, et si l’on veut coller à la réalité, il faudra inverser l’ordre des mots contenus dans la déclaration du chef islamiste et dire plutôt que « le peuple tunisien a fait beaucoup de sacrifices pour Ennahdha ».
En effet, le peuple tunisien a fait preuve d’une extraordinaire patience à l’égard des islamistes qui ont fait main basse sur les structures étatiques, avec pour résultat une dégradation terrifiante et à tous les niveaux des conditions de vie de l’écrasante majorité des Tunisiens.
Il serait fastidieux de rappeler ici les innombrables échecs collectionnés par les gouvernements Jebali et Larayedh. Mais rappelons seulement que le mélange d’incompétence, de complaisance, d’indifférence, d’arrogance et de népotisme familial et partisan, traits communs à ces deux gouvernements, ont amené le pays au bord de l’effondrement économique et dans un état d’insécurité sans précédent dans l’histoire moderne de la Tunisie, et dont les deux principales caractéristiques sont les assassinats politiques et l’amplification du phénomène terroriste.
Franchement, c’est beaucoup pour un peuple qui a fait une révolution pour la liberté, la dignité et l’emploi, à laquelle les détenteurs actuels du pouvoir n’ont participé ni de près ni de loin, et qui se retrouve aujourd’hui avec un nombre de chômeurs qui dépasse le million, une attaque quotidienne à sa dignité, à son armée et à ses forces de sécurité par des terroristes dont les cellules, dormantes ou actives, ont eu tout loisir de se disséminer dans le pays et, pour couronner le tout, des manœuvres et des stratagèmes manigancés par le parti au pouvoir tendant à reproduire une dictature religieuse, forcément pire que la précédente. Sans parler de l’Assemblée Constituante qui, d’autorité chargée par le peuple de lui rédiger une Constitution, s’est transformée en une Chambre d’enregistrement des décisions d’Ennahdha et de son président.
En dépit de ces résultats catastrophiques de près de deux ans d’exercice du pouvoir par les islamistes, le peuple tunisien fait toujours preuve de patience et de tolérance avec Ennahdha. Sous d’autres cieux et dans d’autres contrées, pour beaucoup moins que cela, les peuples se seraient révoltés et auraient chassé du pouvoir ceux qui, par leur politique, ont rendu leur vie infernale.
La vie du peuple tunisien est devenue infernale depuis les fameuses élections du 23 octobre 2011. Ce peuple, fidèle à ses traits de caractère faits de modération, de tempérance et de tolérance, attend toujours une résolution pacifique à sa crise politique profonde. D’aucuns posent légitimement la question pourquoi le peuple tunisien a-t-il attendu 23 ans pour renverser la dictature de Ben Ali et a mis moins de deux ans pour exiger le départ des islamistes ? La réponse est simple : Ben Ali a donné aux Tunisiens l’une des meilleures économies et l’un des meilleurs niveaux de vie d’Afrique en dépit de la présence de zones déshéritées et de couches exclues, et surtout il leur a donné la sécurité en étouffant dans l’œuf le phénomène du terrorisme. Le pouvoir issu des élections du 23 octobre, non seulement il n’a pas respecté son caractère purement transitoire, mais, par son incompétence dans la gestion des affaires du pays et sa complaisance, voire sa complicité, vis-à-vis du terrorisme, il a très vite fait l’unanimité contre lui et il n’est nullement exagéré de dire que l’écrasante majorité du peuple tunisien exige aujourd’hui le départ des islamistes du pouvoir et leur remplacement par un pouvoir de technocrates qui mettrait un terme à la dégradation économique et sécuritaire dans le pays et préparerait les prochaines élections.
Pour diverses raisons, dont la plus importante est l’inquiétante perspective d’ouverture de dossiers gênants ou accablants pour le pouvoir en place, Ennahdha refuse de lâcher le pouvoir. Elle refuse de reconnaître ses erreurs et le caractère fallacieux du « respect de la légalité » qui ne tient plus depuis le 23 octobre 2012, et surtout depuis le déferlement dans les rues des grandes villes du pays des foules hostiles à l’exercice du pouvoir par les islamistes et qui exigent leur départ immédiat.
Le plus étonnant est cette incapacité congénitale des dirigeants nahdhaouis de se poser cette très simple question : les islamistes peuvent-ils gouverner quand autant de monde, autant de partis, autant d’organisations professionnelles, syndicales et de la société civile exigent leur départ ? Le plus stressant est ce refus obtus de comparer le poids et l’impact des deux manifestations parallèles, au Bardo et à l’Avenue Bourguiba, du 13 août et d’en tirer les conséquences qui s’imposent ! Le plus saisissant est cette incompétence à lire les rapports de force au niveau national, régional et international très défavorable à l’islam politique !
La seule chance de survie politique du courant islamiste en Tunisie réside dans la reconnaissance des erreurs commises et dans la transmission du pouvoir à un gouvernement de compétences neutres et indépendantes, ce qui leur permettrait de préparer leur campagne électorale. Mais Ennahdha peut aussi jouer la carte de la fuite en avant, ce qui pourrait engendrer une violence à grande échelle dans le pays. Quels que soient les dégâts, la Tunisie s’en sortira, mais l’islam politique ne s’en sortira pas. Il sera interdit pour les décennies à venir non pas par l’autorité politique, mais par le peuple lui-même qui ne lui pardonnera pas d’avoir mis le pays à feu et à sang.
l'economiste maghrébin
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